L'Invité·e

Carte blanche à Julia De Bierre : Harry Ossip Meerson (1910 – 1991). Naissance d’une collection de portraits

Temps de lecture estimé : 4mins

© Harry O. Meerson

Pour sa deuxième carte blanche, notre invitée de la semaine, Julia de Bierre, fondatrice et directrice de la très singulière galerie Huit à Arles nous raconte comment elle en est venue à collectionner des portraits photographiques. Grâce à un tirage offert par le photographe de mode Harry O. Meerson, signé d’une encre or, accompagné de quelques images d’avant guerre. Au fil des années, sa collection a évolué jusqu’à l’ouverture en 2007 de la galerie dédiée à une photographie plus contemporaine et à des sujets souvent plus controversés.

Portait d’Harry O. Meerson

Dans les années 80, le photographe franco-russe Harry O. Meerson m’invite à m’asseoir pour une série de portraits en noir et blanc, dans la splendeur cinématographique d’un pavillon de chasse près de Louveciennes, décoré par Madeleine Castaing avec une profusion de moquettes imprimées léopard et du mobilier régence anglaise.

Portrait de l’auteure pris par Harry O. Meerson circa 1984

Pendant le shooting, ce maître à l’ancienne me régale d’histoires sur le Paris à la mode de l’entre-deux-guerres, en sirotant du champagne frais dans une corne à boire. Né à Varsovie en 1910, dans une famille juive émigrée de Russie, Harry est parti jeune à Berlin et puis à Paris pour rejoindre son demi-frère Lazare Meerson, célèbre directeur artistique de cinéma. Très vite, il trouve du travail comme photographe portraitiste pour Le Figaro Illustré, se lie avec Brassaï, prend Dora Maar, puis Willy Maywald comme assistants.

Parti travailler pour Harper’s Bazar aux Etats Unis en 1938, il revient en France en 1939, juste avant la déclaration de guerre. Après des années noires vivant sans ressources et souvent en cachette des occupants nazis, il reprend enfin son métier en 1945, principalement dans la mode et la publicité. Ses clients s’appellent Christian Dior, Balenciaga ou Lanvin…

Très stylisée, utilisant une mise en scène rappelant souvent son passé d’avant-guerre de cameraman de plateau, son œuvre est restée relativement méconnue. Aujourd’hui, avec le phénomène de mode ‘vintage’, on apprécie à nouveau ses images qui ont su capturer ou même inventer l’esprit du moment. En ne photographiant que du beau et du non-essentiel – robes haute couture, parfums enivrants, coiffures improbables des sœurs Carita – Harry a pu oublier ou au moins mettre à distance les années de pénurie et de clandestinité.

© Harry O. Meerson

Ceux et celles qui ont travaillé avec lui parlent d’un être exigeant, certes, mais toujours d’une courtoisie exquise. Parmi eux, Mirella Ricciardi, 92 ans, renommée pour ses photographies d’Afrique de l’Est, immortalisées dans Vanishing Africa, se rappelle encore avec émotion son précieux apprentissage de deux ans aux côtés de Meerson, qui lui a appris les bases de la photographie.

Quant à mon portrait, longtemps oublié dans des déménagements successifs et récemment redécouvert en même temps que celui que Meerson a fait de feu mon mari tenant son inséparable fume-cigarette Cartier, il constitue un délicieux rappel d’une ancienne vie un brin glamour, et marque aussi le début de ma passion pour la photographie, ainsi que pour les intérieurs surannés.

Inspirée par l’univers de Harry, dès le lendemain de son shooting, j’ai assisté à une petite vente aux enchères chez Drouot à Paris, et j’ai acquis, pour une somme modique, une ottomane capitonnée attribuée à Madeleine Castaing et une pile disparate et poussiéreuse de photographies argentiques représentant Joséphine Baker, circa 1925. Ces images aujourd’hui nettoyées et encadrées ornent les murs d’une grande chambre de ma guest house à Arles, décorée dans un esprit French Riviera et qui porte le nom de cette admirable héroïne franco-américaine.

Anonyme : Portrait de Josephine Baker circa 1925.

C’est ainsi que ma collection de portraits a commencé, avec un tirage offert par un photographe de mode, signé d’une encre or, et quelques images d’avant guerre. Une collection qui a évolué au fil des ans jusqu’à ce que j’ouvre ma propre galerie dédiée à une photographie contemporaine et à des sujets souvent plus controversés.

La Rédaction
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