L'Invité·e

Carte blanche à Juliette Agnel : Parole aux photographes soudanais·es – Ahmed Ano

Temps de lecture estimé : 4mins

Pour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, la photographe Juliette Agnel qui vient de remporter le Prix Niépce et qui est actuellement exposée au festival des Rencontres d’Arles laisse la parole à Ahmed Ano, photographe soudanais exposé en 2021 lors de l’exposition collective à Arles « Thawra! ثورة Révolution! » curatée par Juliette et Duha Mohammed. Ahmed Ano a fui Khartoum, quelques jours après les débuts du conflit. Il nous raconte son départ et partage les images de son exil…

J’ai choisi de donner la parole aux photographes soudanais que j’avais exposés à Arles en 2021.
L’expo s’appelait « Thawra! ثورة Révolution! », et c’était l’heure heureuse de la chute d’un gouvernement qui liait leurs pieds et leurs mains depuis trop longtemps, révolution réalisée à la force vivante de la poésie, de la peinture, et de la musique.
En avril dernier, c’est un bouleversement meurtrier et l’arrivée massive d’une armée particulièrement féroce qui s’abat sur la capitale, elle s’empare notamment de Khartoum 2 qui devient une ville fantôme, ils entrent chez les gens, violent et tuent massivement, bombardent l’aéroport, les corps sans noms s’entassent.
Les civils ne peuvent plus partir, ils tentent de rejoindre l’Egypte ou l’Ethiopie, une grande partie fonce vers la ville la plus proche, Wad Madani, ils vont chez les parents, là où ils peuvent.
Les passeports ne sont pas là, pas de visas, pas d’argent pour le bus qui a vu son prix s’envoler au prix d’achat d’une maison…
Les visas sont bloqués, la France est rentrée.
Certains sont enfin arrivés au Caire, d’autres sont partis dans des régions plus calmes, à l’écart, ou bien encore, survivent à Omdurman où c’est un peu plus calme.
D’autres sont encore encerclés et apeurés.
Ils ont pris Saad Eltinay, ils sont venus le chercher dans sa maison de Khartoum 2 et l’ont retenus prisonnier. C’était au début, en mars. 3 semaines d’attentes et de peur qu’il soit mort. Ou torturé. Ou abandonné mort dans la rue.
Puis ils l’ont libéré. C’était inespéré.
Ils ont tiré une balle dans le genou de son frère le jour où Saad a enfin pu partir vers l’Ethiopie.
Ceux qui sont étaient en voyage en Allemagne, grâce à des résidences, je pense à Muhammad Salah, ou à Eythar Gubara sont tout de même dans des états de survie. C’est un traumatisme pour tous les soudanais, et pour les artistes soudanais, un rapt de leurs espoirs.

C’est pour ça que je vous propose de lire aussi la tribune qui a été publiée dans Le Monde, de la signer si vous le souhaiter, et de faire un don pour tenter d’aider les artistes soudanais qui en ont besoin. Il peut s’agir des cinéastes invités cette année à Cannes mais coincés à Port Soudan, ou des photographes qui ont exposés à Arles.

Lire et signer la tribune :
https://www.la-srf.fr/article/tribune-en-soutien-au-peuple-soudanais
Faire un don :
https://www.helloasso.com/associations/fnsac/formulaires/2?fbclid=IwAR0aYnZf2Q1weCf4_clyTUaEYOc86Z0JP3AsdG-2nxdmN92PdHZz3rTnE50

Ahmed Ano

J’étais dans l’un des pires endroits où me trouver lorsque les choses sont arrivées, c’était tôt le matin.
J’ai failli être abattu par un sniper le premier jour. Je ne savais pas ce que je ressentais et j’étais comme un robot, essayant de faire ce qu’il fallait pour rester en vie.
Je me suis enfui de chez moi avec quelques amis, je suis resté dans deux endroits différents à Khartoum avant de décider de quitter la ville.
J’ai tout laissé derrière moi, mon appareil photo, mon ordinateur portable, mes disques durs avec toutes mes données et photos depuis 2013, mon ordinateur portable, et ma chère voiture, dont j’ai appris récemment qu’elle avait été volée. Et je ne suis pas aussi optimiste pour le reste, probablement que tout est volé aussi maintenant.
Je n’ai pas craint pour ma vie, ma plus grande peur est de voir l’un de mes amis proches se faire blesser ou tirer dessus, je l’ai déjà vu et je ne veux pas le revoir.
Je travaille encore tous les jours, mais je ne prends pas beaucoup de photos, chaque fois que j’essaie de prendre une photo, je me souviens de mon appareil photo et de la bague de ma fiancée que j’ai laissée derrière moi, alors que nous étions censés nous fiancer il y a deux mois.

Tout s’est écroulé le 15 avril, j’ai quitté Khartoum le 22.

Ahmed Ano aux Rencontre d’Arles 2021