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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe français Julien Mignot, rend hommage à deux personnalités du monde de la photographie. L’éditeur Patrick Le Bescont et Yan Di Meglio, galeriste. L’occasion de parler notamment de l’ouvrage « Donne-moi ta main » publié récemment chez Filigranes et de (re)découvrir la série « Greetings from Mars » réalisée par Julien Mauve, artiste de la galerie Intervalle.

Il m’a souvent été reproché de ne pas savoir choisir un style. La question du style est toujours un piège, en photographie, comme ailleurs. C’est peut-être notre capacité à s’accaparer, à synthétiser ce qui nous touche, à affiner nos aptitudes de passeur, à devenir qui l’on est, que l’on évalue sous ce terme un peu trivial. Par définition, donc, un style ne se choisit pas, il murit.
J’ai mis du temps à murir. J’aime autant le reportage que les portraits. Passer une semaine au Festival de Cannes, ou, juste de retour du festival, avec les migrants sous le métro La Chapelle, photographier pour un magazine ou dans la perspective d’une série documentaire que l’on réalise pour soi sont des sports bien différents, qui s’enrichissent les uns les autres. Je n’ai jamais eu peur de cet éventail de possible que la photographie m’a toujours aidé à étreindre.
J’ai choisi de creuser plusieurs sillons. Le studio, dont nous parlions hier, me permet de produire.

Pour m’accompagner dans des domaines plus spécifiques qui demandent une vraie connaissance du métier et une vraie discipline, je me suis entouré, avec le temps, de personnes qui me sont chères parce que nous partageons des valeurs communes et surtout parce que je les estime énormément. Ce sont des balises, des repaires, des phares qui nous donnent le cap. Des satellites qui ont cette hauteur dont nous ne disposons pas pour nous donner le Nord, trouver un sens dans des séries en construction.

Il y a d’abord Patrick Le Bescont, il est éditeur, il est la maison Filigranes. C’est lui qui a édité mon premier livre, 96 Months. Jamais je n’aurais osé pousser la porte des éditions Filigranes. C’est Ava du Parc, qui travaille avec moi, qui me l’a présenté. Patrick édite des photographes que je respecte éminemment et il a apporté le même soin à mes images qu’à celles des auteurs qu’il accompagne. Car c’est lui un passeur, il accompagne les séries, les murit et les fait advenir dans le silence des pages des livres qu’il fabrique.

Dans le marasme de la crise que nous traversons, j’ai reçu un matin un petit pli élégamment timbré qui s’intitulait Donne-moi ta main. C’est un tout petit ouvrage qui compile des images charnelles de photographes que Patrick Le Bescont édite. Le format du livre, le format des images tient dans la main qu’il nous tend. Ce sont des stickers qu’on a presque envie de ne jamais décoller de cet ouvrage ces images qui nous combinent autour d’une idée, nous les auteurs de cette belle maison. C’est ce que nous sommes dans les mains de Patrick, des auteurs. Ce sont encore les mots de l’éditeur qui le décrivent le mieux :

Donne-moi ta main… est le premier opus de la collection Imagettes. Ce petit objet éditorial rappelle le tout début de Filigranes Éditions, et notamment la collection Résonance – écrire pour une image dont le principe était d’établir une correspondance entre une image et un texte, un photographe et un auteur.
J’ai toujours été fasciné par le principe même de l’autocollant, ainsi cette collection Imagettes permet d’extraire les images des pages pour les faire exister sur un support du choix du lecteur : un mur, une page, un carnet, un livre, une lettre, etc. autant de petites expositions portatives.
Le concept éditorial de la collection Imagettes est simple. Il s’agit de choisir trente-deux images provenant d’ouvrages de Filigranes qu’un motif, un thème, ou une idée poétique réunissent. Et de les agencer dans une nouvelle combinaison pour suggérer d’autres histoires. Le principe repose sur : une image, un.e photographe, un livre.

Tirée à six cents exemplaires, cette collection paraîtra à raison de trois ou quatre titres par an, sera diffusée par abonnement, et hors des circuits de diffusion traditionnels, pour créer un lien direct entre Filigranes Éditions et ses lecteurs.

P.L.B.

Greetings From Mars © Julien Mauve / Galerie Intervalle

Yan Di Meglio est galeriste. Sa galerie s’appelle Intervalle. C’est Émilia Genuardi qui me l’a présenté juste avant le premier salon Approche auquel nous avons participé en présentant des tirages Fresson. J’aime l’idée de lui tendre une carte blanche car c’est lui qui m’a toujours laissé l’espace vierge de sa galerie à disposition pour peupler les cimaises de projet peu conforme. Comme Patrick, Yan est un passeur. Il accompagne ses artistes. Nous n’avons pas de contrat entre nous, la confiance joue ce rôle. Elle noue des relations qui en général se dissolvent dans le temps trop court qu’on leur accorde. Depuis ce salon, Yan me guide dans ce monde étrange des foires, des salons et des expositions.

Greetings From Mars © Julien Mauve / Galerie Intervalle

Greetings From Mars © Julien Mauve / Galerie Intervalle

Voici quelques images de la série « Greetings from Mars » réalisée par Julien Mauve (artiste de la galerie), en 2014-2015. Au même moment, le robot Curiosity sillonnait la planète rouge. C’est une vision du tourisme dans une cinquantaine d’années, quand on sera complètement blasés de voyager sur terre. L’artiste se moque de notre manque de curiosité et imagine un voyage de noces martien, réalisé avec sa femme, une mise en scène dans les déserts américains jouée avec les codes de la photographie touristique.
J’ai pensé à cette série ce matin en écoutant la radio, sur un sujet apparemment très différent.
Sur France Inter, il y avait une interview des frères Duplantier, fondateurs de Gojira, groupe de death métal mondialement connu. Première question d’Augustin Trappenard : « Qu’est-ce qui vous donne de la force? » Réponse banale du musicien : « avant tout la musique ». Augustin Trappenard relance : « jouer de la musique? » Joe Duplantier appuie sur les syllabes : « non, ECOUTER de la musique. » Un musicien qui avoue puiser sa force dans l’écoute est, je crois, aussi rare et précieux qu’un photographe qui parle de son plaisir de voir le travail d’autres photographes. On dirait de l’humilité mais c’est une force. Il me semble que les artistes « solides » sont ceux qui se nourrissent de leur écosystème, du terreau qui fait leur singularité. Ils regardent, lisent, achètent les œuvres des autres. J’ai remarqué que ces artistes sont souvent ceux qui fournissent avec régularité un travail exigeant et sont toujours en mouvement. En un mot, ils sont curieux et ambitieux. Julien Mauve est de ceux-là. Musicien accompli et photographe, il butine tous azimuts, se documente longuement avant de réaliser ses projets qui s’étalent souvent sur plusieurs années.

Greetings From Mars © Julien Mauve / Galerie Intervalle

Greetings From Mars © Julien Mauve / Galerie Intervalle

Cela peut sembler banal de rappeler que la curiosité est une force. Mais la curiosité est menacée, écrabouillée chaque jour par la « bulle de filtres » des réseaux sociaux. La « bulle de filtres » est un concept théorisé par Eli Pariser. C’est l’état d’« isolement intellectuel et culturel » dans lequel on se trouve à cause des algorithmes qui orientent nos choix à notre insu. Sortir de notre bulle, il faut désormais l’avoir toujours à l’esprit. La vraie curiosité est la seule force et cela vaut pour tout le monde : artiste, galeriste, l’éditeur, le commissaire d’exposition, collectionneur, etc.

La Rédaction
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