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Pour sa première carte blanche, il était impensable que notre invitée, l’autrice et traductrice Miriam Rosen n’inaugure par cette semaine éditoriale en rendant hommage à ceux et celles qui partagent sa passion pour les livres de photographie. Celle qui se laisse guider par son instinct et son « oeil flottant », qui la dirigent (presque toujours) vers des livres inspirés et par des projets plus ambitieux que celui de « faire » un simple livre nous parle de Clément et Nobué Kauter à la librairie Le Plac’Art Photo et de Samuel Hoppe et Isabelle Leblanc à la librairie VOLUME  qui participent à enrichir une bibliothèque passionnante !

Dans un autre siècle, un autre pays et une autre vie, j’ai découvert à deux pas de mon appartement au quatrième étage (sans ascenseur) d’un vieil immeuble dans un quartier populaire du sud de Manhattan en plein embourgeoisement une minuscule boutique qui ne vendait que des cartes postales reproduisant toutes sortes d’oeuvres d’art, historiques ou contemporaines. Des cartes postales haut de gamme, glanées des institutions culturelles du monde entier. Ce qui voulait dire que je pouvais facilement y faire un saut et remplir mes désirs visuels du jour pour trois fois rien. Peu importe que ce n’étaient « que » des cartes postales : au contraire, j’aimais – et j’aime toujours – des images à petite taille. De même que j’aimais – et j’aime toujours – la possibilité de les glisser dans les coins et recoins de mon appartement, aujourd’hui au quatrième étage (sans ascenseur) d’un vieil immeuble dans un quartier populaire du sud de Paris en plein embourgeoisement.

Voilà pour mes seuls objets de collection.

Quant aux livres, je les accumule : par affinité, par curiosité, par pur hasard. Dont certains sont connus aujourd’hui sous le nom de « livres photo », en commençant par ce qui est toujours mon préféré : Sur la lecture d’André Kertész (la petite édition de poche du livre original de 1971, mis en page par Kertész lui-même, que j’ai découverte à la librairie Strand dans les années 80).

Fidèle à Borges, j’ai toujours pensé que le Paradis serait une sorte de bibliothèque, une bibliothèque dont les collections précieuses seraient mises à disposition de tous ses lecteurs et toutes ses lectrices. Un refuge collectif pour corps et âmes.

A vrai dire, j’ai commencé à écrire sur les livres photo – ou plus précisément, j’ai commencé à proposer de tels articles, sans grand succès au départ – à cause de mon amour des livres, mon addiction aux images (et au graphisme) et une aversion prononcée envers la marché de la photographie qui était alors en train d’engloutir la photographie.

Aujourd’hui, quand le marché des livres photo est en train d’engloutir les livres photo, je tiens plus que jamais aux vertus de l’affinité, de la curiosité et du pur hasard face à la surabondance de produits, de « favoris » et de prix discernés à tous les coins de rue. Je me fie à mon oeil flottant, au toucher et à une sorte de radar qui, presque toujours, me guide vers des livres inspirés par des projets plus ambitieux que celui de « faire » un livre.

L’annus horribilis 2020 a transformé cette quête merveilleuse en mission presque impossible. Mais il m’a aussi rendu au combien plus consciente de mon attachement aux anges gardiens qui m’accompagnaient avant que les confinements, les couvre-feux et autres distanciations sociales ne nous séparent derrières nos écrans respectifs : les libraires ami·es, ces avant-coureurs dont le fonds de commerce comprend aussi l’intuition, la passion, l’audace qui les amènent hors des sentiers battus de l’édition.

En effet, mes « Best of », mes « lauréats », mes « favoris » sont les libraires qui me manquaient si cruellement jusqu’à nos retrouvailles successives entre les confinements : Clément et Nobué Kauter à la librairie Le Plac’Art Photo et Samuel Hoppe et Isabelle Leblanc à la librairie VOLUME.

Nobué Kauter au Plac’Art Photo, 20 septembre 2020 /Photo MR

Les Kauter sont des self-made libraires. C’est en 2008 que Clément fait son entrée dans le métier en s’installant dans un passage cocher près du boulevard Saint-Germain (le « Plac’Art » éponyme) avec un projet plutôt modeste de vendre des livres et des revues de sa propre collection afin de pouvoir en acheter d’autres. Nobué, venue du Japon pour étudier le stylisme de mode, ne tard pas à le rejoindre (par mariage). Et les livres d’occasion sont progressivement complétés par de nouveaux titres, des livres rares, une sélection de livres japonais, anciens et nouveaux (devenue une spécialité-maison), des mini-expositions, des catalogues thématiques… sans oublier une joyeuse bande de clients et/ou d’amis constituée au fil de présentations et de vernissages dans la cour derrière le passage cocher.

”Zines !”, exposition-vente au Plac’Art Photo, mai 2021/Photo MR

En 2015, Le Plac’Art déménage dans des locaux plus classiques, avec plus de place pour les livres, les expositions et les événements. Le réseau de photographes, éditeurs, graphistes, collectionneurs et autres fidèles s’est élargi aussi (même en ligne, malgré les réticences initiales du maître des lieux). Mais c’est toujours l’attachement à l’art et l’artisanat du livre photo et à la dimension humaine du métier de libraire qui prime.
Pour preuve  : « Zines ! », une exposition-vente de plus de 200 micro-éditions, auto-éditions et séries préparée pendant les confinements et couvre-feux successifs et présentée au mois de mai, sur place et en ligne. Quatre décennies de production indépendante, faite-main, low-tech, hi-tech, pour tous les goûts et tous les budgets. A l’image du thème, et de l’esprit du lieu, un « catalogue-zine » a été autoédité par Le Plac’Art en collaboration avec A La Maison Printing, qui s’est occupé du design et de l’impression (en photocopie et en laser couleur, sur différents papiers typiquement utilisés pour les zines).

Catalogue-zine de l’exposition “Zines” au Plac’Art Photo/@alamaisonprinting

https://placartphoto.com/

Librairie VOLUME, Isabelle Leblanc, Samuel Hoppe et une cliente, juin 2021/Photo MR

Quant à VOLUME, il ne s’agit pas d’une librairie photographique. Créée en janvier 2014 par Hoppe et Leblanc, deux anciens de la vénérable librairie d’architecture Le Moniteur qui avait fermé ses portes à la fin de 2012, elle est centrée sur l’architecture, l’urbanisme et le paysagisme. Mais pas exclusivement : en plus du graphisme et des livres pour enfants, la photographie s’y est fait une place. Ou plutôt, Hoppe, lui-même photographe, lui a fait une place en réunissant des livres liés à l’architecture, quelques livres classiques de photographie et de plus en plus de livres photo dénichés chez de petits éditeurs ou auto-édités. Et en organisant lui aussi des mini-expositions thématiques et/ou des lancements de nouvelles parutions.

https://www.librairievolume.fr/

Lors de ma dernière visite, j’ai été détournée du chemin habituel vers les rayons photo par une drôle d’exposition : de grandes feuilles d’impression accrochées aux deux murs latéraux faisant office de galerie. En attendant de devenir un livre, après le découpage et le pliage des cahiers, des photographies, des dessins et des textes littéraires – de Vitruve à nos jours – s’enchaînaient, tantôt à l’endroit, tantôt à l’envers. Ce qui incitait pour le moins à une attention particulière, aussi bien aux images qu’aux textes (écrits de surcroît dans leurs différentes langues d’origine et avec les polices de caractères d’époque).

Librairie VOLUME, Samuel Hoppe et un client, juin 2021/Photo MR

Le livre en question s’appelle Of Sand and Stones (Du sable et des pierres) et il propose, à l’instar de l’exposition, un « voyage » à travers la construction de trois immeubles à usage mixte dans le quartier parisien de Clichy-Batignolles. Les images sont de Julien Hourcade, photographe d’architecture, et également – chose moins habituel – le designer du livre, avec tout ce que son regard apporte au déroulé du récit visuel et au dialogue avec les récits textuels. Encore moins habituel, pour le moment du moins, c’est notre librairie-photographe Samuel Hoppe qui s’avère être l’éditeur de l’ouvrage chez la jeune maison d’édition indépendante Rue du Bouquet.

Librairie VOLUME, exposition “Of Sand and Stones”, juin 2021/Photo MR

La Rédaction
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