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Pour sa première carte blanche, notre invité Luc Debraine, directeur du Musée Suisse de l’appareil photographique de Vevey, a choisi de nous parler de la monographie consacrée à la photographe, écrivaine, journaliste et aventurière alémanique Annemarie Schwarzenbach. L’exposition « Départ sans destination » a ouvert ses portes au public en mars dernier et sera visible jusqu’au 9 mai prochain.

“Ich war frei, durfte wählen! Hätte ich wissen müssen, wohin die Wege meiner Freiheit führen” (“J’étais libre de choisir ! J’aurais dû savoir où mènent les chemins de ma liberté »). C’est par cette citation que commence l’exposition des photographies d’Annemarie Schwarzenbach au Centre Paul Klee de Berne (lequel a rouvert ses portes au mois de mars, comme tous les musées suisses). Libre est sans doute le meilleur qualificatif à accoler à l’écrivaine, journaliste et aventurière alémanique, à la vie aussi dense que brève.

Unbekannt
Porträt von Annemarie Schwarzenbach mit Kamera
1939
© Esther Gambaro, Nachlass Marie-Luise Bodmer-Preiswerk

L’exposition bernoise se concentre sur un aspect plus méconnu d’Annemarie Schwarzenbach : sa pratique régulière de la photographie. Plus de 4000 images ont été conservées de ses voyages multiples en Europe, Asie, Afrique et Amérique. Avec un talent inégal, loin par exemple de la maîtrise à la même époque d’une Dorothea Lange, mais avec un sens tranchant de l’observation.

Issue d’une riche famille d’extrême-droite, Annemarie Schwarzenbach entre tôt en conflit avec son milieu. Elle est révoltée, d’une intelligence vive, belle, lesbienne, téméraire, accro à la morphine. Après des études d’histoire à Zurich et Paris, après une immersion dans la diaspora littéraire allemande, la jeune femme prend la route comme on prend la fuite. Elle publie ses récits de voyage et collaborent à plusieurs magazines suisses, leur fournissant textes et photos. Ce sont les années trente. A un bout de la décennie, les effets délétères de la Grande dépression ; à l’autre bout, l’imminence d’une déflagration mondiale met les mots et les images sous tension.

Annemarie Schwarzenbach
Hafen von Massawa, Italienisch-Ostafrika (heute Eritrea)
1939–1940
Schweizerisches Literaturarchiv | Schweizerische Nationalbibliothek, Bern, Nachlass Annemarie Schwarzenbach

Attentive aux inégalités sociales, aux mouvements syndicaux, aux effets de l’industrialisation, Annemarie Schwarzenbach parcourt des dizaines de milliers de kilomètres. Du Congo belge aux montagnes de l’Afghanistan, de l’Union soviétique au Middle West américain. Elle voyage avec Ella Maillart, autre écrivaine, photographe et aventurière suisse, ainsi qu’avec la photographe Marianne Breslauer ou la femme de lettres Erika Mann. Elle s’élève avec force contre le national-socialisme, s’inquiète pour le patrimoine culturel et intellectuel de l’Europe.

Annemarie Schwarzenbach
Zirkus in Petseri, Estland (heute Petschory, Russland)
1937
Schweizerisches Literaturarchiv | Schweizerische Nationalbibliothek, Bern, Nachlass Annemarie Schwarzenbach

Le plus frappant dans l’exposition du Centre Paul Klee est le contraste entre des photographies datées et la modernité d’un combat. Annemarie Schwarzenbach travaille en noir et blanc, au Rolleiflex ou Zeiss Ikon 6×6, enchâssant ses vues dans des cadres rigoureux. C’est solide, classique, documentaire. La fascination vient de la manière dont ce regard engagé résonne dans notre époque. Un regard qui aborde frontalement l’identité sexuelle, la condition des femmes, la tentation nationaliste, le populisme, la globalisation. Ou encore le désir d’un «Départ sans destination », pour reprendre le titre de l’exposition. Par temps confinés, cette force centrifuge est salutaire.

INFORMATIONS PRATIQUES
Départ sans destination
Annemarie Schwarzenbach
Jusqu’au 9 mai 2021
Zentrum Paul Klee
Monument im Fruchtland 3
CH- 3006 Berne, Suisse
https://www.zpk.org

 

La Rédaction
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