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Notre invité de la semaine, Eric Le Brun fondateur de l’agence et maison d’édition Light Motiv, termine sa carte blanche éditoriale en évoquant la pratique photographique documentaire et l’émergence de missions commandées par des institutions hors monde de la culture, l’occasion de présenter les travaux de quatre photographes : Nadège Fagoo, Anouk Desury, Richard Baron et Thierry Girard.

Récemment notre agence Light Motiv a été choisie pour accompagner un processus de recherche-action initié par le Centre de gestion des collectivités territoriales du département du Nord sur les risques de dégradation de la santé mentale au travail.

Que peut-on montrer de la vie quotidienne des agents en arrêt (dans la fonction publique, les chiffres deviennent inquiétants, 40% des arrêts maladie sont dus à des formes de troubles mentaux, souvent des burn-out) qui puisse être utile à la recherche sans nuire
à leur anonymat souhaité?
Comme une détective, Nadège Fagoo, photographe de l’agence, a proposé de recueillir chez chaque salarié, les indices de leur présence projetée dans les objets qui les entourent, incorporer des détails insoupçonnés de leur passage ou même la vibration d’une ombre, d’un reflet, tout en évitant de photographier leur visage. Puis en rassemblant les images, Nadège a composé un portrait fragmenté de chaque personne. Le 6 octobre à Lille, l’exposition était présentée en ouverture d’une table-ronde réunissant experts, médecins, psychologues, sociologues, mais aussi les agents concernés, des maires et des directeurs ou directrices de ressources humaines. La scénographie était assez directive et obligeait, à notre initiative, chaque participant à longer les pans photographiques avant de rejoindre la grande salle de conférences. Puis, en redoublant par la parole l’impact des images, l’audiovisuel « D’un coup, le silence » était projeté avant d’entamer les débats.

Il est probable que cette imprégnation visuelle a influencé la nature des échanges. Chacun gardait en mémoire les images reçues, comme une alerte subconsciente à ne pas s’écarter des personnes dont on parle. Dans ce contexte, tous les participants semblaient s’exprimer en ayant intégré le quotidien observé par la photographe. Et cette acceptation commune a sans doute dessiné une base transversale à même de développer la discussion vers les actions de prévention et/ou de soutien.

© Nadège Fagoo

© Nadège Fagoo

© Nadège Fagoo

© Nadège Fagoo

Peu à peu, en dehors des institutions culturelles où le chemin est quelquefois plus difficile, se dessinent les contours d’une photographie dite documentaire qui saisit, analyse et développe les sujets de société visibles ou cachés. Quelque chose est en train de changer sur la mesure de l’efficacité du medium photographique comparée à l’expression écrite. Il arrive, même si c’est encore rare, qu’une structure associative ou publique, animée par une équipe sensible à la perception visuelle des thématiques difficiles, envisage la commande de missions photographiques en immersion sur des durées plus ou moins longues en tenant compte de l’avis des professionnels de l’image. En ce moment, au sein de l’agence Light Motiv, Anouk Desury, photographe, accompagne sur plus d’un an, six femmes protégées de leur compagnon violent par l’association Solfa qui a souhaité rendre publiques les étapes quotidiennes que chacune doit franchir pour reprendre goût à la vie. Et Samira El Ayachi, écrivaine, complète le récit des obstacles, des doutes et des espoirs possibles.

© Anouk Desury

© Anouk Desury

© Anouk Desury

Sur un autre domaine, Richard Baron finira en 2022 une longue résidence photographique sur le transfert d’un hôpital dédié aux pathologies du cœur et des poumons à l’intérieur du CHU de Lille. Il a pris le parti de figurer les personnels soignants ou techniques, hors tenue de travail, dans les couloirs, les escaliers ou les salles en associant leurs attitudes au contexte dans lequel ils évoluent. En trois ans, on est ici passé d’une médecine élaborée dans un bâtiment sanatorium de 1930 à une architecture construite de façon élargie et fonctionnelle afin de favoriser les séjours courts, servis par une technologie médicale de pointe au niveau européen. Une prochaine exposition permettra de visualiser et comprendre cette accélération du temps à deux cent mètres d’intervalle.

© Richard Baron

© Richard Baron

© Richard Baron

Dans ces missions en cours, le photographe n’arrive pas à la fin d’une démarche réfléchie et écrite par d’autres pour simplement illustrer les résultats mais peut être invité à participer pleinement à la recherche, à l’accompagnement ou à la transformation. En ce sens, les Observatoires photographiques du Paysage qui m’ont toujours fasciné, font figures de précurseur, et même s’ils sont souvent en sommeil, leur reprise enrichie ou la naissance opportune et assouplie de nombreux autres seraient une manière rénovée de connaître l’évolution des territoires, par exemple des anciens sites industriels sans devoir les imaginer seulement à travers les relevés de géomètres ou les vues aériennes de Google Earth. Au-delà du talent et de l’intuition du photographe missionné, il s’agit bien là aussi de conforter une vision commune du réel qui se modifie lentement sous nos yeux, et ainsi enregistrer des éléments utiles pour tous dans les décisions d’aménagement ou de conservation à prendre. Thierry Girard, dont le travail d’« observateur du paysage » est remarquablement accompagné dans Paysage Temps paru aux Editions Loco, et dont Light Motiv a publié Le Monde d’après en 2019 est certainement le photographe emblématique de ces évocations régulières du temps qui passe avec ou hors l’emprise humaine.

© Thierry Girard – Observatoires photographiques du Parc naturel régional des Vosges du Nord et de la Baie du mont Saint-Michel.

© Thierry Girard – Observatoires photographiques du Parc naturel régional des Vosges du Nord et de la Baie du mont Saint-Michel.

http://www.lightmotiv.com

La Rédaction
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