Temps de lecture estimé : 6mins

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invitée, l’autrice et traductrice Miriam Rosen a souhaité nous parler de Sputnik Photos, un collectif de photographes venant d’Europe centrale et orientale et aujourd’hui basé en Pologne. Ce sont pour Miriam des ami·es de longue date, ils constituent ensemble une association et souhaitent utiliser leur position d’artistes photographes pour faire avancer les choses « si possible » sur leur territoires et ceux environnants. Présentation d’un collectif pas comme les autres…

Ils et elles étaient une joyeuse bande de jeunes photographes venant de ce qui s’appelait depuis peu « l’ex-bloc soviétique ». Rencontrés en 2004 lors d’un stage de professionnalisation organisé par la Fondation européenne pour la Culture et l’agence VII, ils décident deux ans plus tard de créer le bien nommé Sputnik Photos, l’association internationale de photojournalistes de l’Europe centrale et orientale.

Sputnik Photos, portrait de famille. De g. à dte (devant) : Marzena Michałek (l’administratrice/cheville ouvrière du collectif), Karolina Gembara, Rafał Milach ; (derrière) : Agnieszka Rayss, Adam Pańczuk, Michał Luczak, Jan Brykczyński.

Avec toute l’imagination des débutants qu’ils étaient, et sans doute un brin de naïveté concernant l’ampleur du travail à venir, ils se lancent dans un premier projet collectif autour de l’immigration clandestine… dans les nouveaux pays membres à l’est de l’Union européenne. Au bout de deux ans et à travers huit mini-récits par autant de photographes, At the Border (À la frontière, 2010) donnera à voir et à ressentir le vécu de Masha la Biélorusse, de Tamriko et Sophia les Géorgiennes, de Linh le Vietnamien à Varsovie ; de Volod’a, Ludmila, Vasil et leurs compatriotes ukrainiens venus en Slovaquie ; de Serge, le footballeur camerounais réfugié en Slovénie… mais aussi de l’ex-mari de Masha, resté en Biélorussie avec leur fille, ou du beau-frère de Tamriko, qui compte retenter un retour à Varsovie.

Sputnik Photos, At the Border (2008). Sofia, migrante géorgienne, derrière son stand au marché de Bródna, Varsovie, 2006, photographie d’Agnieszka Rayss.

Au-delà des histoires de ces personnages sortis de leur anonymat habituel, et de la complicité assumée entre photographes et photographié.e.s, ce qui frappe, aujourd’hui encore, est l’originalité des images, la volonté d’expérimenter différentes façons de les présenter (dans ce cas, une exposition itinérante, une vidéo et un remarquable premier livre photo),
Et on peut dire que ces qualités sont restés les signes distinctifs et collectifs de Sputnik Photos. Auxquelles s’ajoute, par la force des choses, une redoutable capacité de se réinventer.

Sputnik Photos, Distant Place (2012), exposition au Pavillon 512 du Copernicus Science Centre, sur les berges de la Vistule, Varsovie, ici les photographies de Rafał Milach et Jan Brykczyński (photo d’installation © Studio Stauss).

Dans un premier temps, Sputnik Photos se tourne – avec une prévoyance de proximité – vers l’Ukraine et la question de l’identité (« U », 2010), et ensuite – après une petite escale en Islande (IS(not), 2011) – la Biélorussie, alors en attente de la fin de règne toujours attendue d’Alexandre Loukachenko (StandBy, 2012). Puis ce sera au tour de l’Arménie et de l’Azerbaïjan, entre autres, et la création d’un vaste projet regroupant les archives individuelles du collectif sur les « Territoires perdus » de l’ex-URSS (Lost Territories Archive, LTA, 2016 – ). Et aujourd’hui, un autre projet-enquête d’envergure : Poland – The State of Research (La Pologne – L’état des recherches).

Sputnik Photos, Distant Place (2012), coffret des livres photo des 5 participants au projet, Jan Brykczyński, Michał Luczak, Rafał Milach, Adam Pańczuk et Agnieszka Rayss.

Comme le raconte deux membres-fondateurs de Sputnik, Jan Brykczyński et Agnieszka Rayss (que j’ai la chance de connaître depuis At the Border): « Au départ, nous voulions avoir un collectif vraiment international réunissant des photographes de l’Europe centrale et orientale. Mais progressivement, le poids administratif qui tombait sur l’équipe polonaise (déjà majoritaire), et les limites de l’engagement que pouvait assumer à distance le reste du collectif, nous ont conduits à inviter d’autres photographes de la Pologne. Alors il s’est bientôt avéré que nous nous sommes focalisés sur la réalité locale ici, notamment la situation politique, sociale et écologique. »
Et cette réalité, poursuivent-ils, est devenu un défi : « La situation en Pologne a évolué d’une ennuyeuse démocratie presque établie à un régime autoritaire et instable. Il était donc naturel de nous tourner vers notre réalité locale. »

Sputnik Photos, « Lost Territories : SEDIMENT » (LTA 2), vue de l’exposition au Centre for Contemporary Art, Varsovie, octobre 2016-février 2017.

Sputnik Photos, Fruit Garden (2016, LTA 3), Musée d’anatomie, Baku, Azarbaïjan.

Comment fonctionne Sputnik Photos aujourd’hui, qu’apporte le collectif à ses membres ?
« D’abord, nous sommes un groupe d’ami.e.s partageant des valeurs et des intérêts similaires. Nous réfléchissons ensemble et parfois appellent à l’action. Nous nous servons de notre position en tant qu’artistes pour faire avancer les choses si possible. »
« Ensuite, nous sommes un collectif, constamment à la recherche d’une voix commune, des façons de collaborer sur des projets artistiques.»
« Enfin, nous sommes une plateforme culturelle et éducative (presque une institution !). Nous nous sommes très investis dans notre programme de mentorat [inauguré en 2012], qui a contribué à l’émergence de toute une génération de jeunes artistes en Pologne et dans les pays voisins. Nous collaborons avec d’autres ONG et des institutions culturelles. Et nous faisons entendre notre voix dans des débats politiques. »
Mais finalement, résument mes interlocuteurs (et ami.e.s de longue date) : « En parlant des choses locales, vous parlez des problèmes globaux. Cette idée bien connue dans le journalisme est redevenue d’actualité pour nous. »

Équipe soignante de l’Université médicale de Varsovie portant les viseurs de protection produits et distribués à travers la Pologne par Sputnik Photos pendant la première vague de la pandémie du COVID-19, 2020. L’opération a été financée par une vente de tirages et de livres photo sur le site de crowdfunding Zrzutka.pl et les viseurs fabriqués dans l’atelier de l’une des anciennes du programme de mentorat. (photo : Facebook, DR).

https://www.sputnikphotos.com/ (en polonais et en anglais)

Pour compléter les quinze années de projets qui foisonnement sur le site, ce texte du curateur indépendant, critique d’art et chroniqueur Stach Szablowski  propose une vue d’ensemble :
https://www.sputnikphotos.com/polska-stan-badan-2/ (traduction anglaise)

Clap de fin : Je tiens à remercier, par ordre d’apparition
– Clément et Nobué Kauter de la librairie Le Plac’Art Photo et Samuel Hoppe et Isabelle Leblanc de la librairie VOLUME, qui me comblent avec leurs trouvailles ;
– Gabriella Cendoya Bergareche, qui me montre qu’un autre « coleccionismo » est possible ;
– Ricardo Báez, qui partage avec moi ses connaissances encyclopédiques du graphisme en faisant preuve d’une générosité sans limites ;
– Mes ami.e.s de Sputnik Photos qui me rappellent que la créativité n’exclut pas l’humour.

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

    You may also like

    En voir plus dans L'Invité·e