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Sophie Calle, Mary Ellen Mark, les femmes photographes japonaises, Cristina de Middel ou encore Judy Chicago (Luma) cet été à Arles elles captent la lumière et l’on s’en réjouit ! Christoph Wiesner a placé ces Rencontre 2024 sous le thème « Sous la surface » ouvert à de multiples lectures entre ce qui est révèlé et sous-jacent. Petit florilège parmi les 50 expositions.

Sous le prisme des photographes nippones : Quelle joie de vous voir

Les femmes photographes japonaises enfin ont leur revanche, les hommes ayant toujours dominé le paysage (Araki, Moriyama Daido..). Avec la sortie du livre référence aux éditions Textuel (français) et Aperture (anglais) à l’initiative de Pauline Vermare, historienne et conservatrice au Brookyn museum associée à Lesley A. Martin, ce panorama des années 1950 à nos jours, exposé au Palais de l’Évêché est captivant. Il faut dire que dans la société japonaise les femmes sont souvent cantonnées à leur rôle d’épouses modèles et de mères accomplies, alors être une femme artiste tient de la gageure.

Kawauchi Rinko. Sans titre, série the eyes, the ears, 2002-2004. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Aperture.

Quelle joie de vous voir” titre de l’exposition est inspiré d’un poème de Rinko Kawauchi, l’une des révélations qui fait la couverture de l’édition anglaise du catalogue. Ses moments de suspension en couleur tranchent avec la tradition noir et blanc de ses collègues masculins. Eiko Yamazawa utilise aussi la couleur pour privilégier l’abstraction dans des compositions rejouant la nature morte. La superbe série “Half Awake and Half Asleep in the Water” d’Asako Narahashi révèle les forces cachées du monde aquatique. La frondeuse Hiromix se saisit du phénomène des selfies dans des clichés Pop autour des postures codifiées de la « Girly Photo ». Sawada Tomoko interroge également les standards de beauté féminine à partir de séries d’autoportraits réalisés dans le photomaton d’un parking de supermarché de Kobé, intitulée « ID 400 » pour 400 personnages à la Cindy Sherman selon une approche sérielle. Ses portraits de groupe (collégiennes) sont également pleins de drôlerie et impertinence.

Dans une veine surréaliste les collages noir et blanc d’Okanque Toshiko à partir d’images découpées dans des magazines américains donnent un éclairage singulier de cette période d’occupation de l’armée US dans l’archipel avec l’accès à d’autres références visuelles. Autre clin d’œil à cette période avec Ishikawa Mao qui travaille comme hôtesse dans des bars pour GI américains et témoigne des relations nouées avec ces soldats et de l’impact néfaste de la colonisation de l’archipel en particulier sur les femmes.

Le parcours réparti en thèmes : le quotidien, l’expérimentation, l’identité et le genre, souligne l’audace de ces femmes à rebours du patriarcat et du conservatisme ambiants. Un incontournable de ces Rencontres 2024 !

Ishiuchi Miyako, Belongings, Salle Henri-Comte

L’une des pionnières Ishiuchi Miyako a reçu le Prix Kering Women in Motion à l’âge de 77 ans et bénéficie par ailleurs d’une exposition (un peu à l’étroit !) à la salle Henri Comte. Autodidacte, elle a considérablement œuvré pour l’émancipation des femmes en photographie. Sa série « Mother’s » visible dans les 2 lieux autour du deuil de sa mère est bouleversante à partir d’objets personnels marqués par les ravages du temps comme un tube de rouge à lèvres, des ballerines, un bracelet montre. Même démarche avec ひろしま/hiroshima à partir d’objets fossilisés de victimes de la catastrophe ou d’autres vestiges devenus cultes ayant appartenu à Frida Kahlo.

Ishiuchi Miyako. ひろしま/hiroshima #37F donor: Harada, A., Avec l’aimable autorisation de l’artiste / The Third Gallery Aya.

La scène féminine nippone est également présente avec Transcendance à l’espace Vague à l’initiale de Kyoyographie festival et SIGMA autour de 6 femmes sélectionnées par Lucile Reyboz commissaire dont Momo Okabe exposée à l’Archevêché. Des allers et retours très pertinents. A signaler en complément l’exposition « Répliques 11/03/11 des photographes japonaises et japonais face au cataclysme » à l’Espace Van Gogh autour de différents scénarios possibles d’une histoire qui ne cesse de se répéter.

Catalogue
Femmes photographes japonaises, des années 1950 à nos jours, Textuel, 440 pages, 69 euros.

Mary Ellen Mark, « Encounters »

Mary Ellen Mark. Manifestation féministe, New York, 1970. Avec l’aimable autorisation de The Mary Ellen Mark Foundation / Howard Greenberg Gallery

L’autre incontournable de ces Rencontres 2024, ce qui explique la file d’attente. Un regard sans concession sur l’Amérique et ses fêlures, les sans-abris, le cirque et ses mascarades, les manifestations contre la guerre du Vietnam, les enfants des rues, la folie..

Régulièrement publiée par les magazines Life, Vanity Fair, elle se détache rapidement de la simple commande. Elle fera partie de l’aventure Magnum avant de reprendre sa liberté.

Mary Ellen Mark. Rekha avec des perles dans la bouche, Falkland Road, Mumbai, Inde, 1978. Avec l’aimable autorisation de The Mary Ellen Mark Foundation / Howard Greenberg Gallery

Des séries emblématiques comme American Odyssey, Ward 81 pour le pavillon 81 de l’hôpital psychiatrique de l’Oregon où elle passe 36 jours, Indian Circus et ses personnages hauts en couleurs avec qui elle cohabite pendant 6 mois, les prostituées de Falkland Road à Bombay qu’elle visite à chacun de ses voyages en Inde, la famille Damm qu’elle suit de motels en motels. Le sordide, la crasse, la misère mais aussi la fulgurance et la grâce entre les laissés pour compte de l’American Dream et les stars d’Hollywood. Des instants fragiles et uniques.

Sophie Calle « Finir en beauté »

Sophie Calle. Finir en Beauté, 2024. Avec l’aimable autorisation de Anne Fourès.

Après une bonne demi-heure d’attente, l’on pénètre dans la fraîcheur des galeries souterraines des Cryptoportiques, lieu chargé de la mémoire d’Arles où Sophie Calle a décidé de jouter son théâtre des ombres. A l’occasion de son exposition au musée Picasso Paris, elle réalise que sa série des Aveugles était victime de moisissures à en devenir irrécupérables. Afin d’anticiper leur mort inévitable elle décide de leur offrir une dernière cérémonie dans les entrailles aux côtés d’autres témoins : des tableaux avec les derniers mots de sa mère, des bouquets de fleurs séchées, une paire de santiags, une robe, des tombes..

« Ni donner, ni jeter », scande l’artiste en hommage à l’artiste Roland Topor mais préserver de l’oubli. Une traversée des ténèbres et des images conduite par les Aveugles qui avaient été exposés à la Chapelle du Méjan. La voix accompagne le visiteur comme le Stycks de l’au-delà.

Wagon-Bar à l’Espace Croisière

Service à bord d’une voiture-restaurant du train Capitole, 1966.

C’est un peu notre Madeleine de Proust entre l’Orient Express et le Wagon corail à partir du fonds de la Compagnie internationale des wagons-lits et des archives du groupe SNCF. Pour les nostalgiques du croque-monsieur avec toute une réflexion sur l’émergence du marketing, la place du design…et une certaine vision française.

Cristian de Middel, Voyage au centre

Cristina De Middel. Une pierre sur le chemin [Una Piedra en el Camino], série Voyage au centre, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste/Magnum Photos.

Un projet au long autour du périple de migrants entre le Mexique et les Etats-Unis. La photographe hispano-belge veut redonner toute sa dimension héroïque au migrant non pas perçu comme une menace. Avec des incursions dans la mythologie populaire et les fables elle propose différentes lectures du mot voyage. Ces collages prennent une résonance forte dans la belle église des Frères Prêcheurs qui accueillait d’habitude le Prix Roederer qui se situe dorénavant au Monoprix.

Randa Mirza à la Maison des Peintres

Randa Mirza. Sans titre #4, série Parallel Universes, 2006. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Tanit Gallery, Munich.

Lieu encore brut que le festival a la bonne idée de réinvestir.

BEIRUTOPIA de Randa Mirza propose une vision distanciée des différentes catastrophes ayant frappé sa ville entre guerre civile, occupation Syrienne, explosion du port de Beyrouth, pandémie, effondrement économique…mêlée à sa propre mémoire intime des lieux. Une réflexion sur la mise en scène du conflit et ses déflagrations, l’image et ses leurres, la persistance de la trace.

Egalement Rajesh Vora, Baroque du quotidien autour de la coutume de décorer le toit de sa maison dans le Pendjab en Inde de sculptures d’avions, voitures, chars..

Fashion Army, Ground Control

Vêtement, camouflage, désert (3 modèles) sur le terrain, 1972.

En sortant de la gare, à ne pas manquer !

L’artiste et iconographe Matthieu Nicol est un collectionneur d’images Issues du Centre de recherche et développement de l’armée américaine des années 1960 à 1990 en charge des prototypes et des uniformes et déclassifiées. L’approche volontiers conceptuelle donne une certaine neutralité, comme un catalogue de produits mais qui n’a rien d’anodin. La récupération par l’univers de la mode de certains modèles comme les lunettes Ray Ban ou la veste treillis est d’ailleurs un phénomène persistant.

Prix Découverte Louis Roederer

Désormais à l’espace Monoprix l’exposition des 7 projets finalistes sous le commissariat d’Audrey Illouz (Beaux-arts de Paris) est placée sous le prisme de l’intranquillité.

François Bellabas. MOTORSTUDIES_DTB, 2016. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / ADAPG, Paris.

François Bellabas présenté par le Centre Photographique d’Île-de-France, reçoit le Prix du Jury qui consiste en une dotation de 15 000 euros pour une acquisition qui va intégrer la collection des Rencontres d’Arles. L’artiste a imaginé une intelligence artificielle autour des feux de forêt n Californie qu’il a peu à peu étendu à d’autres outils à une vision de la catastrophe avec une installation immersive qui saisit le spectateur.

Tshepiso Mazibuko. Buyafuthi Hostel, 2017-2018, série Ho tshepa ntshepedi ya bontshepe. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Tshepiso Mazibuko présentée par Umhlabathi Collective (Johannesburg, Afrique du Sud) reçoit le Prix du Public 2024, qui consiste en une dotation de 5 000 euros à travers une acquisition. L’artiste née dans le township de Thokoz a travaillé sur la génération des born-free en Afrique du sud à laquelle elle appartient. Mon coup de cœur va à l’artiste Marilou Poncin rencontrée et interviewée au macLyon.

À gauche : Debi Cornwall, Victime. Diorama « Triage médical de la Seconde Guerre mondiale ». Musée historique de Camp Roberts. San Miguel, Californie, série Citoyens modèles, 2018. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
À droite : Debi Cornwall, Fumigène. Centre de combat terrestre et aérien des Marine Corps. Twentynine Palms, Californie, série Fictions nécessaires, 2018. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Également à découvrir l’artiste Debi Cornwall avec le projet Citoyens Modèles qui a reçu le Prix Photo Elysée qui coproduit l’exposition avec le festival. La représentation du pouvoir et de la citoyenneté, la mise en scène de combats, les camps d’entrainement tout semble réel et pourtant… L’ex avocate en droit civil se passionne pour les mythes qui font l’Amérique. Prémonitoire en cette période électorale.

L’engagement

Ghana Accra Zongo Lane, Spring 2023 © Bénédicte Kurzen / Fondation Carmignac / NOOR

Dans un registre moins institutionnel la Fondation Manuel Rivera Ortiz explore l’engagement sous plusieurs formes avec les lauréats du 13ème Prix Carmignac du Photojournalisme autour du trafic de la gestion de nos déchets électroniques (e-waste) en Afrique de l’Ouest dont le Ghana s’est fait le spécialiste. En violation des traités internationaux, ces circuits et filières occultes et opaques sont mis à jour sous l’angle de la mondialisation. Passionnant !

Au nom du nom

Jamel Shabazz. The Righteous Brothers, New York, 1981. Avec l’aimable autorisation de l’autorisation / Galerie Bene Taschen, Cologne.

Last but not least, une traversée du graffiti par Hugo Vitrani commissaire (Palais de Tokyo), avec des artistes aussi variés que Sophie Calle, Andre Cadere, Miriam Cahn, Gordon Matta-Clark, SKKi©, Melchior Tersen, Barry McGee, MODE2.. et des quartiers emblématiques de Paris (La Chapelle) ou New York. « Au nom du nom » est ce titre assez énigmatique qui révèle des pépites. Parution de l’ouvrage chez delpire.

Légère déception à l’ENSP pour l’exposition de Laurent Montaron dont la visée et le dispositif ne m’ont pas convaincu.

➔ Prochaine chronique : LUMA avec Lee Freidlander, Judy Chicago, Quand les images apprennent à parler Fondation A, Bruxelles, autre temps fort !

INFORMATIONS PRATIQUES

lun01jul10 h 00 mindim29sep(sep 29)19 h 00 minLes Rencontres d'Arles 2024Sous la surfaceLes Rencontres d'Arles, 32, rue du Docteur Fanton 13200 Arles

A LIRE
Sous la Surface – Rencontre avec Christoph Wiesner, directeur du festival des Rencontres d’Arles

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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