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Temps fort des Rencontres d’Arles à la Fondation LUMA avec Lee Friedlander par le cinéaste Joel Coen (The Big Lebowski, No Country for Old Men…), Judy Chicago et la fondation A : pour Astrid Ullens qui a un espace à Bruxelles près du Wiels avec des expositions dont je vous ai déjà parlé. Un programme copieux qui mérite ½ journée de visite. Le lien avec la Fondation Van Gogh se fait autour de l’installation du duo DRIFT en regard du prêt exceptionnel du chef d’œuvre La Nuit étoilée par Orsay qui était présenté pour la première fois à Arles.

Lee Friedlander Framed by Joel Coen

« Si tout art aspire à une forme de musicalité, alors Lee est un jazzman avec un appareil photo, et le son qu’il sort de son instrument ne ressemble à rien de ce qui a été joué auparavant. »

C’est le coup de génie du galeriste de Friedlander : Jeffrey Fraenkel qui imagine avec Frances McDormand l’exposition carte blanche pendant le confinement.

Joël Cohen confie :

« J’ai trouvé difficile de choisir seulement quelques images de l’immense carrière de Lee Friedlander. Par où commencer ? En tant que fabricant d’images moi-même, j’ai été davantage attiré par son sens de la composition, magnifiquement étrange, plutôt que par un sujet en particulier.. et de poursuivre :
J’étais aussi intéressé par le fait que Lee soit un passionné de jazz et qu’il a commencé sa carrière en prenant des photos de musiciens. »

Lee Friedlander Framed by Joel Coen, 2024, The Tower, Archives Gallery, Parc des Ateliers, LUMA Arles, France © Adrian Deweerdt

Une approche singulière, un art du séquençage et de la composition, une vision éclatée autour d’un ensemble de 70 tirages mis en musique par le commissaire Matthieu Humery, à la suite de leur entrée dans la Collection Maja Hoffmann. Les fameuses images projetées depuis les rétroviseurs des voitures, les lignes des poteaux électriques, les corps fragmentés, les instants suspendus, le hors champ : tout devient très cinématographique.

Le dispositif oblique en longueur reproduisant certaines scènes urbaines de Friedlander sur les tranches des cimaises donne une sensation de plongée dans l’univers du photographe autour d’affinités singulières : l’art du cadrage, l’intrusion du ludique et de l’étrange mais surtout une certaine vision de l’Amérique qui déchante. C’est là que la fusion opère vraiment. Ce rêve américain qu’il soit urbain ou périphérique, de New York à Los Angeles, promis à l’obsolescence. L’errance qui traverse les films des frères Cohen et la faillite des utopies se retrouvent dans les clichés rassemblés. Les Etats-Unis qui se préparent à élire leur prochain président est ce pays d’antagonismes extrêmement polarisé. Toile de fond de tous les possibles où le hasard surgit au coin de chaque rue.

Judy Chicago, Herstory, 2024, Le Magasin Électrique, Parc des Ateliers, LUMA
Arles, France. © ADAGP, Paris, 2024
© Victor&Simon – Joana Luz

Judy Chicago (Le Magasin Electrique)

Une exposition historique, d’abord présentée par le New Museum of Contemporary Art (New York) dont le titre joue de résonnances politiques : Herstory. Une performance inédite Smoke SculpturesTM a été recréée à l’occasion. La nouveauté tient dans une reprise de la Feather Room, œuvre de jeunesse avant-gardiste de Chicago, placée au centre de l’exposition qui invite le visiteur à une expérience singulière. Autre installation essentielle, The Dinner Party, évoquée à travers des photographies (l’original étant au Brooklyn museum) autour d’une volonté de réécrire l’histoire de l’art sous le prisme du rôle joué par les artistes femmes. Le fameux projet collectif The Womanhouse est également évoqué, conçu avec Miriam Shapiro à l’université de Californie dans le cadre du Feminist Art Program. Œuvres historiques ou plus récentes se répondent. Il convient de souligner combien la critique n’a pas toujours été réceptive à sa démarche, voire cruelle même si l’on songe à la réception de The Dinner Party. Son intérêt pour les pratiques et mediums dits féminins est une forme de résistance. L’évocation de l’installation The City of Ladies avec les grandes bannières brodées par des femmes de la communauté Chanakya School of Craft (Mumbai), The Female Divine, autour de questions telles que « Et si les femmes dirigeaient le monde » ont valeur de testament.

Erika Verzutti, The Life of Sculptures, 2024, The Tower, East Gallery,
Parc des Ateliers, LUMA Arles, France.
© Victor&Simon – Joana Luz

Il faudrait mentionner l’installation immersive de Diana Thater et sa fascination pour l’animal robotique ou la rétrospective de l’artiste Rirkrit Tiravanija « A lot of people » autour de pratiques participatives qui engagent le goût, les sens et les différences culturelles (les recettes). Coup de cœur pour la sculptrice brésilienne Erika Verzutti exposée à la suite d’une résidence récente à LUMA Arles. A partir de formes inspirées de Constantin Brancusi (The Endless Column) l’artiste imagine un paysage de repos, de rêve parsemé de traces de corps ou d’outils de sculpture.

William Kentridge, Je n’attends plus

William Kentridge, Je n’attends plus, 2024, La Mécanique Générale, Parc des
Ateliers, LUMA Arles, France. © Victor&Simon – Grégoire d’Ablon

William Kentridge réserve bien des surprises même pour celles et ceux qui comme moi ont vu son travail à plusieurs reprises dans d’autres lieux. Il nous embarque dans une aventure sans précédent à partir de l’épisode de l’embarquement en 1941 à Marseille pour la Martinique d’un certain nombre d’artistes et d’intellectuels en réaction à la France de Vichy. Un fait historique qui devient prétexte à une allégorie de toutes les formes d’oppressions coloniales. Cet opéra de chambre The Great Yes, The Great No imaginé en partenariat avec le Festival d’Aix-en-Provence et toutes ses formes d’inspirations, tous les masques et accessoires conçus en regard des avant-gardes de l’époque (Dada) sont retransposées au sein de l’espace d’exposition aux côtés d’autres œuvres dans une approche d’art total chère à l’artiste.

La jonction avec la Fondation Van Gogh se fait à travers le collectif hollandais DRIFT qui imagine deux œuvres interactives et sensorielles en écho avec l’approche de Van Gogh autour des couleurs et des mouvements. Une commande accompagnée d’une performance en plein air qui souligne en même temps les 10 ans de LUMA Arles, Maja Hoffman étant à l’origine de la création de la Fondation Van Gogh. Un coup double magistralement servi par l’exposition Van Gogh et les Étoiles imaginée par Bice Curiger et Jean de Loisy. C’est sans doute la pépite des expositions arlésiennes et de l’été ! Je ne pèse pas mes mots.

Van Gogh et les Etoiles

Les 10 ans de la fondation VAN GOGH avec « la Nuit étoilée »

L’opus retrace le climat littéraire et scientifique singulier qui se développe dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Sous l’influence d’artistes, d’écrivains (Jules Vernes) et de savants comme Camille Flammarion, l’astronomie connait un véritable engouement. Van Gogh possédait le livre de Flammarion et se passionne pour les effets nocturnes. De grands illustrateurs scientifiques comme Étienne Léopold Trouvelot ou Lord Rosse ouvrent la voie à la science-fiction.

SMITH Autoportrait, 2021 Thermogramme sur aluminium brossé et cadre en acier brossé,60 × 80 cm Christophe Gaillard Crédits : © SMITH

L’influence du tableau de Van Gogh est remarquable auprès de ses contemporains tels que Akseli Gallen-Kallela, Odilon Redon ou James Ensor mais aussi d’autres artistes : Edvard Munch, Kasimir Malevitch, Yves Klein, Georgia O’Keeffe, Helen Frankenthaler. Les artistes contemporains sont également nombreux : Tony Cragg, Alicja Kwade, Anselm Kiefer, Dove Allouche, Lee Bontecou Jean-Marie Appriou, SMITH. L’on se souvient de la remarquable exposition au Muma du Havre en 2020 autour de la peinture nocturne « Nuits électriques ». L’ensemble des prêts obtenu par les commissaires donne le vertige. Le parcours est limpide offrant des ouvertures vers d’autres disciplines passionnantes.

Retour aux Rencontres avec la Fondation A présentée dans les espaces de LUMA à la Mécanique Générale

Le focus opéré par le commissaire Urs Stahel se concentre sur 650 tirages et 45 photographes de la vaste collection d’Astrid Ullens de Schooten Whettnall. Les photographes documentaires conceptuels sont mis en avant à partir de séries complètes selon la volonté de la collectionneuse octogénaire atypique et toujours passionnée. Défilent sous nos yeux des ensembles majeurs de Walker Evans, Lewis Baltz, les Becher autour de l’évolution du paysage. Le point de bascule se fait avec les années 1960 et 1970 et l’avènement du structuralisme, de l’analyse conceptuelle et l’émergence d’un récit à partir d’images qui témoignent de la complexité de la représentation du monde. Martha Rosler signe par exemple l’irruption des médias dans la société avec la série Bringing the War Home.

La question du portrait est abordée dans une 2ème partie avec des séries majeures de Hans Peter Feldmann, Judith Joy Ross ou Nicholas Nixon et l’émouvante épopée des 4 Sœurs Brown toujours en cours. Mitch Epstein met à jour l’envers du rêve américain avec les conséquences de la dérive consumériste. Jo Ratcliff donne vie à des traces muettes et silencieuses d’anciens théâtres de bataille. Il incarne véritablement ces « images qui apprennent à parler » du titre. Une incursion est faite dans l’Amérique du sud avec des représentants tels que Manuel Alvarez Bravo, Graciela Iturbe ou Yolanda Andrade pour le Mexique avec de nouveau un prisme conceptuel autour d’éléments architecturaux tels que la façade ou les volets.

En guise de conclusion le commissaire s’interroge sur le devenir de ces photographes documentaires avec l’irruption des nouvelles technologies, de l’IA et ce vertige continu qui nous entoure.

INFOS PRATIQUES :
Lee Friedlander Framed by Joel Coen
Judy Chicago, Herstory
William Kentridge, Je n’attends plus
https://www.luma.org/fr/arles.html
Jusqu’au 29 septembre 2024
Fondation A « Quand les images apprennent à parler »
Jusqu’au 29 septembre 2024
https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions

Van Gogh et les Etoiles, Fondation Vincent Van Gogh
(exposition terminée)
www.fondation-vincentvangogh-arles.org

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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