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Poursuite de nos pérégrinations dans la cité phocéenne avec Martine Robin, directrice du Château de Servières qui expose actuellement trois artistes femmes : Mayura Torii, Javiera Tejerina-Risso et Delphine Mogarra à partir de plusieurs dispositifs de soutien à la jeune création à Marseille, le tout formant un vaste écosystème ultra dynamique. De plus elle nous dévoile les contours de la 10ème édition de PAREIDOLIE qui fête ses 10 ans en 2023 autour d’une programmation exceptionnelle et plusieurs nouveautés. Parmi les temps forts l’exposition Le temps du dessin sous le commissariat partagé de Jean de Loisy, Chiara Parisi et Gérard Tranquandi au [mac], musée d’art contemporain de Marseille, récemment réouvert.

Marine Robin sera également partie prenante du Festival Marcel Longchamp alors que les Ouvertures d’Ateliers d’Artistes continuent à réunir artistes et visiteurs toujours plus nombreux à la période de la rentrée avec la Saison du dessin en toile de fond. Martine Robin a répondu à mes questions.

A quand remonte votre découverte de Mayura Torii ?

Vue de l’exposition Mayura Torii, « Domestique » Château de Servières photo Jean Christophe Lett

Martine Robin. Je la rencontre une première fois alors qu’elle est résidente aux Ateliers de la Ville de Marseille, puis dans une exposition aux Grands Bains Douches de la Plaine. Plus tard, je la retrouve à l’occasion des Ouvertures d’Ateliers d’Artistes autour du projet mené avec Sarah Lallemand qui souhaite soutenir cet artiste qui n’a plus d’atelier. Sarah a l’idée de louer une chambre d’hôtel pour présenter la démarche de Mayura et propose des rencontres publiques afin de réfléchir sur la notion d’échange et de la diffusion du travail de l’artiste au sein des ateliers . Un rendez-vous devenu annuel, qui m’a permis de renforcer mon intérêt pour sa démarche et de décider avec le comité de pilotage du salon, Françoise Aubert et Michèle Sylvander, de l’exposer à l’occasion de PAREIDOLIE en tant qu’artiste invitée. Le principe est de mettre en avant des artistes qui n’ont pas de galerie comme pour Gilles Pourtier par exemple. Une façon de déployer davantage le travail, comme un tremplin.

Vue de l’exposition Mayura Torii, « Domestique » Château de Servières photo Jean Christophe Lett

Comment décrire le travail de Mayura ?

MR. Si nous avons repéré Mayura pour le dessin, c’est parce qu’elle est une artiste surdouée qui maîtrise toutes les techniques. En même temps, sa dextérité n’a rien d’autoritaire et offre le meilleur véhicule pour accompagner sa pensée. C’est ce qui est intéressant d’observer dans l’exposition : la gymnastique intellectuelle qu’elle opère entre un positionnement sur l’actualité et un pas de côté souvent humoristique et satirique. Quand on rentre dans l’exposition elle a tous les atours de l’art contemporain classique, sobre, rigoureux, minimal mais rapidement quand le regard s’aiguise on bascule vers une autre dimension légère et décalée. C’est ce double effet, déstabilisant qui nous captive.

L’artiste confronte le quotidien enrichi par sa double culture donnant lieu à des déplacements, des jeux de langage, des malentendus possibles. Des petites choses mises en exergue comme ces deux images placées dans ce qui ressemble au vestibule d’une maison ou d’un appartement.

Parcours de visite dans l’exposition avec Mayura et Martine :

« Planter les baguettes dans le riz est un geste considéré comme brutal dans notre culture » décrypte l’artiste, de même que « positionner le pain à l’envers est un geste ici mal vécu par les personnes superstitieuses », ajoute Martine.

Vue de l’exposition Mayura Torii, « Domestique » Château de Servières photo Jean Christophe Lett

La coutume japonaise de laisser ses chaussures à l’entrée pour mettre des pantoufles est évoquée au seuil du parcours.

Dans le salon une table est dressée même si un jeu d’échelle incite à s’asseoir pour voir l’exposition à hauteur de vue d’enfant. La ligne d’horizon change et notre regard également. Les rituels du repas, la façon de recevoir, le jeu social sont questionnés à travers cette mise en espace et en tension. Sur un ticket de caisse dessiné elle reproduit une liste de mets fictifs avec leur prix, promesse d’un banquet fictif gargantuesque ….

De même avec ce que l’on pourrait prendre pour des tissus encadrés qui sont en réalité des peintures à l’huile faisant référence au courant abstrait géométrique ou au Bahaus. Des motifs cycliques et inspirés du tartan écossais sont déclinés en un vaste ensemble. Les titres et légendes inscrites sous les toiles renvoient au vocabulaire tendance du design, des magazines de décoration, qui trainent sur la coffee table « retro-chic, slow life, tradi-chic ». Qu’est-ce que le goût ? Que disent de nous nos intérieurs ? Qu’est-ce que l’on collectionne ? Qu’est ce qui est représenté en peinture aujourd’hui ? Autant de questions soulevées. L’espace canin en dit long aussi sur la place prise par nos compagnons dans nos vies.

Plus loin dans ce qui ressemble à une chambre d’ado, l’artiste agrandit des formes issues de dessins réalisés par son fils âgé de 8 ans.

Dans son allusion au modèle patriarcal culturel et domestique, Mayura enveloppe de textile des œuvres iconiques de Marcel Duchamp, évocation directe à la coutume des femmes japonaises qui confectionnent des housses pour tout emballer, y compris l’urinoir dont elle a envoyé un exemplaire au Centre Pompidou lorsque ce dernier avait subi des dégradations.

Javiera Tejerina-Risso : genèse et enjeux

Vue de l’exposition Javiera Tejerina-Risso, « Lignes de désir » Château de Servières photo Jean Christophe Lett

MR. L’exposition s’inscrit dans le cadre du dispositif de résidence Tremplins porté par le centre social Saint-Gabriel Bon Secours (14ème arrondissement) et co-piloté par Le Château de Servières, Art-cade galerie des Bains Douches et LE ZEF-scène nationale Marseille. Les lauréats Julien Carpentier et Javiera Tejerina-Risso bénéficient chacun d’une exposition personnelle en simultanée.

Vue de l’exposition Javiera Tejerina-Risso, « Lignes de désir » Château de Servières photo Jean Christophe Lett

Javiera a écrit une thèse dans le cadre de son doctorat sur la représentation du monde à travers le rythme des océans. Elle travaille autour de l’érosion, du pli de la matière, de l’appartenance à un territoire, de limite, de frontière à la fois géographique et psychologique. La chronique d’une mort annoncée à travers tous les excès, les désertifications, les incendies, le manque d’eau. Nous sommes projetés dans un paysage apocalyptique. La matière a subi ces lames de fond, le sac et le ressac d’une traversée en bateau vers le Maroc. L’installation « Nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les vents » en témoigne avec cette forêt de drapeaux de cuivre et de laiton oxydés même si en fait de drapeaux , ils sont en lambeaux et ne symbolisent plus de territoires, empêchant le corps même de pénétrer dans l’espace alors que le sol a été rempli de remblais. Plus loin ce sont les eaux de « l’Embouchure » projetées au sol dans un dispositif vidéo immersif.

Delphine Mogarra

Vue de l’exposition Delphine Mogarra, « Latente » château de Servières photo Jean Christophe Lett

MR. Ce projet s’inscrit dans le cadre du dispositif Culture PRO porté par Les Beaux-Arts de Marseille (l’INSEAMM) avec le soutien de la DRAC PACA. L’artiste lauréat sélectionné par un Jury doit participer aux Ouvertures d’Ateliers d’Artistes et bénéficie alors d’une dotation financière, d’une aide à la production pour la réalisation d’une œuvre montrée pendant le PAC et de l’édition d’un catalogue. Delphine travaille sur la porosité de matières qui portent la trace d’un vécu. Selon un dispositif particulier, une sphère en cire descend dans une vasque remplie d’eau et de latex. Cela produit une forme blanche et laiteuse, qui se transforme peu à peu. Un ensemble très sensuel et charnel aux confins de la peinture et de la sculpture. Les notions de cycle et de féminin se croisent.

L’artiste a organisé des séances de méditation où l’on partage un moment très à part.

Les artistes actuellement dans les Ateliers : Flore Saunois, Paul Chauchois, Sophie Loft, Morgane Brauer, Estelle Fonseca, Côme Di Meglio (exposé à la Friche Belle de Mai).

Alice GAUTHIER, Allongée dans la terre, 2022, gouache et aquarelle sur papier, 50 x 70 cm © Alice Gauthier, Adagp Paris 2023 – Courtesy Dilecta, Paris /Paréidolie 2023

PAREIDOLIE: Les 10 ans

MR. Je ne réalise pas !

Nous avons légèrement augmenté le nombre de galeries mais raisonnablement afin de conserver la dimension humaine et conviviale du salon.

Nous avons changé changé le format salle vidéo de manière à pouvoir offrir un espace supplémentaire et il a été difficile de départager parmi les nombreuses candidatures. C’est Dilecta qui a été retenue. Nous arrivons ainsi à 16 galeries, un nombre idéal pour le regard et la découverte.

Il y a 50% de galeries qui reviennent, quasi toutes les galeries ont de nouveau postulé, c’est un signal très positif. Nous accueillons 30% de toutes nouvelles galeries, ce qui est intéressant aussi en termes de renouvellement.

Et avec un équilibre dans la répartition : un tiers de galeries étrangères, environ un tiers de galeries du territoire national et plus d’un tiers parisiennes.

Ariel PERSON, Dressing (crème), 2023, gouache sur papier coloré, 34 x 24 cm © Ariel Person – Courtesy Lhoste, Arles/ Paréidolie 2023

Quelles nouveautés ?

Le programme intitulé DÉJA, Diplômés, Étudiants, Jeunes Artistes. Il s’agit pour chacune des écoles d’art du sud : Nîmes, Toulon, Monaco, Nice, Aix Marseille, Avignon de choisir un artiste qui sera présenté pendant la foire et quelle que soit son année, ce qui favorise le mélange des générations.

De plus, Muriel Enjalran, directrice du Frac Sud a fait une sélection parmi les acquisitions réalisées par l’institution depuis 10 ans à l’occasion de PAREIDOLIE qui seront montrées pour célébrer le partenariat qui nous lie depuis l’origine du salon.

Et toujours nous proposons le projet Nord/Sud avec le Frac Picardie et la Saison du dessin.

Événement hors les murs : « le sentiment du dessin » au [mac]

Le projet met en œuvre 3 collections, 3 commissaires, 3 personnalités qui jouent le jeu de croiser leurs regards, ce qui reste toujours un défi. Il s’agit de Jean de Loisy notre président depuis 5 ans qui présente une sélection de dessin de la prestigieuse collection des Beaux- Arts de Paris, Gérard Traquandi pour la collection du Frac Picardie qui est également l’une des meilleures de France et Chiara Parisi qui a fait une sélection complète des collections des musées de Marseille. Seront ainsi réunis des dessins du 17ème jusqu’à aujourd’hui, ce qui est singulier dans un musée d’art contemporain.

En termes d’espaces les trois travées actuellement occupées par Paola Pivi seront dédiées au projet.

Autre hors les Murs : Double Jacks

Les collectionneurs Jacques Deret et Jacques Font croisent leur regard autour d’une sélection d’artistes. Une partition à 2 collectionneurs pour 12 dessinateurs, qui promet d’être riche.

Programmation pour la rentrée :

-Le festival Marcel Longchamp 2023,

L’idée est de donner de la visibilité à des artistes émergents à l’occasion des Journées du Patrimoine, 16 artistes ont été sélectionnés avec la mairie de secteur pour faire un lien entre les deux musées du Palais Longchamp. J’ai proposé cette année le titre « Il parade », clin d’œil au [mac] sans le savoir.

-La Saison du dessin s’étend jusqu’à Nice cette année, dessinant tout l’arc méditerranéen.

-Dans le cadre de la résidence croisée avec le Frac Picardie nous accueillerons Gabriel Folli et Dominique Angel, artiste connu pour ses « Destructions » dans un nouvel opus dédié au dessin qui a pour titre “Pièce supplémentaire”. Le dernier espace sera offert aux Beaux-Arts de Marseille pour la restitution d’une sélection d’artistes issus de la formation du CFPI

-Fin septembre nous aurons les OAA avec 250 artistes dans tout Marseille, un projet toujours aussi mobilisateur et représentatif de la richesse de la nouvelle scène artistique marseillaise.

INFOS PRATIQUES :
PAREIDOLIE, 10 ans
Salon international du dessin contemporain
Du 1er au 3 septembre 2023
Château de Servières
Liste des galeries :
https://pareidolie.net/

Programmation associée :
« Le sentiment du dessin », Exposition au [mac] – Musée d’art contemporain de Marseille
Coproduction les musée de Marseille en partenariat avec PAREIDOLIE, dans le cadre de la saison du dessin 2023
commissariat Jean de Loisy, Chiara Parisi et Gérard Traquandi
du 1er septembre au 16 novembre 2023
Saison du dessin 2023
https://pareidolie.net/

Au Château de Servières :
Mayura Torii, « Domestique »
Javiera Tejerina-Risso, « Lignes de désir »
Delphine Mogarra, « Latente »
Exposition terminée – Jusqu’au 1er juillet 2023
Château de Servières | (chateaudeservieres.org)
Agenda, évènements :
PAC – Accueil (p-a-c.fr)

A découvrir à Marseille lors de votre séjour :
Les expositions de Fræme à la Friche Belle de Mai, le « nouveau »  [mac] musée d’art contemporain, sur la route des calanques et l’exposition de Valentin Martre à la galerie de la Scep (cf mes chroniques)

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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