L'Invité·e

Le photographe Julien Mignot est notre invité de la semaine

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Pour cette dernière semaine avant les vacances de printemps, nous accueillons le photographe français Julien Mignot. Je me souviens de notre première rencontre, c’était il y a 20 ans, il était venu me présenter ses images de la Coopérative de Mai, une salle de concerts de Clermont-Ferrand. Mêlant scènes et portraits. La musicalité dans ses images était d’une telle évidence que je l’ai publié dans la foulée. Fin décembre, sur Instagram, nous vous avions demandé quel·les invité·es souhaiteriez vous voir dans 9 Lives. Vous avez été nombreux·ses à nous souffler son nom… Le voici donc, il accompagnera notre semaine éditoriale.

Je suis né en 1981 au pied des volcans d’Auvergne, à Clermont-Ferrand.
Après une maitrise de géographie, la photographie avait pris le dessus sur mes études et j’avais suffisamment de crédit auprès de mes parents pour attester pouvoir survivre dans un milieu qu’ils ne comprenaient pas. J’ai émigré à Paris et commencé par pousser la porte des rédactions que je rêvais d’intégrer. Libération en premier, parce que D’Agata, Depardon et Richard Dumas publiaient dans les pages de ce quotidien qui laissait la part belle à l’image.
Vinrent ensuite des collaborations régulières avec Le Monde, Elle, Grazia, VoxPop puis Vanity Fair et aujourd’hui le New York Times. J’aime toujours autant travailler pour la presse qu’avant, ce rapport passionnel du début, plus distant aujourd’hui, ne m’a jamais quitté. J’ai toujours enrichi au fil du temps mes collaborations, en prenant en charge la direction artistique du Festival Image d’Amman en Jordanie ou en initiant le collectif d’artistes NNIPAS. Puis j’ai pris soin de migrer vers le portrait pour me rapprocher un peu plus près de la musique en réalisant des pochettes d’albums.
En 2013, j’ai fondé mon propre Studio, J’Adore ce que Vous Faites! Après avoir développé cet outil de production et agrégé des jeunes photographes de talent autour du projet, j’ai intégré la Galerie Intervalle, ainsi que l’agence Superette.
L’an dernier j’ai sorti un deuxième livre aux éditions filigranes, « 20 », en bouclant une rétrospective monographique au Centre Photographique de Clermont-Ferrand qui a accueilli près de 15.000 visiteurs.
Aujourd’hui, je jongle sur les projets aussi divers qui prennent toujours leurs racines dans la photographie, mais dérivent vers l’écriture ou la réalisation.

http://www.studiojadore.paris/

Le portrait chinois de Julien Mignot

Si j’étais une œuvre d’art : Puisque le principe de ce que l’on devrait qualifier art est de faire résonner le réel avec des mondes prétendus moins visibles et plus sensibles, j’aimerais être un masque de chaman. Je ne le qualifie pas d’œuvre d’art parce que nous avons décidé d’en exposer nos musées, mais pour la fonction essentielle de passeur qu’incarne celui qui mérite de le porter. C’est le dénominateur commun de toutes les œuvres d’art que j’aime profondément, elles transmettent, elles évoluent, elles vibrent, immobiles. Il y a bien des artistes que je considère comme de grands passeurs, ils ne portaient pas tous des masques, mais j’aime l’idée que confère l’allégorie, de pouvoir faire corps, même un instant, avec eux.

Si j’étais un musée ou une galerie : Puis-je poursuivre ce premier salto avant par une autre pirouette ? J’ai fait le tour de toutes les galeries et de tous les musées que j’aime. Ils sont nombreux. Je me suis dit que je pourrais tenter un appel du pied à certains. Mais je crois que le refuge absolu pour moi, puisque c’est aussi le rôle des lieux qui abritent en leur sein des œuvres, c’est le disquaire. Je peux m’y planquer des journées entières juste pour écouter des heures de musique inconnues ou bien piller névrotiquement les bacs.

Si j’étais un autre artiste: Mes réponses vagues vont finir par vous lasser. Alors je vais choisir un peintre cubiste. Picasso peut-être dans cette période, parce qu’il disait “les artistes copient, les grands artistes volent“. Comme j’ai, au moins, beaucoup copié et que mon travail a plusieurs facettes, à défaut de périodes, je pense que ça m’irait assez bien.

Si j’étais un livre : C’est facile, Faire de Tim Ingold. Tim Ingold est un anthropologiste de l’Université d’Aberdeen en Écosse. Dans ce livre, il prend soin de décloisonner sa discipline en la flanquant de trois autres pour lui faire écho, l’Art, l’Architecture et l’Artisanat. En restant simple, je ne dirais surtout pas vulgaire, il trace une ligne qui les unifie et qui est un support implacable pour réfléchir. Et cela fonctionne dans toute sa littérature. Le titre me plait. Il suggère la création et incite à se mouvoir. C’est ce qui m’a toujours sauvé.

Si j’étais un film : Brooklyn Boogie, de Wayne Wang, on le considère parfois comme la suite de Smoke dans lequel le même Auggie (Harvey Kettel) photographie chaque jour le coin de la rue pour mesurer le temps qui passe. Le tabac d’Auggie devient le centre du monde, au comptoir se croisent Jim Jarmush ou Lou Reed. Parfois je fume des Craven A et j’essaie d’entendre mes héros dans un coin de mon cerveau bleu de fumée. Ça marche presque.

Si j’étais un morceau de musique : This Must be the Place des Talking Head. Avec A Love Supreme de Coltrane, ce sont les deux morceaux que j’ai le plus usé sans m’en lasser. Elle est fragile, entêtante et délicate. Les paroles sont d’une justesse assez universelle et absolue. « Home is where i want to be, but i guess i’m already there ». (écho à la citation ci-dessous d’ailleurs!)

Si j’étais un photo accrochée sur un mur : Raven Scene de Fukase, je crois la numéro 13. Ce sont des yeux d’une nuée de corbeaux perchés sur un arbre qui luisent dans le noir. Elle est accrochée dans mon bureau. Parfois ce sont les branches, qui ressemblent à des racines plantées dans le ciel, qui me parlent. Parfois ce sont les nuances vertes du fond qui se mettent à vibrer. Comme l’arbre est décharné, il doit faire froid, mais incarner une multitude d’yeux, n’est-ce pas un immense fantasme de photographe.

Si j’étais une citation : « Vouloir éperdument ce que l’on ne désire pas obtenir, fermer les yeux sur ce que l’on a, et la vie passe. » JL Sieff

Si j’étais un sentiment : La peur. Je pourrais disparaître et peut-être que le monde irait bien mieux comme ça.

Si j’étais un objet : Puis-je répondre autre chose qu’un Leica M4-P? J’ai toujours considéré l’appareil photographique comme un outil. Rien d’autre. Je ne suis pas bloqué sur un appareil en particulier, mais à chaque fois, c’est à lui que je reviens. L’ergonomie, le dénuement des réglages qui s’oublient lorsqu’il prolonge notre regard. C’est un bon compagnon. Et puis être un appareil photo nous laisse la possibilité de voir du pays, si on ne finit pas dans une vitrine de collectionneur patenté. J’ajoute à mon choix une condition, finir sur l’épaule de Klavdij Sluban, s’il ne s’est pas déjà réincarné en Leica lui aussi.

Si j’étais une exposition : Je vais encore être vague : je serais une biennale universelle. Cela compile deux avantages.

Si j’étais un lieu d’inspiration : Je suis quelqu’un qui revient toujours au centre. J’ai longtemps cherché quel territoire pouvait être fondamental pour moi. Il y en a deux et ils sont liés. Il y a le plateau du Limon dans le Cantal et l’île d’Ouessant. Ils ont en commun leur socle de granit hercynien. C’est en France, ce n’est pas très loin, mais je me méfie toujours de l’exotisme, il stimule une inspiration apparente et peu profonde. La genèse des images est ailleurs, dans ce que l’on connait, dans nos obsessions. L’idée d’une île me plait car c’est un monde fini qui touche à l’infini.

Si j’étais un breuvage : Un vin rouge. Mauvaises Herbes 2001 du domaine de Peyra. Le viticulteur était photographe. Il m’a donné le gout du vin et de la photographie et aujourd’hui j’ai une grande cave à vin nature en plein milieu de mon studio. Il m’a appris à tailler des vignes, qui est un geste qui décompose la synthèse d’une photographie : connaître le passé, intervenir au présent en anticipant l’avenir. Cette cuvée est un assemblage de presse de plusieurs parcelles, une année exceptionnelle. Le temps contient le vin, le territoire et les hommes.

Si j’étais un héros: John Coltrane. Un héros sauve le monde et fait le bien. C’est ce que j’éprouve quand j’écoute sa musique.

Si j’étais un vêtement : un carré Hermès. C’est immortel !

CARTES BLANCHES DE NOTRE INVITÉ

Carte blanche à Julien Mignot : Le Studio (mardi 13 avril 2021)
Carte blanche à Julien Mignot : Satellites (mercredi 14 avril 2021)
Carte blanche à Julien Mignot : Une photographie utile, les photographes de Photo4Food (jeudi 15 avril 2021)
• Carte blanche à Julien Mignot (vendredi 16 avril 2021)

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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