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Femmes en regard, cycle de conférences et exposition

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La Maison Guerlain a souhaité réunir les oeuvres de quatorze femmes photographes, à l’occasion de son exposition de printemps. Cette sélection de tirages interroge sur la manière dont une femme peut regarder une autre femme. Pour accompagner cette exposition au féminin, sept conférences en ligne, sont organisées chaque semaine, à partir du 15 avril prochain, pour donner la parole à une partie des photographes exposées.

« À quoi ressemble le monde vu par les femmes ? Plus précisément, à quoi ressemble une femme photographiée par une autre femme ? Y aurait-il un regard spécifiquement féminin ? »

Regard féminin

La notion de « regard féminin » est une réponse attendue, mais non-symétrique au « male gaze », (« regard masculin »), expression employée dès 1975 dans le champ du cinéma par la critique féministe Laura Mulvey.

Cette réalisatrice y a recours pour dénoncer l’emprise de la société patriarcale et de son inconscient sur les productions audiovisuelles et pour critiquer le fait que la culture visuelle dominante imposerait au public d’adopter une perspective d’homme hétérosexuel, les femmes étant de fait essentiellement représentées en tant qu’objet de désir et de plaisir. En France, c’est surtout depuis le mouvement MeToo que la vision de Laura Mulvey a infiltré de manière significative le monde de l’audiovisuel.

Le « regard féminin » est une revendication et une reconquête de la part des femmes. De nombreuses nuances et polémiques jalonnent l’histoire de ces concepts dans un contexte mouvant de transformations des structures sociales, des comportements individuels mais aussi des valeurs. Plus généralement, le regard féminin est un regard émancipé des dynamiques établies de pouvoir et de domination. Pour les jeunes générations de femmes photographes, il est peut-être moins une revendication qu’un atout, une puissance à se réapproprier. L’exposition Femmes en regard active ces enjeux de regards et les met en dialogue.

Proposé par Guerlain avec les commissaires Jean-Luc Monterosso et Benoît Baume de Fisheye, ce projet regroupe quatorze femmes photographes. Chacune d’entre elles est représentée par une oeuvre emblématique.
Ces photographes exercent dans des champs diversifiés du médium, du reportage de guerre à la photographie humaniste en passant par la photographie activiste, la mode ou encore la pratique du portrait.
De nationalités diverses, certaines ont déjà accédé à une notoriété internationale tandis que d’autres ont une reconnaissance encore émergente mais non moins prometteuse. Ce florilège réunit plusieurs générations de photographes.

Ainsi, la benjamine, Charlotte Abramow, belge, âgée de moins de trente ans, se désigne comme photographe féministe. « J’avais envie d’apporter un regard féminin sur les corps féminins, explique-t-elle, afin de montrer que le corps féminin existe au-delà du regard de l’homme et au-delà du prisme du désir. Je voulais avoir une vision du corps plus autour de la curiosité, de la découverte, de la confiance. » Consciente des pouvoirs de l’image pour véhiculer des messages et des questionnements, elle mise sur leur force d’influence positive et leur potentiel pour « ouvrir le champ des possibles et montrer d’autres corps ou d’autres manières de les voir ». De son côté, la doyenne du projet, Sabine Weiss, française d’origine suisse, et rare représentante de l’approche humaniste en photographie, se présente avant tout comme photographe de métier. Dans sa pratique personnelle, elle explique que son engagement réside dans la curiosité qu’elle avait « de tout voir, de tout documenter et de se laisser surprendre par l’humain ». Son regard libre est pour elle un regard de photographe avant d’être celui d’une femme. Pour autant, lorsqu’on lui pose la question de la légitimité d’un regard de femme, Weiss souligne son attention particulière « à la pauvreté, aux enfants, aux personnes dans le besoin et confie qu’elle a sûrement eu un regard plus compatissant ». Invoqués dans le texte de Jean-Luc Monterosso, les parcours de ces femmes photographes nous frappent par leur richesse et leur diversité. Cette diversité complique la tentative de définition d’un regard « au féminin » qui reviendrait en effet à essentialiser des pratiques déterminées par des contextes socioculturels pourtant différents et évolutifs.

En effet, chacune des oeuvres des quatorze femmes photographes mises en dialogue dans les espaces historiques du 68 Champs-Élysées à Paris est singulière et témoigne d’un tout aussi singulier rapport à l’autre et à l’image. Que cet autre soit une femme est décisif pour les unes et circonstanciel pour d’autres. Si certaines revendiquent une approche genrée du médium, d’autres sont plus réservées. Dans tous les cas, la photographie est, avant tout, pour ces photographes, un puissant moyen d’expression et un outil d’émancipation.

Femmes photographes

Les regards des femmes photographes ont en commun d’avoir été moins pris en compte et moins exposés que ceux des hommes. Leurs images et leurs oeuvres ont rarement atteint la postérité. À quelques exceptions près, le Panthéon des photographes est masculin.

Le choix de n’exposer que des femmes photographes, comme le propose Femmes en regard, s’inscrit dans une dynamique de redécouverte et de reconnaissance amorcée, en France, par un homme, Christian Bouqueret, qui, dès les années 1980, mit en valeur des figures oubliées de l’entre-deux-guerres telles Ergy Landau ou Nora Dumas. Le flambeau est repris par la Maison européenne de la photographie mais surtout par le Jeu de Paume à Paris qui, sous la direction de Marta Gili, met régulièrement en lumière des femmes photographes historiques et contemporaines. Mais c’est avec l’exposition elles@centrepompidou que le sujet est institutionnalisé et légitimé. Organisé par le Musée national d’art moderne en 2009, cet accrochage consacre les femmes artistes des collections du musée et, parmi elles, de nombreuses photographes. Dès lors, des initiatives rassemblant des photographes femmes commencent à voir le jour : en 2014, le festival Les Promenades photographiques de Vendôme dédie une édition aux femmes photographes et, en 2015, c’est au tour d’un autre musée national de promouvoir les femmes photographes. L’exposition Qui a peur des femmes photographes ?, aux musées d’Orsay et de l’Orangerie (commissaires Thomas Galifot, Ulrich Pohlmann et Marie Robert), révèle au public français que des femmes ont été des opératrices et des créatrices autonomes dès l’origine du médium tant en Europe qu’aux États-Unis. Impossible, dès lors, de ne pas prendre en compte l’effacement de ces femmes photographes et de ne pas considérer les écueils et les manquements des histoires de la photographie qui ont largement contribué à leur invisibilisation.

Ce phénomène d’effacement, commun à tous les champs du savoir et de la création, repose sur des mécanismes complexes qu’il est difficile de généraliser bien que certains facteurs soient récurrents : les femmes étaient assignées à la sphère domestique et assujetties à leurs rôles d’épouse, de mère et de ménagère ou encore de muse ou de modèle. Elles sont aussi souvent restées dans l’ombre de leurs maris ou bien dans celle d’un maître.
Les femmes elles-mêmes eurent tendance à se minorer et travaillèrent moins à leur postérité.

« À talent et compétences égales, si l’on regarde l’histoire de la photographie, les hommes et les femmes photographes n’ont pas eu les mêmes chances de voir leur travail reconnu », reconnaissait, en 2017, le fondateur de la Maison Européenne de la photographie, qui notait cependant une évolution. Aux États-Unis et en Allemagne le travail de reconnaissance a été amorcé dès les années 1970. La France a tardé à la fois à prendre conscience de l’importance de compléter les histoires de la photographie, trop masculines, mais aussi à oeuvrer vers plus de parité dans les pratiques contemporaines.

Une situation persistante dans son déséquilibre qui a été régulièrement dénoncée, à partir de 2014, par la photographe Marie Docher, le blog « Atlantes et cariatides » et les actions du collectif #LaPartDesFemmes qui ne cessent de rappeler par des chiffres la sous-représentation des femmes aujourd’hui dans les galeries, les agences, les expositions. En 2017, le magazine Fisheye publiait un hors-série bien nommé Femmes photographes, une sous-exposition manifeste. Il s’ensuivit la prise de conscience de directeurs de festival qui cherchèrent à équilibrer leur programmation, mais aussi d’institutions qui considèrent désormais la production des femmes comme un volet prioritaire de leurs politiques d’acquisitions.

L’année suivante, un festival entièrement dédié aux femmes photographes est créé à Houlgate et, toujours en 2018, est mis en place le parcours Elles X Paris photo par un ministère de la Culture qui s’engage alors ouvertement dans l’oeuvre de rééquilibrage. Enfin, l’année 2020 verra la publication de deux ouvrages dédiés aux femmes photographes : le coffret en trois volumes Femmes photographes de la collection Photo poche (jusqu’alors essentiellement masculine) paru chez Delpire et le livre collaboratif Une histoire mondiale des femmes photographes publié par Textuel qui réunit en seul volume trois-cents femmes photographes du monde entier, des origines de la photographie à nos jours. Ces ouvrages complètent les histoires existantes et visent à l’édification d’une histoire plus équilibrée et plus juste.

En parfaite symbiose avec les préoccupations actuelles du monde de l’image et de la photographie, Femmes en regard donne à voir et à penser une diversité plus inclusive.

– Texte de Luce Lebart

Programme des Conférences
> Jeudi 15 avril – Valérie Belin
> Jeudi 22 avril – Charlotte Abramow
> Jeudi 29 avril – Marie Rouge
> Jeudi 6 mai – Christine Spengler
> Jeudi 20 mai – Sabine Weiss
> Jeudi 3 juin – Françoise Huguier
> Jeudi 10 juin – Sarah Moon

Lien d’inscription :
https://www.guerlain.com/fr/fr-fr/c/femmes-en-regard.html

INFORMATIONS PRATIQUES

lun19avr(avr 19)17 h 04 minmer30jui(jui 30)17 h 04 minFemmes en regardMaison Guerlain, 68, avenue des Champs-Élysées 75008 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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