L'Invité·e

Carte blanche à Corentin Fohlen : L’avenir du métier de photojournaliste

Temps de lecture estimé : 7mins

Pour sa toute deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe français Corentin Fohlen, se penche sur le futur du métier de photojournaliste. Si il est en difficulté, il prouve chaque jour qu’il reste essentiel et nécessaire. Dans ce texte, il est ainsi question de l’avenir du photojournalisme, loin de toute dystopie que chacun peu craindre, Corentin se veut optimiste sur notre futur et annonce même que « la photographie vit très certainement un nouvel Âge d’Or ! ».

Après avoir parlé engagement dans la première carte blanche, je propose cette fois-ci de parler de l’avenir de notre métier. Car oui il y en a, si si, je vous assure.
D’abord il n’y a jamais eu autant de photographes. Certes, beaucoup ne vivent pas de ce métier, mais la richesse de la production photographique est inégalée comme elle ne l’a jamais été ! Elle n’a jamais été aussi créative et qualitative.
Il n’y a jamais eu autant de production et de diffusion d’images intelligentes, réfléchies, éditorialisées, avec un vrai regard d’auteur.
Les commandes paient peut-être moins qu’avant, mais la diversité de médiums et le besoin d’images n’a jamais été aussi important.
Loin du discours pitoyable des vieux croulants du métier qui s’accrochent au « c’était mieux avant », la photographie vit très certainement à nouveau un Âge d’Or ! Oui je l’annonce officiellement ! ( et paf ! si cette phrase fait pas le buzz…)

On a donc jamais eu autant de revue de qualité qui publient des reportages ou portfolios ( 6 Mois, XXI, Epic, 180°, 12°5, Like, Polka, Long Cours, Fisheye, We Demain, Gibraltar, Sept, la Déferlante, la revue des ÎLES, 24H01, We Demain, et bien d’autres…) jamais autant de festivals (Femmes Photographes d’Houlgate, L’Oeil Urbain à Corbeil-Essonnes pour les plus récents…) , galeries, prix, bourses, résidences, musées… jamais autant de site d’information en ligne (Rendez-Vous Photos, les Jours, avec les diaporamas publiés sur les sites de Médiapart, du Monde, de la Croix…) bref la liste est longue de ce qui se fait autour de la photographie pour contrer la morosité ambiante.

Certes on sort de trois confinements qui auront duré plus d’une bonne année. De nombreux photographes sont restés sur le carreau, certains ne se relèveront pas, d’autres ont déjà changé d’orientation, de métier. Mais de nombreux jeunes débarquent chaque année avec une ambition, un talent d’écriture visuelle et de réflexion éditorialiste beaucoup plus riche et subtil que ma génération ou celles de me prédécesseurs n’étions capable de produire à 20 ans.

Notre société va vite, de plus en vite. Elle ne cesse de se mouvoir, se modifier, évoluer, changer. Comme il est fini le temps où l’on achetait un boitier photo qui pouvait durer 15 ou 20 ans, il est fini le temps où en sachant vaguement cadrer et exposer sa pellicule, mais avec beaucoup de culot, on pouvait devenir photographe. J’ai souvent entendu les anciens dire avec l’agacement de ceux qui se sentent débordés par la fougue et la créativité de la jeunesse:  » avec le numérique c’est facile, on ne peut jamais rater sa photo ». C’est raisonner à l’envers. C’est parce qu’il n’est plus possible de rater (théoriquement) sa photo, que le métier est devenu encore plus dur : la concurrence n’a jamais été aussi féroce, implacable, intransigeante.

Mais on est passé depuis bien longtemps à un métier qui se nourri d’abord de la conviction, de l’engagement et de la passion. Il finit par payer quand on s’y accroche, qu’on ne lâche rien, que l’on sacrifie tout. Je dis ça mais je ne me leurre pas, c’était peut-être surement déjà le cas dans le monde d’avant. Le monde d’après est celui de reportages plus complexes à réaliser : moins de frais payé par la presse, moins d’engagement financier de la part des magazine ou agences, moins d’argent tout court au final. Moins de place dans la presse, plus de photographes et de propositions clé en main de sujets de qualité venus des quatre coins de la planète. Plus d’autorisations à demander, de mails à envoyer, plus de menaces de procès ou de menaces physiques tout court. Plus d’enlèvement, de confrère·soeurs pris·es pour cible.
Mais aussi plus de méfiances dans la rue, au sein d’une entreprise, d’un parti et même d’une simple association de quartier ou du club de retraités qui tous voudront autant contrôler leur image qu’une star mondiale de la chanson ou du cinéma. Toujours plus d’attachées de presse, plus d’agent, plus de gardes du corps, plus de conseillers, plus de responsable communication… plus de tout, moins d’images non contrôlées.
On vous demande cent fois de vous justifier, on tente de valider ce que vous photographiez, pour qui, pour quoi. On vous assène un: « et mon droit à l’image? » à tout bout de champ ou de rues. On vous attaque ou on vous censure pour nudité, photos d’enfants non autorisées, secret industriel, sécurité au Président, parfois même dorénavant parce que vous êtes un homme blanc occidental chargé du poids de l’Histoire et des préjugés que vous devez surement porter en vous, par votre regard.

Reste la question la plus difficile à répondre: quoi montrer? Que raconter ? Que dire, et comment le dire?
Voyager ? Montrer l’inconnu comme le faisaient nos aïeux? Ceux dont les reportages nous faisaient rêver. Exotisme et actu chaude, ces deux mamelles de la photographie de reportage me paraît presque désuet. Certes le Covid est passé par là. L’avion n’est-il pas tellement  » monde d’avant »: trop cher, trop polluant, trop impactant. De toute façon après la crise mondiale, qui veut encore partir à l’autre bout du monde? Pour raconter quoi? Le reportage que vous avez déjà vu mille fois et que vous rêvez de refaire ? Le préjugé que vous avez en tête parce que vous lisez toujours les mêmes clichés sur le peuple Dogons, les transsexuels thaïlandais ou un énième pays présenté et à montrer comme forcément misérabiliste ? Quel est notre responsabilité sur l’information ou la désinformation ? Sur les « clichés » éculés et indigestes?
Les « influenceurs » et touristes de l’image sont devenus les nouveaux « reporters » dans de nombreux pays. Plus ils publient, moins ils ne me donnent envie de voyager. Le tourisme photographique de masse a aussi détruit l’authenticité – ce qui faisait le charme du voyage – pour nous servir du « rendez-vous en terre ultra connue ». La surproduction d’images a dénaturé les cultures, les peuples, les traditions. Internet et la photographie ont tout formaté. A force de tout montrer on finit par ne plus rien voir !

Alors après ce topo d’un dépressif en phase terminale, quel est encore notre rôle nous photographe ? N’est-il pas celui de raconter dorénavant le monde qui nous entoure plutôt que celui qui nous échappe, si loin de là où nous vivons ?
Le sujet « en bas de chez vous » est terriblement d’actualité. Pas de frais, une bonne connaissance du terrain, de la langue. Une possibilité de suivre sur des semaines, des mois, voire des années. Bref le travail documentaire idéal. Cela fait peut être moins rêver, mais c’est notre nouvel exotisme: aller puiser dans notre vie de tous les jours les pépites humaines qui s’y trouvent.

Toutes ces questions je me les pose dorénavant. Je ne me les posais pas ou presque pas avant 2020 et cette pandémie mondiale doublée d’une crise mondialiste.
Bon je dis ça, mais en même temps je reviens de Dubaï où j’ai passé une semaine en reportage pour un magazine, et je ne rêve que de retourner une fois de plus en Haïti continuer mon travail de fond entamé sur ce petit bout d’île.

C’est fondamental que notre métier évolue. On ne peut plus raconter comme avant le monde d’aujourd’hui. Les outils ont changé, le regard aussi, la diffusion encore plus. L’énergie, les projets, les initiatives débordent. La photographie documentaire s’est enrichie du point de vue artistique. Passé cette crise, le métier va continuer de se relever, se renouveler, on va sortir peu à peu de l’engourdissement pour continuer ce que l’on sait faire de mieux : témoigner, montrer, démontrer. La presse ne sera plus le principal financier de nos travaux, mais son rôle et sa légitimité seront toujours fondamentaux pour les diffuser.

Quand je vous disais que notre métier avait encore de l’avenir.

La Rédaction
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