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À l’occasion de cette troisième édition de la Biennale de l’Image Tangible, nous recevons dans notre rubrique l’Invité·e de la semaine, son co-fondateur et directeur général, Francois Ronsiaux. Aujourd’hui, nous vous proposons de revenir sur une partie des expositions satellites de cette Biennale. En marge de l’exposition phare HETEROTOPIA, curatée par les organisateurs de la Biennale, neuf expositions satellites ont pris place dans les lieux et galeries partenaires de l’Est et du Centre parisien. Ce sont 40 artistes qui ont été sélectionnés par un Jury de professionnels du monde de l’art, de l’image et de la photo, suite à un appel à projet.

À Plateforme

Bastien Cuenot, Bruno José Silva, Caroline Mauxion, Aaron Parish et Antoine De Winter ont été exposés à Plateforme jusqu’au 19 novembre dernier.

Bastien Cuenot
L’eau virtuelle

© Bastien Cuenot

Dans cette installation, qui est comparable à un processus d’encre sympathique inversé, la lumière empêche d’afficher l’image par son émission de chaleur tout autant qu’elle permet de la révéler.
Chaque image créée par le chemin ou l’éclaboussure de la goutte est unique et éphémère, elle combine une vidéo d’eau en mouvement en arrière-plan et le tracé révélateur de l’eau à la surface de l’écran.
Cette série d’installations est née d’une découverte personnelle effectuée lorsque je travaillais sur d’autres œuvres qui nécessitaient des écrans LCD.
Ils sont des assemblages empruntant à l’univers scientifique de laboratoire et à l’informatique et veulent exprimer un lien fort entre des matières physiques simples en apparence comme une goutte d’eau et des objets humains manufacturés assez sophistiqués.
Plus largement inscrits dans ma démarche dans laquelle la volonté de relier les éléments est récurrente, cette série matérialise l’éphémérité du caractère tangible de l’eau par l’intermédiaire d’un dispositif numérique en partie virtuel.
Ces installations permettent donc d’apprécier dans la réalité le concept « d’eau virtuelle».
L’eau virtuelle est ici la quantité d’eau nécessaire au fonctionnement de l’œuvre.

Bruno José Silva
Limit of Disappearance

Bruno José Silva

Limit of Disappearance est une installation croisant les arts visuels, la robotique et les processus computationnels. La volonté est de problématiser la création et la consommation excessive d’images. Cette réflexion s’inscrit dans une réflexion plus large sur la crise et la massification des images par la technologie. Celle-ci contamine, conditionne et (dé)forme l’individu. La technologie exposée a été conçue pour placer l’élément humain au centre, dont l’action se reflète dans l’œuvre. Et aussi pour créer un mécanisme qui rend impossible ou difficile de voir les images dans les pièces. Les processus de réalisation nécessitent du temps. Le visiteur doit être conscient de l’impact de sa décision ou de son intervention. Limit of Disappearance est une installation composée d’une image imprimée sur du tissu. Celle-ci est montée sur un mécanisme de poulie et activée par la présence du visiteur, dont l’intention est de détériorer cette image. L’entrée dans la salle n’est possible qu’après avoir signé une déclaration acceptant que cette visite provoque un changement irréversible sur l’image. Les visiteurs suivants verront l’image transformée par les précédents. L’idée est de métamorphoser l’image jusqu’à la limite de sa disparition. Chaque spectateur est responsable non seulement de son choix, mais aussi de ce que verront les personnes suivantes. L’image sur le tissu cesse d’exister dans l’ensemble et émerge comme une peinture créée avec les textures, les tâches et les lignes que la peinture noire place sur le mécanisme. Dans ce processus, une nouvelle pièce est conçue, sur laquelle je n’ai aucun contrôle. C’est une machine conçue pour que cela se produise. L’objectif ne se matérialise qu’avec les visiteurs.

Caroline Mauxion

Caroline Mauxion

Corps et photographie sont intrinsèquement noués dans ma pratique. Il y a le corps de l’image photographique que je découpe et assemble dans des compositions et que j’hybride avec la sculpture dans des installations. Le plâtre, le verre ou le papier soluble sont autant de supports qui peuvent donner corps à ces images. Puis il y a mon propre corps, soigné à plusieurs reprises et qui garde aujourd’hui les traces de son histoire. Puisant dans ma mémoire corporelle telle une archive sensible, je pense l’image pour sa surface de représentation mais aussi sa corporéité. Il n’est pas tant question dans mon travail de figurer le handicap mais plutôt de puiser dans un savoir expérientiel pour approcher le médium photographique. C’est en ce sens que je parle de cripper l’image, soit penser sa peau et son corps, et ce, depuis mon corps crip. Flottante entre deux réalités corporelles, je navigue entre une image du handicap à laquelle je ne semble pas correspondre et une expérience du handicap non-visible. C’est en ce sens que la dénomination crip déconstruit ce qu’on entend mais aussi ce qu’on attend du handicap.
Si la charge de la douleur est présente dans mon travail, il est aussi question de la charge du désir, tel un vecteur d’émancipation sur le corps. Un corps médicalisé ou hors norme est scruté, diagnostiqué, palpé. C’est en ce sens que je pense le plaisir charnel comme une source d’agentivité et que je travaille à créer des frottements entre ces deux sensations tout comme entre mes images et mes sculptures, à penser le corps à la fois vulnérable et désirant.

Aaron Parish

Ambleside © Aaron Parish

Utilisation de techniques de numérisation numérique, de logiciels de rendu 3D, de procédés de gravure traditionnels et de plâtre. Ma pratique vise à mettre à nu les paysages locaux, à en revenir aux éléments bruts. Exposer les usages passés, présents et futurs du territoire. Enquêter sur nos interventions changeantes du paysage, de l’architecture préhistorique à l’architecture contemporaine, l’une travaillant harmonieusement avec le paysage l’autre en contraste.

Antoine De Winter
Blindfolded

Resinotype sur verre © Antoine De Winter

« Blindfolded » est un projet d’installation photographique qui interroge l’utilisation du médium photographique à l’ère de l’anthropocène. Nos téléphones et caméras sont devenus des objets compulsifs, cherchant à saisir un fragment du réel. Au sein de cette abondance d’images, la question de ce que nous regardons s’est estompée. Dans le projet « Blindfolded », différents glaciers ont été photographiés, la question au long de ce travail a été de trouver un moyen pour que le lieu photographié puisse témoigner physiquement de son déclin et de l’impact de l’activité humaine sur ce dernier.
Les pigments utilisés pour créer ces images proviennent de dépôts de carbone présents en surface de divers endroits. Sous l’influence de l’activité humaine, ces dépôts forment une sorte de liseré de matière carbone qui accélère la fonte des glaciers. La collecte de ces pigments permet ensuite de les utiliser dans divers processus techniques pour faire apparaître les images.
L’utilisation de plaques de verre interrompt le spectateur dans une lecture linéaire : Les reflets et les variations de pigments dans ces installations créent des imprécisions, propose des images suggérées. Le miroir ainsi créé incorpore le spectateur dans les structures elles-mêmes, rappelant l’interdépendance des systèmes.
Blindfolded questionne également notre rapport à la vitesse, imposant un ralentissement à la fois dans la création et dans la contemplation de ces images. Cela crée une posture archaïque qui résonne avec la fragilité des glaciers photographiés. Blindfolded invite à réfléchir à une écosophie picturale où le lieu existe comme une forme d’image suggérée, délicate à la surface du verre, faisant écho à nos enjeux collectifs face à la transformation massive de notre relation au vivant.

À la Galerie Olivier Waltman

Cédric Arnold, Édouard Burgeat, Guangli Liu, Kasia Ozga et Lara Tabet ont été exposés à la galerie Olivier Waltman jusqu’au 2 décembre dernier.

Cédric Arnold
Apopheniac 

© Cédric Arnold

Français : Apophéniaque [mot inventé] > De : Apophénie ap·o·phé·nie | a-pɔ-fe-ni
L’apophénie désigne une tendance à percevoir des connexions ou des motifs significatifs entre des éléments sans rapport apparent, qu’ils soient des objets ou des idées, et ce, même en l’absence de réelle corrélation ou relation logique entre eux.
Utilisant comme matière première des images prises il y a presque vingt ans, redécouvertes dans des boîtes abandonnées de négatifs lors de la pandémie, ce travail s’inscrit entre destruction et réinterprétation. Le flot de chimies placées sur l’émulsion photographique laisse la place au hasard, et ainsi,  des formes sont modifiées et d’autres disparaissent, permettant l’émergence de nouvelles formes et nouvelles interprétations.

Édouard Burgeat

© Édouard Burgeat

Ce projet artistique a débuté alors qu’Edouard Burgeat voyageait illégalement (confinements obligent) à travers diverses frontières de l’UE, échappant à la pandémie de Covid 19 dans un camion (Citroên Jumper) avec sa compagne et son loup. S’en suivit une performance interactive avec le public sur une installation photographique, sonore et spatiale, qui s’est déroulée au 35-37 à Paris en 2022. Les visiteurs étaient invités à participer à la révélation de l’œuvre finale directement sur le camion recouvert des transferts photographiques.
Dans un second temps le camion fut ramené et découpé dans l’atelier de l’artiste, puis chaque photo récupérée de la carcasse du camion nettoyée et encadrée par de l’acier noir.
La série de photographies proposée est le résultat de ce projet.

Guangli Liu

© Guangli Liu

Je n’ai jamais participé à aucune manifestation en Chine. À la fin de l’année 2022, en réponse aux mesures de confinement obligatoires imposées par la Chine en raison de l’épidémie, de nombreux jeunes sont descendus dans les rues en brandissant des feuilles de papier blanc pour exprimer leur mécontentement, une situation inédite depuis de nombreuses années, surnommée par les médias « Révolution A4 ». Malheureusement, étant en France, je n’ai pas pu être témoin de cet événement.
J’ai rassemblé des informations sur une dizaine de manifestations importantes en Chine qui ont eu lieu entre 1989 (l’année précédant ma naissance) et 2022, et je les ai décrites à un modèle d’intelligence artificielle. Cela a permis de créer de nombreuses images de manifestations que j’avais imaginées mais jamais vues de mes propres yeux. J’ai enuiste assemblé ces images en une grande œuvre d’art. Bien qu’elles soient imaginaires, elles semblent incroyablement réelles pour beaucoup de gens.

Kasia Ozga

© Kasia Ozga

Sauver sa peau: Sculpture molle. Images numériques de la peau humaine imprimées sur bâche en vinyle découpées et cousues ensemble. Poignées de bateau en caoutchouc. Panneau en bois à l’arrière du bateau. Rembourrage en mousse. Pièce unique. 330 cm x 150 cm x 40 cm. 2020
Lifevests (gilets de sauvetage): Sculpture molle. Images numériques de la peau humaine imprimées sur bâche en vinyle découpées et cousues ensemble avec rubans issus des restes de l’industrie textile. Rembourrage en mousse. 5 Pièces uniques. 46 x 69 x 5 cm par gilet. 2020.
La première sculpture souple a été cousue à partir des images numériques fortement agrandies de la peau autour des paupières humaines. Des images de chair humaine sont recomposées sous une forme industrielle, avec des pièces de rechange provenant d’un véritable bateau pneumatique Zodiac, évoquant le voyage, le passage et la migration. Le canot est devenu un symbole du sauvetage héroïque des migrants vers l’Europe, même si de nombreux voyageurs perdent la vie en méditerranée. Coudre un canot dans un matériau qui représente physiquement des corps humains est une façon d’évoquer l’horreur et le désespoir de ceux qui traversent la mer.
Les gilets de sauvetage poursuivent mon exploration des passages maritimes, des frontières et de l’accès à de nouveaux horizons tout en travaillant avec la métaphore de la peau comme forme de protection et source d’inégalité de traitement des voyageurs et des migrants. Lorsqu’elles sont présentées ensemble, les œuvres multicolores font ironiquement référence à la publicité Benetton des années 1990 et aux célébrations commerciales de la diversité au-delà des frontières, demandant si nous sommes tous également susceptibles d’être sauvés en cas de besoin.

Lara Tabet
Three rivers and three lakes

© Lara Tabet

Three rivers and three lakes fait partie d’un travail de recherche au long cours sur les écologies aquatiques à travers l’interaction entre la matière photographique et l’élément biologique, suivant une cartographie personnelle des cours d’eau rencontrés sur mon chemin, j’en prélève des échantillons, en cultive les bactéries puis les réensemence sur une pellicule photographique. Le visuel qui en résulte montre le corollaire de l’activité microbienne. L’interaction entre la matérialité photographique et l’élément biologique révèle les différentes agentivités impliquées dans la formation de l’image qui se trouve au croisement de la bactériologie diagnostique et de la photographie de paysage et constitue une nouvelle cartographie bactériologique de l’eau.
Ce travail commente les enjeux écologiques et aquatiques à travers des gestes performatifs aux deux échelles macroscopique et microscopique, l’une correspondant à la gestuelle de l’artiste/scientifique, celle de l’échantillonnage, de l’analyse et de la cartographie personnelle et l’autre correspondant à la microperformativité des bactéries elles-mêmes ancrée dans une échelle d’espace-temps, qui lui est propre, celle des phénomènes microbiologiques. Ancré dans un discours féministe post-humain, ce travail remet en question la position anthropocène et tente de décentrer l’échelle humaine au profit d’alliances possibles entre humains et non-humains.

À Julio – Artist run space

Julie Laporte et Shinji Nagabe ont été exposés à Julio – Artist run space jusqu’au 3 décembre dernier.

Julie Laporte

Julie Laporte

Je vis avec des fantômes. Apparitions hallucinées qui me hantent, murmurent, et me poussent à l’accident. Et par leurs mots, c’est moi qui résonne.
Le noir, les odeurs de chimie et les papiers déchirés. Parcelles de matière destinées à l’oubli. Du déchet, inévitable, en quantité. De l’image pourtant. Des sels d’argent, en attente ou déjà révélés. Une matière fascinante, vivante, que je refuse de laisser pour morte. Alors je la transforme, je la sauve et je me surprends.
À l’ère de l’urgence écologique, la quantité de rebuts dans la pratique photographique argentique pose question. Que faire de ces fragments rejetés et pourtant nécessaires au flux du processus créatif ? Mon travail plastique se trame en chambre noire, mon quotidien depuis cinq ans, en détournant les débris, restes et morceaux inutilisables de supports photographiques. Grâce à des opérations lumineuses, optiques ou encore chimiques, ces artefacts me poussent à explorer une photographie à contre-courant.
“Long live New flesh” nous montre les restes d’une photographie disparue, ultimes bribes de cibachrome sauvées de l’oubli par une peinture en chambre noire. Fragiles et à bout de souffle ces reliques s’offrent à nous, dessinant les reliefs et les courbes des voyages qu’elles renferment en leurs creux : espaces difformes iridescents, faits d’échos et de reflets, comme d’indicibles chairs que la pression du regard infiltre.
La malléabilité du médium argentique permet d’innombrables mutations de son support. Par leur mise en volume, les dépouilles de ces surfaces quasi charnelles se transforment : peaux après peaux, elles muent, s’épuisent et laissent apparaitre leurs turbulences intérieures. Privilégiant la matérialité de la photographie plutôt que sa représentativité, ces peaux mutantes résistent à leur statut de rebuts et insinuent un intérieur qui les façonne. Faire peau neuve pour se reconstruire sur les ruines du sensible.

Shinji Nagabe

© Shinji Nagabe

Un diorama est un mode de présentation artistique de scènes de la vie réelle à des fins d’enseignement ou de divertissement. Dans cette série, chaque pièce illustre une réflexion de l’artiste. À travers plusieurs plans en relief, les œuvres nous font penser à l’accumulation de références que nous édifions dans notre vie, par nos réseaux et nos connexions, et qui nous définissent en tant qu’individus.
Les œuvres de la série “Dioramas” sont des pièces uniques, faites à la main par l’artiste à partir de photographies de ses archives. C’est une série qui comprend de grandes pièces de plus d’un mètre, produites dans son atelier de Madrid. C’est aussi une série qui approfondit les recherches de l’artiste autour du médium : d’où vient la force de l’image photographique ? Comment démocratiser l’art ? Il utilise la photographie traditionnelle et reproductible comme point de départ et la transforme en un objet tridimensionnel unique qui prend vie au-delà du cadre. L’oeil du spectateur voyage à travers plusieurs images et superpositions, créant un univers fantastique qui est à la fois hypnotique et stimulant.
Dans sa démarche, l’artiste mélange la technique japonaise du oshie – une technique sophistiquée de découpage de tissus de kimono pour créer des tableaux en patchwork – avec des souvenirs d’enfance. Le rembourrage des tissus, donne un volume qui lui rappelle le salon de la maison de ses parents à São Paulo. Chaque œuvre a une histoire unique et personnelle, mais qui ouvre le dialogue avec le public.

À Floréal Belleville

Luz Blanco, Emilio Chiofalo, Lenka Glisnikova, Thomas Jorion et Silvana Reggiardo étaient exposés à Floréal Belleville jusqu’au 26 novembre dernier.

Luz Blanco

© Luz Blanco

Conçue comme une partition visuelle, composée de drapeaux de soie affichant un sample d’images retouchées numériquement imprimées en recto-verso, cette installation est proposée pour la Biennale de l’Image Tangible dans une version amplifiée par la présence de mots et de fragments de ponctuations appliqués au mur.
Ces éléments textuels sont issus des code source alpha-numériques définissant ces propres images. Ainsi, la matérialité visuelle de l’image dialogue avec l’immatérialité du code source qui la constitue, à moins que ce ne soit l’inverse…Ces codes numériques, deviennent, dans leur émiettement et fragmentation, une source sémantique poétique, dialoguant avec ces drapeaux de soie, afin d’interroger ce qui détermine l’image aujourd’hui.
L’installation Mantras (terme dont l’étymologie sanskrite signifie « instrument de pensée ») propose un corpus visuel construit à partir de photographies personnelles et collectives retravaillées numériquement par pixellisation. L’image ne se dévoile qu’à une certaine distance, brouillée par son tramage, son recadrage, comme autant de fragments d’une mémoire parcellaire. Ces images, passant par le code puis l’écran numérique, deviennent un élément sensuel et fluide imprimé sur l’écran inframince de la soie. Ce cut-up spatialisé en constellation, s’inscrit dans une redéfinition des spectres mnémoniques hantant l’espace numérique, lequel façonne notre environnement : un monde d’images flottantes puisant dans notre propre matrice mémorielle.

Emilio Chiofalo

© Emilio Chiofalo

J’explore souvent dans ces images la plasticité de la chaleur comme vecteur de déformation de la matière photographique. Ces manipulations matérialisent une vision décalée de la réalité par un geste qui s’approche de la peinture ou de la sculpture. En travaillant avec du feu ou des chimies bouillantes, je transforme des photographies documentaires en des images qui évoquent des ambiances surréelles dotées d’une matérialité organique. Dans d’autres démarches, je produis des dessins automatiques sur des surfaces transparentes que je manipule avec différents outils et puis transforme en photographie par le biais de la technique du photogramme. C’est une manière pour moi de spatialiser des perceptions par une iconographie qui oscille entre la figuration et l’abstraction. Ce travail peut opérer comme une déconstruction de l’usage classique de la photographie, et prendre aussi le contre-pied d’une conception stigmatisante d’un trouble psychique qui devient dans ces images une force créatrice.

Lenka Glisnikova

© Lenka Glisnikova

Dans mon travail, j’explore les effets des nouvelles technologies sur la vie des êtres humains contemporains. Des technologies que je perçois comme une force curatrice de notre façon de travailler, de nous reposer, de penser et d’organiser notre temps libre. Je suis fasciné par la confrontation des rapports (du plus petit comme l’empreinte digitale au plus vaste comme l’internet), des matières (virtuelles et physiques) et des relations ambiguës que nous avons développées avec les objets de plus en plus astucieux qui nous entourent et les frontières qui s’estompent de nombreuses dichotomies autrefois claires telles que le privé et le public, le professionnel et le personnel, le scientifique et l’émotionnel, etc.

J’aime voir et aborder la photographie numérique comme un matériau physique organique et l’ordinateur comme un outil créatif « de plus ». J’aime me plonger dans le processus apparemment sans fin de matérialisation et de dématérialisation. Je crée de petites statues à partir de matériaux de faible technicité, imitant l’esthétique que nous avons appris à associer aux produits de haute technologie. Ces sculptures sont ensuite photographiées. Elles sont transformées en images qui servent d’éléments de base pour des collages complexes créés par la répétition, le clonage et l’assemblage numérique en un agrégat où le physique et le virtuel se rencontrent, se fondent et se brouillent. 

Je puise dans mon expérience de la photographie, mais je ne m’y limite pas. Le plus souvent, j’essaie d’utiliser l’impression grand format, d’expérimenter des matériaux – généralement industriels – et d’hybrider mes photos en les transformant en (et en les appliquant sur) des objets avant de les soumettre à nouveau à la numérisation et à la postproduction numérique.

Il s’agit d’une procédure imparfaite et vivante qui révèle les fissures et les défauts qui se cachent à la surface de conceptions et de concepts apparemment parfaits, futuristes et épurés. Ma visualité puise dans l’espace troublant entre la réalité et la fiction, rappelant souvent un enregistrement de sa propre origine et de sa genèse, en lien avec les outils et les systèmes utilisés. Un processus inspiré par les outils de recyclage en ligne – réincarnant les données visuelles, les images, les photographies.

Thomas Jorion

© Thomas Jorion

La série des tours miroirs est composée de monolithes de béton sur lesquels sont représentés des fragments de lieux. Le point de départ de ce projet est né de la volonté de reproduire sur une architecture non pas sa propre image mais ce qui lui fait face dans son environnement. Sur les quatre parois sont ainsi restituées les quatre perspectives qui l’entourent.
Cette présence architecturée réelle ou figurée devient alors comme sensible à la lumière. Elle absorbe et s’imprègne de ce qui l’entoure. J’imagine une camera obscura qui serait placée entre l’édifice et le paysage ; l’image se projette sur la façade et s’enregistre sur le béton.
Avec mes monolithes, je créé ainsi une forme qui occupe l’espace et autour de laquelle il est possible de tourner. Le spectateur devient alors acteur en allant chercher lui-même les détails et les points de vues qui l’intéressent. La structure qui se matérialise est le témoin d’un espace condensé ramené à l’échelle du spectateur.
Il se créé un dialogue entre le medium photographique et sa transposition comme volume tangible. L’image prend corps et se développe en épousant la morphologie des matières et des aspérités qu’elle recouvre.
Je réalise moi même ces monolithes avec du béton ou du mortier. J’y intègre des éléments urbains que je récupère sur les lieux que je visite : éléments d’origines minérales ou naturels. Puis, après avoir étudié leurs apparences, j’y applique mes photographies.

Silvana Reggiardo

© Silvana Reggiardo

Depuis mon domicile, j’aperçois, au loin, l’une des deux tours aux façades vitrées des Mercuriales qui se dresse porte de Bagnolet. J’ai pris pour habitude de la photographier régulièrement, avec un smartphone, entre l’aube et l’aurore depuis la même fenêtre de mon appartement.
Selon les heures de la journée, par le jeu des réflexions du soleil sur les surfaces de verre, les différents plans de la façade semblent s’allumer ou s’éteindre. Les conditions climatiques jouent aussi sur le rendu des couleurs et la forme de l’objet photographié : la brume adoucit les contrastes, les couleurs se diluent dans les demi-teintes, et la silhouette de l’édifice s’estompe. Chaque nouvelle prise de vue offre une expérience singulière de la lumière, et la perception s’aiguise dans la répétition du geste photographique.
Dans l’image, l’édifice occupe la totalité du cadre, le plan serré est obtenu par les opérations successives du zoom et de l’agrandissement. Ces transformations excluent les détails, la forme de l’édifice est ramenée à une simple surface parallélépipédique ; le processus dilate et décompose le grain numérique, la matière photographique perd son homogénéité. Les prises de vues s’accumulent à mon rythme personnel et rejoignent sur Instagram le flux des images. Imprimées sur papier aquarelle, elles se chargent des spécificités du support et s’hybrident d’une dimension picturale.

À l’AHAH

Hélène Bellenger, Clara Chichin & Sabatina Leccia, Marie-Jeanne Hoffner et Michel Mazzoni étaient exposés à l’Ahah jusqu’au 3 décembre dernier.

Hélène Bellenger

© Hélène Bellenger

Initié à l’été 2021, le projet Bianco Ordinario d’Hélène Bellenger prend racine dans les carrières de marbre de Carrare, situées dans les Alpes Apuanes en Italie. Sculptées depuis des siècles pour la qualité de leur marbre blanc, très prisées par les artistes et les designers, ces carrières sont aujourd’hui surexploitées pour l’utilisation de la poudre de marbre, carbonate de calcium à l’état pur. Utilisée notamment dans la composition du dentifrice, du maquillage, du papier ou des produits d’entretien, la poudre de marbre vient ainsi se nicher dans l’histoire du blanchiment et par extension de la « blanchité » de nos sociétés occidentales contemporaines. Hélène Bellenger a initié une collection de produits de consommation possédant de la poudre de marbre (carbonate de calcium) pour imprimer directement sur le verso en carton. L’imaginaire luxueux et impérieux de la statuaire, associé au marbre, se trouve ici reproduit en image sur de petits emballages. À la fois fragiles, précieuses, uniques mais aussi éphémères, ces petites images, dont la forme varie selon le produit, proposent ainsi une typologie des formes industrielles, tout en présentant une sélection d’images de ces paysages défigurés par l’exploitation intensive du marbre de Carrare. Le caractère sériel et aléatoire du processus de création, sort l’image de son format traditionnellement carré en présentant ainsi des images tronquées, altérées, aux cadrages manufacturés, aux formes parfois abîmées et dont les couleurs sont soumises aux aléas du carton et de sa texture.

Clara Chichin & Sabatina Leccia

© Clara Chichin & Sabatina Leccia

Le bruissement entre les murs (projet en cours de réalisation, lauréat de la Bourse Transverse 2022) mêle photographie et dessin contemporain et explore le site des Murs à Pêches (Montreuil, Seine-Saint-Denis), îlot de nature au milieu d’un tissu urbain dense. À partir des photographies de Clara Chichin et « augmentées » par Sabatina Leccia, nous livrerons une restitution personnelle et sensorielle de ce jardin.
Ensemble, nous explorons un « entre les médiums », un interstice qui fait écho à « l’entre les murs à pêches », une zone de bruissement qui émerge de notre rencontre.
Le jardin nous semble être le lieu opportun pour questionner le rapport de notre société au monde naturel. Il est la mémoire de notre relation première au monde – avant le Grand Partage. Il « serait un instrument conçu pour rapprocher (physiquement et symboliquement) les habitants de la matérialité du paysage (« la nature ») ». (Bodénan Philippe, Le jardin : une clé de lecture du végétal en milieu urbain, revue Projet de paysages, Revue scientifique sur la conception et l’aménagement de l’espace)
Dans une immersion physique et sensorielle des jardins, au fil de nos pérégrinations, la richesse, la diversité des formes, des textures, des opacités nourrissent notre création. Nous travaillons à partir d’une matière photographique constituée au rythme du vivant (au fil des saisons sur une année), avec un intérêt particulier apporté à la lumière, ses variations, ses effets (faisant écho à la photographie comme écriture de lumière.
La prolifération d’éléments composites produira un jardin d’images troublantes, en mouvement, hybride et polymorphe. Nous proposons dans le cadre de votre manifestation une sélection d’œuvres extraites de ce projet en cours de réalisation.

Marie-Jeanne Hoffner

© Marie-Jeanne Hoffner

« Entrer dans le travail de Marie-Jeanne Hoffner, c’est pénétrer dans l’épaisseur inattendue d’un espace réel, depuis longtemps défini en Occident comme vide et transparent. Marie-Jeanne Hoffner ne considère l’espace ni comme un concept abstrait ni comme une donnée métaphysique. Elle l’envisage au contraire comme un environnement proche, immatériel et sensible, visuel et mental mais fondamentalement stratifié, et dont la connaissance procède de l’effeuillage d’une succession d’affects, de représentations et de perceptions. Marie-Jeanne Hoffner développe une démarche tout entière orientée vers l’expérience offerte au visiteur d’une traversée d’un espace. Ainsi crée-t-elle des espaces à la fois construits et virtuels, des espaces juste esquissés mais déjà suggestifs, que l’on est invité à décrypter, à parcourir et même à
reconnaître.
Les dessins, vidéos et installations de Marie-Jeanne Hoffner ont pour point commun le langage de l’architecture. Le plan, l’axonométrie, la perspective et la coupe sont son vocabulaire courant. Pourtant, son œuvre ne tient pas du projet, elle ne vise rien de fonctionnel. Elle s’intéresse à la manière dont l’être occupe l’espace, elle s’intéresse à « l’habiter » et non à « l’habitat ». L’architecture était dès l’antiquité associée à la
mémoire et au langage, où elle était un modèle mental pour l’art de la rhétorique. Elle est ici le seuil d’une œuvre qui, entre archéologie et prospective, donne accès à un territoire de l’intériorité. »
Olivier Grasser.

Michel Mazzoni
Little Things

© Michel Mazzoni

A la base, les images tirées sur papier baryte en petit format, sont issues de ma série Rien, presque (édition livre d’artiste fin 2022), montrant des éléments insignifiants, précaires ou délaissés dans le but de rendre visible les nombreux interstices qui jalonnent le cours de l’existence. J’ai ensuite, par un jeu de montage et de superposition, associées des éléments recyclées (gélatines couleurs, papier cinéfoil, pellicules usagées, pages de carnets…), afin de donner naissance à des images composites volontairement énigmatiques. Ce principe me permet de créer des formes hybrides et d’éviter l’idée de la photographie comme un événement unique mais, au contraire de la traiter comme une « structure », susceptible de générer une multitude d’échos et de variations.

INFORMATIONS PRATIQUES

mer01nov10 h 00 minsam16déc(déc 16)19 h 00 minBiennale de l’Image Tangible de Paris 20233ème édition Organisateurbit20--paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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