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Notre invitée de la semaine, Yasmine Chemali, directrice du Centre de la Photographie de Mougins, a choisi de consacrer sa quatrième et dernière carte blanche, à l’artiste libanais Nasri Sayegh. En Août 2020,  il est contraint de fuir Beyrouth, exilé contraint, il trouve refuge en France. Il est actuellement en résidence à la Villa Arson à Nice et entame un travail introspectif où se mêlent archives et coupures de journaux, photographies de famille et vues prises de Bekaa, une plaine libanaise.

Nasri Sayegh dans son atelier à la Villa Arson, janvier 2021

« Je veux juste dormir ». Un appel à la détresse. Une mission d’humanité. Une leçon de vie. Nasri Sayegh ne l’a pas choisie. Lauréat du programme de résidences de l’institut français à la Cité internationale des arts (Paris), actuellement en résidence à la Villa Arson (Nice), l’artiste libanais n’a pas choisi son exil. Nasri Sayegh a quitté Beyrouth suite à l’innommable explosion du 4 août 2020. « Tout a disparu » et face à cela, il ne reste que soi-même. Se retrouver face à soi et continuer à avancer. Avoir envie d’avancer. Et de dormir aussi. Une introspection. Parfois douloureuse.

© Nasri Sayegh, Rocher(s) : Mésozoïque, 2019

Depuis une année et demie, Nasri Sayegh n’a pas fait une seule photographie. Il confie qu’il aime photographier ce territoire qu’est le Liban, n’y étant pas retourné depuis. Alors il écrit sur l’image. Ses mots sont durs. « Image Partielle Image Partielle Image Impotente Inapte Assassine Dégradante Faire Feu De Toute Image Tordre La Pellicule Saboter Les Pixels Pulvériser La Chambre Obscurcie Non Je N’Irai Pas Capturer L’Image Du Crime Faire Brasier De Toute Image Et Tenter Le Mot Encore Une Photographie Ne Saurait Faire Office De Document Empreinte Cérébrale Empreinte Corporelle Ceci Est Mon Image Ceci Est Mon Apocalypse Nous Sommes La Photographie Nous Sommes Le Document Ceci Est Mon Corps Exhibez-Le Sur La Place Publique Dans Vos Muses Puis Approchez Approchez Encore Regardez » (Le Katroût, De l’impotence de l’image – Chant(s) Dernier(s) et/ou Opéra(s), Nasri Sayegh, pour L’Orient-le-Jour, 03 août 2021).

© Nasri Sayegh, Rocher(s) : Paume, 2020

Nouvelle temporalité, nouveaux territoires, Nasri devient artiste en résidence, nomade. Il transporte avec son rakwé, ses tasses et sa petite cafetière en cuivre. Hospitalité inchangée. Résident, studieux plus que jamais, il commence un travail introspectif où se mêlent archives et coupures de journaux, photographies de famille et vues prises de cette Bekaa (une plaine libanaise que nous avons en commun lui et moi, village des grands-parents) face au Mont Hermon.

© Nasri Sayegh, Il y a aussi la langue crépusculaire, 2021-2022

© Nasri Sayegh, Bekaa : Frolements, 2020

Dans son atelier, Nasri tapisse les murs de mots, de bouts de phrases ou d’idées, d’images du Rocher de Raoucheh à Beyrouth (l’une de ses obsessions), et d’un photo-montage d’une tabbouleh géante. Les murs de la pièce deviennent des strates d’informations, les strates d’une vie en pointillés où s’entremêlent photographies, collages, broderies, supports eux-mêmes aux images altérées, effacées, impotentes. Le processus est long, l’image brodée est une image imprimée. Nasri se dit intimidé par l’image ; elle le fascine mais il la craint. Alors il la distord, il la profane. Au final, « tout doit disparaître » : il faudra tout réduire en cadavre. Même ses vues de la plaine de la Bekaa sont falsifiées, étrangéisées. Le paysage connu, devenu lui aussi impotent, comme la photographie. En exil, il utilise ce temps suspendu pour recréer un monde « where no one else can see »* (Où Nul.le Autre Ne Peut Voir).

Nasri Sayegh fait partie des 100 artistes libanais invités en résidence en France au travers du programme d’urgence « NAFAS » (de l’arabe « souffle »), co-financé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de la Culture. Ce programme a pu être mis en place avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), de la Cité internationale des arts, des collectivités territoriales (régions Sud, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine ainsi que la ville et la Métropole de Lyon), le comité français des Villes créatives de l’UNESCO (villes d’Angoulême, d’Enghien-les-Bains, de Limoges, de Lyon et de Metz) et en partenariat avec plus de quarante structures hôtes. Au final, l’accueil en résidence d’un artiste n’est-elle pas avant tout une aventure humaine ? Et si le rôle de nos structures accueillantes était d’abord d’offrir un lit, un espace pour se reconstruire ?

*titre donné à son projet développé en résidence

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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