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Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine, Yasmine Chemali, directrice du Centre de la Photographie de Mougins, a souhaité apporter un éclairage particulier sur une des séries de Natasha Caruana « Muse on Muse » qui est actuellement exposée au Musée à l’occasion de « L’amour toujours » aux côtés de Jenny Rova. À voir jusqu’au 30 janvier, cette installation est un récit autobiographique autour d’une relation amoureuse triangulaire.

La première série de Natasha Caruana, « The Other Woman » (2005) mettait déjà en avant des sujets cachés ou refoulés dans l’imaginaire culturel invitant le spectateur à confronter ses préjugés face à certaines situations d’amour.
L’amour, fil conducteur dans la pratique de l’artiste depuis plus de 15 ans, se donne à voir au Centre de la photographie de Mougins jusqu’au 30 janvier 2022, avec les œuvres de Jenny Rova et de Natasha Caruana. Toutes deux ont développé une pratique autobiographique et s’offrent, avec générosité, au regard des visiteurs.

« Muse on Muse », Natasha Caruana, 2021
Installation au Centre de la photographie de Mougins
© Communication Ville de Mougins

« Muse on Muse », Natasha Caruana, 2021
Installation au Centre de la photographie de Mougins
© Communication Ville de Mougins

Avec sa nouvelle série, « Muse on Muse » (2021), Natasha Caruana va encore plus loin : l’artiste revient sur la liaison extraconjugale qu’elle a eue, plus jeune, à l’âge de dix-huit ans et tisse un récit assez mystérieux, dont le point de départ est un rêve. Caruana se donne alors pour objectif de produire une image dans laquelle son mari et l’homme marié sont mis en scène, nus, en contact peau contre peau. Elle transforme ces deux hommes de sa vie en « muses ». Loin d’être des déesses, les muses de Caruana sont issu(e)s de sa vie personnelle.
Un moment important du récit est le moment où Caruana retrouve l’homme marié, avec qui elle n’avait plus aucun contact, afin de lui proposer l’idée de la photo, nu avec le mari, Simon. L’homme marié (dont on ne connaîtra pas l’identité) accepte à l’unique condition que Caruana passe la nuit avec lui. Si l’artiste souhaite d’abord se rétracter face à son propre projet, c’est, encouragée par son mari, qu’elle accepte d’aller de l’avant, pour le bien de sa pratique artistique.

Touching © Natasha Caruana

En écoutant le récit, les visiteurs de l’exposition sont souvent gênés par cette pièce, parfois ils s’en amusent. Certains sont choqués, n’arrivant pas à croire que le mari la laisse passer la nuit avec l’ex-amant, ne concevant pas non plus l’idée-même qui préfigure à la rencontre ou encore le fait de mettre sur les murs une telle œuvre.
Caruana, dans sa pratique, dépasse un certain nombre de comportements archétypaux.
Ce dont il est question à travers ces images c’est de surveillance, une question de points de vue. L’installation « Muse on Muse » rassemble certaines photographies prises à partir d’une caméra cachée par la montre de Natasha Caruana, associées à des captures d’écran du mari qui utilise alors l’application Find My Phone pour suivre les mouvements de sa femme jusqu’à sa rencontre avec l’homme marié. La technologie de surveillance soulève des souvent questions sur la manière dont le corps des femmes est contrôlé. Avec « Muse on Muse », on parle aussi de la surveillance du soi, une surveillance contrôlée par les femmes, comme mesure de sécurité, que ce soit en rentrant chez elles après une soirée ou en rencontrant pour la première fois quelqu’un sur une application de rencontre. A priori, l’installation à Mougins ne donne pas à voir ce sujet car la plupart des visiteurs s’arrêtent à ce qui est sous les yeux, à l’immédiat.

Consumed © Natasha Caruana

Haunted by an image © Natasha Caruana

Le travail de Natasha Caruana se situe souvent dans un entre-deux et un entre-soi aussi. Entre les idées préconçues, les règles de bienséance et la position du spectateur. Est-il spectateur-juge ou spectateur-voyeur ? Déjà dans sa série « Married Man » (2008-2009) l’artiste se plaisait à nous questionner sur celui ou celle qui est dans le « mauvais » : est-ce l’homme marié qui trompe ou l’artiste qui se fait passer pour quelqu’un d’autre ? Qui est utilisé ? Qui utilise qui ?
Dans son travail « A Fairytale for Sale » (2011-2013), en utilisant des images faites par d’autres, sur lesquelles les personnes qui mettent en vente leur robe de mariée masquent leur visage à partir d’un logiciel de retouche d’image ou à main levée, au feutre noir, là encore l’artiste questionne la place de l’image. À qui appartient-elle ? au photographe de mariage, au couple photographié ou encore à Natasha Caruana qui compose un récit ? La maîtrise de la technologie confère-t-elle vraiment du pouvoir ? Pouvons-nous encore nous en protéger ?
« Muse on Muse » est un projet interrompu par la pandémie. Cette photographie des deux hommes, peau contre peau, n’aura jamais lieu. Natasha Caruana prépare un nouveau chapitre à cette œuvre, pour un nouveau lieu. À suivre en 2022.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven29oct(oct 29)10 h 00 min2022dim30jan(jan 30)19 h 00 minL’amour toujoursJenny Rova & Natasha CaruanaCentre de la photographie de Mougins, 43 rue de l’Église 06250 Mougins

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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