Temps de lecture estimé : 6mins

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invitée, la fondatrice et directrice artistique du Champ des Impossibles, Christine Ollier termine sa semaine en mettant à l’honneur Clémentine de la Féronnière, qui mène de front une maison d’édition et une galerie située en plein cœur de l’île Saint-Louis. Cette carte blanche éditoriale est l’occasion de partager un entretien avec Clémentine de la Féronnière, réalisé par Léa Jallut.

En 2011, parallèlement à une activité d’éditeur free-lance pour les musées parisiens, Clémentine de la Féronnière lance sa propre maison d’édition. C’est avec un premier projet d’édition et d’exposition intitulé Photographies soudanaises dédié à Claude Iverné et Rashid Mahdi, qu’elle démarre. Pendant cinq ans, la galerie alors éphémère et itinérante, porte un projet par an en novembre et construit son identité, nourrie par l’enthousiasme des photographes, des collectionneurs et des institutions. Au printemps 2016, elle s’installe de manière permanente dans la seconde cour du 51 rue Saint-Louis-en l’île, au cœur de Paris. En 2020, en pleine crise sanitaire, Clémentine de la Féronnière inaugure un espace librairie sur rue à la même adresse, et lance de multiples projets d’édition à succès, à l’instar de La Haine en collaboration avec Gilles Favier, JR et Mathieu Kassovitz ou encore du livre L’odeur de la nuit était celle du jasmin de la photographe FLORE qui remporte le Prix Nadar. La galerie représente aujourd’hui une quinzaine de photographes, parmi lesquels Martin Parr, James Barnor, Juliette Agnel, FLORE ou encore Guillaume Zuili.

Portrait de Clémentine de la Ferronnière © Johanna Jourdain

Léa Jallut : Quels ont été vos soutiens dans les premières années du développement de la galerie ?

Clémentine de la Féronnière : Nous avons beaucoup travaillé avec l’écosystème qui est celui de la photographie. Dès les premières années, les institutions ont été présentes à nos côtés. L’exposition inaugurale par exemple, Photographies soudanaises (2011), présentée rue Guénégaud dans la galerie prêtée par Jean-Claude Riedel, a fait l’objet d’un partenariat avec le musée du Quai Branly dans le cadre de Photoquai, biennale depuis disparue. La presse également, nous a tout de suite suivie avec bienveillance et sincérité. Dès la première exposition enfin, quelques personnes-clés nous ont montré leur soutien. Le galeriste Baudoin Lebon, ou l’éditeur Xavier Barral, ont été les premiers à faire l’acquisition de tirages photographiques chez nous, manifestant une forme d’engagement, une réelle envie de témoigner de la confiance qu’ils avaient en mon projet. J’ai pris le temps des premières années pour construire une histoire, sans précipitation et ce dans un temps long.

L.J. : En 2016, vous accueillez au sein de la galerie les archives du photographe ghanéen James Barnor, qu’est-ce que cela a représenté pour la galerie ?

C.F. : L’arrivée de l’archive James Barnor dans la galerie est symbolique de l’ouverture d’esprit qui nous caractérise. Situé à mi-chemin entre galerie et maison d’édition, notre projet est nécessairement propice au décloisonnement. La question qui s’est soulevée avec l’archive de James Barnor était de savoir comment soutenir un artiste en fin de carrière, et comment gérer matériellement son œuvre. Avec cette archive analogique, majoritairement composée de négatifs non triés ni légendés, il a fallu trouver des moyens techniques et financiers pour la sauver, puis l’exploiter. À cette époque, en 2016, on commençait tout juste à numériser les fonds photographiques en France. Il n’y avait pas de modèle, pas de protocole établi. Il nous a fallu plusieurs mois pour trouver la bonne formule, la financer et faire venir James Barnor, 90 ans, pour qu’il complète lui-même les légendes des 30.000 négatifs de l’archive. Un travail qui est encore en cours d’écriture et enrichi par le travail de plusieurs chercheurs, dont Margaux Lavernhe qui en a fait le sujet de sa thèse (EHESS).

L.J. : Ce rapport à l’archive et à sa conservation témoigne d’une vision spécifique du métier de galeriste. Comment le concevez-vous ?

C.F. : Je conçois ce métier sous la forme d’un engagement fort, qui s’adapte à chaque profil d’artiste. Pour James Barnor, c’était la question de la gestion d’une archive et l’enjeu de la promotion d’un artiste majeur à l’international ; pour un plus jeune photographe, ce sera un accompagnement de son écriture par la constitution de dossiers pour des résidences, des prix et des subventions. Pour d’autres encore, ce peut être un coup de pouce pour l’achat d’un appareil photo ou un stock de papier. Nous finançons par ailleurs systématiquement les productions d’exposition et d’édition. Selon moi, le métier de galeriste n’a de sens qu’en apportant une valeur ajoutée aux artistes et en soutenant leur production artistique.

L.J. : L’actuelle exposition, Broder l’invisible de Carolle Bénitah témoigne d’une photographie plasticienne. Avez-vous déjà pensé à ouvrir la galerie à l’art contemporain ?

C.F. : J’ai un intérêt particulier pour l’art contemporain que je collectionne. C’est un passage donc très tentant mais pas évident, notamment à cause de la spécificité du milieu de la photographie. Nous avons aujourd’hui construit une solide réputation dans cet écosystème, qui n’est pas automatiquement perméable au marché de l’art contemporain. L’ouverture à d’autres médium se fait pour l’instant à travers la production de nos artistes : par exemple la mise en perspective du support dans l’œuvre de Carolle Bénitah, l’image animée chez Juliette Agnel (Prix Niepce 2023) ou encore la photographie-objet chez Mikiya Takimoto.

EN CE MOMENT À LA GALERIE

ven12mai(mai 12)11 h 00 minsam22jul(jul 22)19 h 00 minCarolle BenitahBroder l’invisibleGalerie Clémentine de la Féronnière, 51 Rue Saint-Louis en l'Île, 75004 Paris

Hors les murs :
– Focus, Manifesta, Lyon, jusqu’au 24 juillet 2023
– James Barnor : Accra/London – A retrospective, Detroit Institute of Art, Detroit, 28 mai au 15 octobre 2023
– Juliette Agnel, La main de l’enfant, Rencontres d’Arles, Cryptoportiques, Arles du 3 juillet au 24 septembre 2023

Publications aux éditions Maison CF (en librairie le 23 juin 2023)
– Juliette Agnel, Un autre monde, Rencontres d’Arles 2023
– Portraits, la collection Florence et Damien Bachelot au musée Réattu, Rencontres d’Arles, 2023
– FLORE, Conversation avec Christian Caujolle, 2023

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

    You may also like

    En voir plus dans L'Invité·e