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Après 10 ans passés à la tête de la rédaction du magazine Fisheye, Eric Karsenty décide de passer la main ! Si certains parlent de retraite, Eric préfère dire qu’il « change de statut » pour éviter toute stigmatisation. Celui qui vient d’être récemment élu correspondant à l’Académie des Beaux-Arts dans le secteur photographie, prépare actuellement l’exposition « Notre famille afghane » d’Olivier Jobard, lauréat du Prix Marc Ladreit de Lacharrière 2022 présentée à partir du 9 octobre prochain. Rencontre.

Portrait d’Eric Karsenty © Boby

La photographie est entrée très tôt dans votre vie mais qu’est ce qui a fait choisir la photographie ?

Eric Karsenty : Je me suis intéressé à la photographie par le biais des magazines et plus particulièrement à la technique, j’ai emprunté l’appareil photo de mon père et j’ai commencé à faire des images. Étant un peu monomaniaque, je lisais tout ce qu’il y avait en rapport avec la photographie. J’avais une véritable soif d’apprendre, quand je venais à Paris, j’allais à la bibliothèque, j’allais voir des expositions… La photo est devenue une boussole dans mon parcours. En 1982, j’ai fait un stage aux Rencontres d’Arles avec Gilles Mora alors rédacteur en chef des cahiers de la photographie. Cette année-là, ils ont annoncé la création de l’école. J’ai immédiatement postulé et j’ai été admis dans la première promo. Et ensuite ça s’est cristallisé. J’ai d’abord eu des compétences dans l’image et puis après, avec ma formation de journaliste, j’ai mis l’écriture au service de la photo. La relation au magazine a également été une balise importante dans mon parcours.

Académie des Beaux-Arts © 9 Lives

En janvier, vous avez été élu correspondant à l’Académie des Beaux-Arts, comment cela se passe t-il, avez-vous répondu à un appel à candidatures ?

E. K. : Non, pas du tout, on est venu me chercher. Mon nom a été proposé et adopté par l’ensemble de la communauté, puisque les élections, aussi bien les académiciens, que les correspondants, se font en interne par vote. J’ai été élu en même temps que Valérie Belin, pour la création d’un nouveau fauteuil pour la section photographie. Et pour moi, cela intervient après la mort de Bernard Perrine, en décembre dernier. J’ai été très surpris à cette annonce, parce que toute fausse modestie écartée, c’est une reconnaissance des pairs qui me touche. Mais c’était assez abstrait, j’ignorais le rôle des correspondants. Ça se concrétise tout doucement, mais il y a encore beaucoup de choses à explorer. C’est un poste qui se détermine en fonction de son propre investissement. J’ai donc accepté ce poste, car c’était aussi une manière de me projeter après Fisheye, cela me permettait de garder un pied dans la photo et un pied particulièrement actif. Depuis fin janvier, je me rends régulièrement aux réunions qui ont lieu tous les mercredis après-midi en fonction de ma disponibilité et des bouclages du magazine. Ces réunions se font à l’Académie des Beaux-Arts avec les huit autres sections. Je rencontre beaucoup de monde, c’est formidable. Je me suis rendu compte que l’Académie aussi est là pour aider et soutenir des projets, que ce soit par l’attribution de dotation, de bourses, ou encore l’organisation de résidences. Par exemple, en 2026-2027, ça sera le bicentenaire de la photographie, on réfléchit à ce que l’on pourrait faire, quelque chose d’intéressant, pertinent, en coordination avec le projet du ministère de la Culture qui est encore en fabrication et en évolution.

Après leur évacuation d’Afghanistan, Mehrab, Sohrab et leurs soeurs ont été logés en urgence dans un camping breton. Après dix jours de quarantaine, ils sortent se promener avec mes enfants. Je sais qu’ils vont voir la mer pour la première fois de leur vie.
Piriac-sur-Mer, septembre 2021.
© Olivier Jobard / MYOP

Pouvez-vous revenir sur les missions de l’Académie des Beaux-Arts ?

E. K. : L’Académie des Beaux-Arts existe depuis le début du XIXème siècle au sein de l’Institut de France qui regroupe neuf disciplines. Sa mission principale est de promouvoir les différentes disciplines artistiques et de défendre les artistes. Le soutien est un axe particulièrement important dans la mesure où il y a des dotations généreuses… Des prix et des résidences sont organisés. Il est question de savoir comment on les organise et sur quels critères. C’est donc très concret, j’ai d’ailleurs été assez surpris de voir combien les discussions étaient parfois animées, tout le monde n’est pas forcément d’accord. Le secrétaire perpétuel, Laurent Petitgirard, mène des réflexions très pertinentes. Nous venons de clôturer le nouvel appel à candidature du Prix Marc Ladreit de Lacharrière, qui a lieu tous les deux ans, avec une dotation de 30 000 euros et une exposition à la clé au pavillon Comtesse de Caen, à l’Académie.

Sima, cadette de la fratrie, a fait son entrée en classe de FLE (Français Langue Etrangère). Elle rêve de devenir couturière.
Lycée de Etablières, La Roche sur Yon, mars 2022.
© Olivier Jobard / MYOP

Sangi-Zard, village natal des quatre jeunes situé au centre de l’Afghanistan. Province de Ghor, 10 septembre 2023.

© Olivier Jobard / MYOP

Vous travaillez actuellement à la conception de la prochaine exposition d’Olivier Jobart ?

E. K. : J’ai passé beaucoup de temps avec Olivier pour travailler sur ses images. Il a remporté ce prix il y a deux ans avec son travail sur l’Afghanistan. En 2013, avec sa compagne qui est réalisatrice, il a rencontré un jeune garçon dans les rues à Paris, Ghorban, un gamin de 13 ans qui avait traversé tout seul 7 000 kilomètres depuis l’Afghanistan pour venir en France. Cette histoire lui a paru incroyable et il s’est mis à suivre ce garçon pendant 8 ans. Ils sont devenus très proches. En 2018, quand les talibans ont repris le pouvoir, Ghorban a souhaité faire rapatrier ses quatre frères et sœurs restés au pays. Ils ont organisé ce rapatriement grâce au Quai d’Orsay et des associations. Ce travail photographique s’est poursuivi avec ces quatre frères et sœurs. Et pour la première fois, Olivier Jobard s’est mis à inclure sa famille, ses enfants, sa femme et c’est devenu « Notre famille afghane », qui est le titre de l’exposition où l’intime se mêle au travail de documentariste. Et c’est ce franchissement de frontières que donne à voir aussi cette exposition où l’on voit le passage de ces quatre enfants en France jusqu’à leur intégration. Olivier s’est également rendu en Afghanistan pour voir où ils vivaient, rencontrer les gens qu’ils connaissaient et l’évolution du pays. L’exposition aura lieu du 10 octobre au 30 novembre 2024 à l’Institut de France.

Sima et mon plus jeune fils, Léon, en week-end à la campagne.
Veulettes-sur-Mer, 29 avril 2023.

© Olivier Jobard / MYOP

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu10oct(oct 10)11 h 00 minmer27nov(nov 27)18 h 00 minOlivier JobardNotre famille afghane, souvenirs d’une vie envoléeAcadémie des beaux-arts - Institut de France, 23, quai de Conti – 75006 Paris

À LIRE
Eric Karsenty, rédacteur en chef de Fisheye, est notre invité

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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