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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, Ferit Duzyol, Président des Rencontres Photographiques de Boulogne-Billancourt, remonte avec nous le temps pour dérouler quelqu’uns de ces hasards heureux comme il aime les appeler. Ces rencontres et ces événements qui ont mené Ferit à rencontrer Sabine Weiss grâce à Gökşin Sipahioğlu ou encore à découvrir l’incroyable fonds de Fred Boissonnas à Genève. Cet article nous prouve que le hasard est souvent bien fait !

« On est jamais aussi bien servi que par le hasard » – Honoré de Balzac

Alors que je travaillais à une rétrospective à l’occasion du 30e anniversaire de Mai 68, j’ai redécouvert avec émotion les photos de Gökşin Sipahioğlu prises pendant les événements dans les archives de Sipa. En 1968, ces photos étaient parues dans des magazines comme Bunte, Paris Match et dans plusieurs quotidiens.

En novembre 1998, dans le cadre du Mois de la Photo à Paris, j’ai eu l’honneur de préparer l’exposition « Un regard sur les Barricades » avec des photos que Gökşin n’avait encore jamais exposées. La manifestation, qui a eu un vif succès, a inspiré à Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison Européenne de la Photographie ce commentaire : «… J’ai trouvé vos photographies superbes et étonnantes… C’est un vrai bonheur de découvrir vos images. Je vous savais un très grand directeur d’agence ; vous êtes maintenant pour moi LE photographe de ma génération ».

14 Juin 68 – Theâtre de l’Odeon, les derniers occupants ont quittes les lieux. Toute la presse etait la et notamment le photographe le plus connu du monde, Henri Cartier-Bresson, co-fondateur de l’agence Magnum. Place de l’Odeon, Paris, FRANCE – 14/06/1968.
© Gökşin Sipahioğlu / SIPA

Un bon exemple du coup du hasard…

Il est vrai que tous les grands photographes ont photographié les événements de 1968, mais l’intérêt particulier des images de Gökşin réside dans la fraîcheur de son regard. C’est le regard d’un journaliste étranger à ce microcosme parisien. Toujours en première ligne, il cherche la bonne photo. Comme celle d’Henri Cartier-Bresson, prise le 14 juin 1968 au travail à la Place de l’Odéon, lors de l’évacuation de la Théâtre de l’Odéon.
Le lendemain du vernissage de l’exposition « Un regard sur les Barricades » je suis descendu au labo de Sipa et j’ai fait tirer cette photo de Gökşin d’Henri Cartier-Bresson et je lui ai demandé de le signer pour l’offrir au grand maître.
Il a refusé de le faire. « Qui je suis pour offrir ma photo au photographe le plus connu du monde? » m’a t’il dit…

Et c’est à la suite de cela, 10 ans après, en novembre 2008, la Maison Européenne de la Photographie à Paris, toujours dirigé par Jean-Luc Monterosso, a organisé une rétrospective de son travail : Gökşin Sipahioğlu « Monsieur Sipa, Photographe »

Portrait de Gökşin Sipahioğlu à la Maison européenne de la Photo. Paris, FRANCE – 04/11/2008.
© Ferit Duzyol / SIPA

Cette photo de Gökşin a été réalisé le jour de la visite de presse de son exposition le 4 novembre 2008.

Le jour où j’ai connu Sabine Weiss

C’est le même jour que j’ai fait la connaissance de Sabine Weiss qui exposait aussi à la MEP: « Un demi-siècle de photographies ». Nous sommes allés déjeuner avec elle à Saint Paul accompagnée de Chantal Soler, à l’époque la Directrice adjointe de l’agence Rapho, Sophie Kulczewski, la Chargée d’exposition à la MEP et Jean Merhi, le réalisateur vidéaste de la MEP.

Sabine Weiss posant devant le manège pour enfant sur la place Place Saint-Paul dans le Marais, le 4 novembre 2008. © Ferit Duzyol / SIPA

Sabine Weiss posant devant la Maison Européenne de la Photographie, le 4 novembre 2008
© Ferit Duzyol / SIPA

Foisonnante et généreuse, l’œuvre de Sabine Weiss est faite de curiosité, d’émerveillement et de malice. Elle est l’une des rares femmes photographes en France à vivre de son art dès les années 1950.

J’ai même réalisé un mini-interview avec Sabine ce jour dans la salle où elle exposait au 2ème étage de la MEP.

C’est là où j’ai remarqué, dans sa biographie, qu’elle était née en Suisse, deux ans avant Gökşin en 1924. À douze ans, elle a acheté son premier appareil photo avec son argent de poche. Et de 1942 à 1945 elle a fait son apprentissage en photographie à l’Atelier Boissonnas à Genève.

C’est la première fois que j’ai eu connaissance de l’existence de l’Atelier Boissonnas et la dynastie des photographes Boissonnas. Je ne savais pas encore ce jour que 10 ans après cette rencontre, en août 2018 par pure hasard, j’aurais l’occasion d’admirer les photos de Fred Boissonnas réalisées en 1912. C’était ma première rencontre avec l’œuvre immense de Fred Boissonnas*.

Je vous invite à la découvrir…

Fred Boissonnas (1858 – 1946), Autoportrait à l’appareil binoculaire, 1900
Tirage au gélatino-bromure d’argent
contrecollé sur carton
© Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève
[Réalisé pour l’Exposition universelle de Paris en 1900, cet autoportrait ne vise pas tant l’effet comique que la démonstration didactique. Fred Boissonnas s’attèle alors à une question posée depuis des siècles par les artistes produisant des œuvres en deux dimensions : comment restituer sur une image plan un monde tridimensionnel, mais aussi le champ de vision humain par nature binoculaire et majoritairement flou ? Pour y remédier, Boissonnas propose d’utiliser deux négatifs réalisés simultanément par deux objectifs juxtaposés pour produire un tirage. S’il obtient un Grand prix à l’Exposition universelle pour l’ensemble de son œuvre, cette idée vivement débattue restera sans lendemain. Il recherchera alors à capter la profondeur de l’expérience du regard humain par d’autres moyens.]


*L’Atelier Boissonnas à Genève

En 1862 Henri-Antoine Boissonnas (1833–1889), graveur de boîtiers de montres, devient peintre-photographe et décide d’ouvrir un atelier de photographie. Il reprend en 1864 les locaux du photographe Auguste Garcin, situés dans la Maison des Trois-Rois à la place Bel-Air, Genève, aujourd’hui disparue. Doué pour la chimie et le dessin, il se spécialise dans les portraits enfantins, qui attirent une clientèle nombreuse. En quelques années son talent est reconnu sur le plan international.

Fort de son succès, il fait construire en 1872 un immeuble au quai de la Poste à Genève qu’il aménage spécialement pour la photographie.

En 1887, son fils aîné Frédéric, dit Fred Boissonnas (1858-1946), musicien puis photographe, prend la tête de l’atelier et le dirige jusqu’à 1927.

Son frère cadet, Édmond-Victor Boissonnas (1862-1890), chimiste et technicien collabore avec lui à l’atelier photographique familial. Il invente les plaques orthochromatiques qui introduiront la couleur. Cette invention le rend célèbre dans l’Europe entière. Il reçoit une médaille d’argent à l’Exposition photographique de Vienne en 1882 et une médaille d’or à l’Exposition mondiale de Bruxelles en 1888.Il réalise le pavillon Boissonnas de l’Exposition universelle de Paris de 1889. Il y présente une des premières prises de vue du Mont-Blanc de Fred Boissonnas, effectuées avec une plaque orthochromatique sur un format panoramique. Internationalement reconnu en tant que chercheur, il s’installe aux États-Unis, à Saint Louis, afin de travailler la fabrication industrielle de ses plaques photographiques au sein de l’entreprise Kramer’s Dry Plates Work Cy. Mais il y décède du typhus en 1890.

Fred Boissonnas participe à des expositions en Europe et connaît un premier grand succès en 1900, à l’Exposition universelle de Paris.

En 1900, l’atelier compte 22 collaborateurs. En 1901, il ouvre des succursales à Paris (avec André Taponier), et à Reims (avec Neumayer) et rachète l’atelier fondé en 1897 par Nadar à Marseille (avec Fernand Detaille); en 1902, il reprend l’atelier d’Anaclet Pasetti à Saint-Petersbourg en Russie (avec Fritz Eggler), et l’atelier de Pierre Bellingard, à Lyon (avec M. Magnin).

Fred Boissonnas dirigera l’atelier jusqu’à 1927.

Ses trois fils vont se succéder à l’atelier : l’ainé Edmond-Edouard Boissonnas (1891-1924), prend des photos des années 20. Il est aussi talentueux que son père.

Son deuxième fils Henri-Paul Boissonnas est formé comme peintre, aquarelliste et illustrateur à l’école des beaux-arts de Genève. Il se rend en Asie Mineure en avril 1921 pour couvrir la guerre gréco-turque pour le quotidien le Journal de Genève avec le colonel suisse et historien militaire Fernand Feyler. C’est sur le front d’Anatolie, invité par le gouvernement Grec, qu’il se met vraiment le métier dans les mains. Il regagne la Suisse avec une moisson de documents rarissimes. Après, ça va être la débâcle de l’armée Grec contre Atatürk le 9 septembre 1922. Les Grecs perdent le Smyrne et 100 000 hommes. Quand son frère Edmond-Edouard meurt à 34 ans d’une crise cardiaque en 1924, Henri-Paul Boissonnas (1894-1966) reprend la clientèle en catastrophe pour un bref intérim. Il reste à la tête de l’atelier familial de photographie (quai de la Poste à Genève) et des éditions familiales jusqu’en 1927 avec son père.

En 1927, son père, Frédéric Boissonnas organise une expédition en Grèce et une seconde ascension du mont Olympe. Après cette date, Henri-Paul revient à sa profession initiale de restaurateur d’art qu’il va pratiquer à Genève, puis à Zurich, où il s’installe dès 1934.

A partir de 1927 c’est son petit frère Paul Boissonnas (1902-1983), qui lui succède à la tête de l’atelier familiale et des éditions familiales et ce jusqu’en 1969. Puis c’est la crise du 1929 !

Il vend dix ans plus tard en 1938, en raison de la baisse des affaires, l’immeuble du quai de la Poste devenu trop grand et trop cher. Il s’installe au passage des Lions ; ses clients lui commandent surtout des portraits, des photos passeports, mais aussi de la publicité industrielle qui est en plein développement. Il passe à ce moment à l’éclairage électrique pour réaliser les prises de vue.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, (Sabine Weiss a fait son apprentissage en photographie à l’Atelier Boissonnas à cette période). En 1945 Paul Boissonnas se spécialise dans la photographie d’œuvres d’art. Son père meurt en 1946.

En 1958, il transfère l’atelier de photographie dans son appartement du 24, rue de Candolle, où il reste jusqu’en 1969, date à laquelle son gendre Gad Borel, reprend la direction des affaires. Celui-ci s’installe d’abord au boulevard des Philosophes puis à la rue Saint-Léger où il ouvre en 1971 la Galerie des Philosophes. Il y expose des photographies en parallèle avec d’autres formes d’art comme la peinture.

En 1975, l’atelier Borel-Boissonnas déménage au 90 route de Thonon à Vésenaz, où il fonctionne sous la direction de Gad Borel jusqu’à sa fermeture en 1983. Les archives documentant plus de 120 ans d’un atelier de photographie genevois, qui sont conservées au grenier, sont dès lors mises à la disposition de nombreux chercheurs. En 2011, la Ville de Genève achète le fonds constitué de plus de 140 000 négatifs et 45 000 tirages et le transfert au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève.

https://www.rts.ch/archives/tv/divers/dimanche-soir/3478993-les-boissonnas.html


Exposition « L’Odyssée du mythe à la photographie »

Je ne savais pas encore ce jour que 10 ans après cette rencontre, en août 2018 par pur hasard, j’aurais l’occasion d’admirer les photos de Fred Boissonnas réalisées en 1912. C’était ma première rencontre avec son œuvre immense.
J’ai donc eu l’occasion de visiter l’ exposition « L’Odyssée du mythe à la photographie » à la Bibliothèque de Genève dans le « Couloir des coups d’œil ». Une exposition proposée par l’Université et la Bibliothèque de Genève et dont on pouvait voir des photographies de Fred Boissonnas prises lors de son voyage en 1912 avec Victor Bérard pour suivre les traces d’Ulysse.

Voici le petit catalogue de cette exposition :

Catalogue de l’exposition « L’Odyssée du mythe à la photographie »

L’Odyssée d’Homère est l’une des grandes fictions qui ont nourri l’imaginaire de la Méditerranée depuis l’Antiquité. Dans l’histoire des tentatives de faire coïncider les aventures d’Ulysse avec l’espace méditerranéen, le projet de l’helléniste, géographe et homme politique Victor Bérard (1864-1931) et du photographe genevois Fred Boissonnas occupe une place particulière.

Les deux collaborateurs embarquent en 1912 pour un voyage de plusieurs mois afin de prouver, par image, que les poèmes homériques ne sont pas seulement une fiction, mais qu’ils peuvent être lus comme une description fidèle de la Méditerranée à l’époque des Phéniciens.
L’Odyssée était, autrement dit, considérée comme un véritable document géographique.
Fred Boissonnas s’engage dans ce projet aux ambitions poétiques, qui consiste à dresser un inventaire photographique des lieux évoqués dans l’Odyssée en compagnie du philologue et géographe français Victor Bérard.

De Troie à Ithaque : l’itinéraire d’Ulysse selon Victor Bérard « Itinéraire d’Ulysse », à partir de l’Atlas de Paul Vidal de la Blache, p. 8-9. Extrait de Victor Bérard. Les Phéniciens et l’Odyssée, Paris, Armand Colin,1903, vol. 2, fig.144.

En 1912, les deux hommes voguent donc vers les rivages d’Ithaque, puis le repaire supposé de Calypso (situé non loin de Gibraltar) avant de faire voile vers le pays des Lotophages (en Tunisie).

La commissaire de l’exposition Estelle Sohier nous explique : « La thèse que défend Bérard repose sur l’idée que l’ouvrage d’Homère peut se lire comme une réinterprétation poétique des périples effectués par les marins phéniciens et que les lieux qui y sont cités peuvent être retrouvés dans les paysages contemporains de la Méditerranée, Une manière d’accéder non pas à un passé héroïque mais à la vie quotidienne des Anciens, à leurs déplacements, à leurs habitudes, à leurs modes de subsistance ainsi qu’à toute la gamme des affects provoqués par le contact avec la nature, de la terreur à la fascination.»

Les photographies présentées dans le « Couloir des coups d’œil » de la Bibliothèque de Genève offraient un aperçu des différentes étapes du voyage que Bérard et Boissonnas effectuent pour identifier les « sites homériques ».

Première étape (juillet – août 1912)

Les deux hommes quittent Marseille avec de lourdes caisses de plaques photographiques le 27 juillet 1912, pour la première partie de leur mission. Ils font escale à Gibraltar avant de rejoindre Ceuta et, de là, l’îlot de Perejil (Persil), sur les traces de Calypso.

Bérard localise les confins du monde où Ulysse est retenu en ouverture de l’Odyssée à l’extrême ouest de la Méditerranée. Les reliefs de Gibraltar, de Ceuta et de l’îlot Persil sont étudiés depuis la mer et parcourus à la recherche de grottes et de sources qui auraient inspiré la description de l’île de Calypso.

Après avoir retraversé la Méditerranée, ils gagnent depuis Rome le Monte Circeo et les marais Pontins en chemin de fer, avant de débarquer en Sardaigne, près du détroit de Bonifacio, identifié comme la rade des Lestrygons. Après Naples, puis Pouzzoles, en Campagnie – terre du Cyclope -, ils rejoignent à la fin du mois d’août l’archipel de Li Galli, au large de Sorrente, refuge des sirènes, avant de marquer une pause.

A quelques 80 kilomètres au sud est de Rome, le Monte Circeo est identifié comme le lieu qui aurait servi d’inspiration à Homère pour décrire l’île de Circé la magicienne. Outre l’interprétation toponymique, Bérard défend cette théorie, à la suite d’auteurs anciens, de par la position et la visibilité du massif qui domine la mer et les Marais Pontins. Relief, végétation et faune (pourceaux) sont photographiés par Boissonnas, mais aussi huttes, sources, lavoirs, ainsi que les zones en bordure de mer ayant pu servir de ports naturels.

Circé, Boissonnas au sommet.
Lieu: Italie Latium marais Pontins – Latitude: 41.2391 – Longitude: 13.0434
© Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

Le massacre des compagnons d’Ulysse par les Lestrygons, ces géants anthropophages, était considéré par Bérard, à la suite de Strabon, comme une interprétation métaphorique des spectaculaires pêches au thon pratiquées en Sardaigne. Le cétacé est photographié en gare de Messine.
La Sicile est, quant à elle, identifiée comme l’île du soleil.

Les Cyclopes, ces êtres géants décrits au chant IX dans les aventures d’Ulysse, féroces lanceurs de pierres, seraient selon Bérard nés dans l’imagination d’Homère à partir de descriptions de volcans en éruption : ils les situent autour des champs Phlegréens, dans la région de Naples, une région par ailleurs riche en vignes.

Bérard associe l’épisode des Sirènes à un petit archipel près de la côte amalfitaine, Li Galli, non loin de Capri, un lieu de passage dangereux pour les marins quand il est traversé par des vents violents. Bérard reconnait dans le paysage de la plus grande de ces îles les « prairies fleuries » décrites par Homère.

[Il vous faudra d’abord passer près des Sirènes. Elles charment tous les mortels qui les approchent…, et le pré, leur séjour, est bordé d’un rivage tout blanchie d’ossements et de débris humains
(Chant XII v.39-40, 45-46).] Cf. citations de l’Odyssée d’Homère, Traduction de Victor Bérard. Armand Colin,1931]

Les sirènes et la tour.
Lieu: Italie – Latitude: 40.5825 – Longitude: 14.4348
© Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

Fred Boissonnas a pris cette photo lors de leur voyage avec Victor Bérard en 1912 dans les traces d’Ulysse. C’est cette photo qui a fait la couverture (recto et verso) du petit catalogue de l’exposition «L’Odyssée du mythe à la photographie ».

Deuxième étape (septembre – novembre 1912)

La deuxième partie du voyage dure plus d’un mois et demi. Après un séjour avec leurs familles respectives, l’helléniste et le photographe se retrouvent à Rome le 26 septembre pour poursuivre leur enquête dans la région du Monte Circeo, avant de se rendre à Pouzzoles, Naples, Cumes, puis d’embarquer sur un petit bateau à voile, l’Olive, pour atteindre les îles de Corfou, Leucade, Céphalonie, puis Ithaque – déjà photographiée par Boissonnas en 1903.

Bérard et Boissonnas dans le yatch Olive.
Lieu: Grèce îles ioniennes – Latitude: 38.5231 – Longitude: 20.7019
© Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

[Les deux hommes prennent de multiples moyens de transport, terrestres et maritimes. L’Olive est un bateau à voile qu’ils utilisent pour atteindre les iles de Corfou, Leucade, Céphalonie, puis Ithaque.]

De Patras, un paquebot les emmène à Messine, dont ils rejoignent le détroit, puis le Stromboli et l’île de Lipari.

[Nous gagnons Éolie, où le fils d’Hippotès, cher aux dieux immortels, Éole, a sa demeure. C’est une île qui flotte ; une côte de bronze, infrangible muraille, l’encercle tout entière ; une roche polie en pointe vers le ciel (Chant X v.1-4).] Cf. citations de l’Odyssée d’Homère, Traduction de Victor Bérard. Armand Colin,1931

Stromboli, fumée noire du volcan.
Lieu: Italie Sicile îles éoliennes – Latitude: 38.7501 – Longitude: 15.2118 © Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

(C’est Éole, roi des Vents qui donne à Ulysse le sac qui contient les vents ; celui-ci aurait dû lui permettre de regagner sa patrie, mais c’était sans compter la curiosité de ses marins.)

Enfin, de Palerme, un bateau de ligne permet à Bérard et Boissonnas de gagner la Tunisie, puis Djerba, à la recherche du pays des Lotophages.

Strabon localisait déjà le pays des mangeurs de lotos à Meninx, l’actuelle Djerba. Ils y photographient la végétation – en particulier les arbres fruitiers – les bateaux à voile et les attentes des marins sur le port dans la torpeur du petit matin.

Ils finissent leur mission, épuisés, en Tunisie le 14 novembre.

Cette exposition a pu se faire grâce à l’acquisition, faite par la Ville de Genève en 2004, de ce fond riche de plus de 4 000 documents. Initiée par le département de géographie de l’Université de Genève, l’étude de ce fonds s’intègre dans un projet scientifique plus vaste, conduit par l’École française d’Athènes autour de la personnalité de Victor Bérard, homme aux multiples talents.

L’exposition avait comme ambition de faire connaître à un large public l’existence de ces images et des études qui leur sont consacrées. Une étape importante du projet scientifique, la mise en ligne d’un site innovant entièrement dédié par l’Université de Genève à la présentation de ces photographies a été réalisé avec succès avant l’organisation d’une grande exposition qui devait être présentée en Grèce et en Suisse.
C’était l’un des buts que se sont fixés les trois institutions partenaires en 2018.

Un projet d’étude scientifique et de valorisation réalisé par l’Université de Genève en partenariat avec l’École française d’Athènes et la Bibliothèque de Genève. Sous le Commissariat d’Estelle Sohier (Maitre d’enseignement et de recherche, Chargée de cours et collaboratrice scientifique II Département de géographie et environnement Université de Genève), en collaboration avec Nicolas Schaetti (Bibliothèque de Genève)

L’Odyssée, du mythe à la photographie

Voir le film de présentation du projet :
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/

Description du fonds photographique :
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/accueil/fonds-berard-boissonnas/

Le fonds Victor Bérard – Fred. Boissonnas conservé au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève comprend 2027 négatifs sur plaques de verre aux formats 09×12 cm et 13×18 cm, ainsi que 1192 tirages de référence sous la forme de planches contact collées sur papier cartonné, et 406 diapositives. Certaines vues comportent deux, trois ou quatre variantes, aussi nous avons sélectionné parmi cet ensemble 600 images afin de les géo référencer.
Chaque document a été numéroté et légendé par le photographe. Ces métadonnées sont accessibles à partir des fenêtres contextuelles associées à chaque image présentée.
Les archives du centre d’iconographie conservent également un ensemble de photographies réalisées par Alice Bérard au début du 20ème siècle (721 négatifs souples).
L’ensemble du fonds Bérard-Boissonnas est par ailleurs accessible depuis le catalogue du Centre d’iconographie de la bibliothèque de Genève lequel gère les commandes de reproductions numériques et auquel doivent être adressées les demandes de consultation des originaux. Le Centre conserve par ailleurs le fonds d’atelier des photographes Boissonnas, y compris les images de Fred. Boissonnas.
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/catalogue/

Victor Bérard, Frédéric Boissonnas, » Dans le sillage d’Ulysse, album odyssée. » Paris, Armand Colin,1933.

L’ambitieux projet de publication aux Éditions d’art et de science Boissonnas n’a jamais vu le jour en raison d’un ensemble de circonstances extérieures défavorables.

Cette mission photographique a suscité admiration, débats et controverses jusqu’à une date récente.

Les circonstances ont fait que l’ouvrage qui devait couronner ce travail effectué en 1912 (peu avant la Première guerre balkanique) n’aboutit qu’à une publication modeste, parue en 1933 après la mort de Bérard.
Naturellement, en rentrant à Paris, je me suis dépêché d’acquérir ce livre…

Victor Bérard, Frédéric Boissonnas, Dans le sillage d’Ulysse, album odyssée. Paris, Armand Colin, 1933.

Jean Bérard, le fils de Victor Bérard souligne dans l’introduction du livre que ce dernier volume de la collection devait compléter la série des études odysséennes de son père, mais qu’il fut enlevé par la maladie, sans avoir eu le temps d’en arrêter le détail de façon définitive. Reprenant son projet, cette Album Odysséen est publiée pour achever l’œuvre de son père et pour réaliser son dernier désir.

Les photographies qui sont reproduites dans ce volume sont l’œuvre de Fred Boissonnas. Que 165 reproductions de photographies ont été utilisé dans l’Album, accompagnées d’une préface et d’une brève introduction. Aucune information sur les conditions de production des documents n’est donnée, tandis que le rôle des images est résumé à leur valeur de « documents scientifiques », certains clichés étant accompagnés de citations de l’Odyssée d’Homère.

Exposition « Fred Boissonnas et la Méditerranée » au Musée Rath à Genève

Avec l’exposition à la Bibliothèque de Genève dans le « Couloir des coups d’œil » « L’Odyssée du mythe à la photographie », proposé par l’Université et la Bibliothèque de Genève en 2018 les trois institutions partenaires : l’Université de Genève, l’École française d’Athènes et la Bibliothèque de Genève ont annoncé leur souhait d’organiser une grande exposition qui devait être présentée en Grèce et en Suisse consacrée à l’œuvre de Fred Boissonnas et ses voyages en Méditerranée.
Ce projet a vu le jour au Musée Rath, à Genève. D’abord été annoncé du 24 avril au 26 juillet 2020 comme on peut lire dans l’ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « Fred Boissonnas et la Méditerranée. »

Manque de chance le 16 mars 2020 : la Suisse basculait dans le confinement… Malheureusement cela m’a obligé d’annuler mon voyage à Genève pour l’inauguration de cette exposition !
Finalement, l’exposition a eu lieu du 25 septembre 2020 au 31 janvier 2021.

Couverture du catalogue « Fred Boissonnas et la Méditerranée. Une odyssée photographique », Estelle Sohier : Editions de La Martinière, 2020.
Fred Boissonnas (1858-1946)
Un pêcheur de thon à Messine, 1912
Négatif au gélatino-bromure d’argent sur verre retouché 12 x 9 cm
Inv. FVB N09x12 1261
© Bibliothèque de Genève, Fred Boissonnas

Le commissariat de l’exposition a été assurée par Estelle Sohier (maître d’enseignement et de recherche, Université de Genève),
Lada Umstätter (conservatrice en chef Beaux-Arts, Musée d’art et d’histoire), et les co-commissaires Mayte Garcia (assistante conservatrice Beaux-Arts, Musée d’art et d’histoire) et Nicolas Schätti (conservateur, Bibliothèque de Genève).

Regardez la présentation d’exposition : « Fred Boissonnas et la Méditerranée. Une odyssée photographique » » sur YouTube :
https://youtu.be/pPn2I4a7At0?si=EQU3CW7BHVjyUuOT

L’Odyssée tenait une place importante dans cette exposition :

À l’aide d’un dispositif multimédia et immersif, les visiteurs ont pu suivre le voyage autour de la Méditerranée entrepris par Fred Boissonnas sur les traces d’Ulysse, avec Victor Bérard.

Éminent traducteur de l’Odyssée, Bérard défend la thèse scientifique controversée selon laquelle l’épopée peut être lue comme un document géographique de l’époque des marins phéniciens.

Séduit par cette théorie, Boissonnas embarque avec lui en 1912 pour Gibraltar, l’Italie, la Grèce et la Tunisie, afin d’explorer les lieux qui auraient inspiré Homère pour imaginer les aventures d’Ulysse. Le projet est extravagant pour l’époque mais à la hauteur de l’énergie, des rêves et des ambitions des deux hommes.
La tension entre réalité et imagination, sciences et arts traverse la photographie depuis sa création. Leur enquête est un moyen de la dépasser, portée par les fantasmes des hommes et des femmes de leur génération fascinés par les progrès de la science.

Fred Boissonnas (1858 – 1946). Mer de Sicile à Tunis, vague et reflet
argenté, 1912
Négatif au gélatino-bromure d’argent
sur verre retouché
© Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève

Au cours du long voyage sur les traces d’Ulysse, Boissonnas photographie les reliefs méditerranéens, la faune et la flore, mais aussi les éléments, l’étendue maritime devenant
miroir. Ses expérimentations photographiques à la surface des eaux empruntent peut-être aux séries de Courbet comme La Vague (1870), dont le cadrage exclut tout élément
de rivage pour transcrire uniquement le mouvement, la force de la mer et la puissance de la nature.

Cette image a fait l’affiche de l’exposition.

Par la suite L’exposition a été transférée au musée de la photographie de Thessalonique. Elle a été présentée sous un format renouvelé du 8 septembre 2022 au 12 février 2023.

Liens
L’Odyssée, du mythe à la photographie
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/
Sur l’Atelier Boissonnas

Description du fonds photographique Bérard / Boissennas
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/accueil/fonds-berard-boissonnas/
Fonds Boissennas
https://www.unige.ch/sciences-societe/geo/ulysse/fr/catalogue/

Merci au Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève pour l’autorisation de publication de ces images.

La Rédaction
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