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Pour sa première carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe et tireur Guillaume Geneste, nous parle de l’ouvrage Mucho Amor de Bernard Plossu publié cet été par les éditions lamaindonne. À l’aube de ses 80 ans, Bernard Plossu signe ici son 300ème ouvrage ! Ce livre est un hommage à son épouse Françoise Nuñez, disparue en 2021. Dans ce livre, on retrouve un album de famille qui retrace leur histoire d’amour lors de leurs années passées à la fin des années 70, en Andalousie avec leurs deux enfants. Et comme le dit Guillaume, son tireur depuis 35 ans et ici en charge de la photogravure, Mucho Amor est le plus beau livre de cailloux, de murs, de maisons faites de pierre ou de ciment, de terrasses, de rochers, de sable, de murets et de montagnes que j’ai pu voir.

© Bernard Plossu

Mucho Amor est le titre du dernier livre de Bernard Plossu, mais sans doute que ce livre ne sera pas son tout dernier quand vous lirez ces lignes. Claude Nori qui a publié son célèbre Voyage Mexicain dit en parlant de son ami Bernard Plossu qu’il y a d’un côté Monsieur 100 000 volts dans la musique, faisant référence à Gilbert Bécaud, et de l’autre Monsieur 100 000 livres dans la photographie. Bernard Plossu a un amour infini pour les livres autant comme lecteur que comme photographe. Je ne compte plus le nombre de photocopies reçues par la poste où Bernard a entouré d’un coup de stylo à bille, un passage qu’il aimait dans un livre pour une phrase lue la veille et qui faisait sens avec mon métier de tireur. Plossu a toujours pensé sa photographie dans la narration d’un sujet, d’une idée, d’une ville voire d’une amitié ; mais aussi à travers ses nombreuses commandes qui l’ont amené à photographier un Musée, une ville, une région, un pays. Il suffit de lire les titres de ses livres pour comprendre la diversité des thématiques que le photographe aborde depuis toujours. Plossu est « l’écrivain de ses livres » comme le disait si justement Bernard Noël, quand le photographe se régale à choisir telle ou telle image pour un vis-à-vis, quand des photographies prises parfois a des années d’intervalle se répondent parfaitement dans leur forme ou par leur propos. Plossu est un livre à lui tout seul quand il nous raconte sa vie, un être fait de liberté et de partage qui sait qu’avec ses archives, des dizaines de livres peuvent naître à tout moment. Mucho Amor en est l’exemple même, né du désir de l’éditeur David Fourré qui rêvait de faire un livre avec Plossu pour ses photographies de famille prises en Andalousie. Plossu après la disparition de sa femme Françoise avait ce même désir de témoigner des jours heureux passés ensemble. Mais encore fallait-il que cette publication dépasse la dimension autobiographique de l’auteur pour le faire exister dans le monde qui l’entoure.

© Bernard Plossu

© Bernard Plossu

C’est ce que David Fourré et Bernard Plossu ont su faire par le jeu d’une mise en page dynamique où se mêlent photographies de famille et de paysages. Mucho Amor est la preuve encore une fois que des photographies déjà publiées peuvent l’être à nouveau, si le propos du livre diffère. Mucho Amor est le plus beau livre de cailloux, de murs, de maisons faites de pierre ou de ciment, de terrasses, de rochers, de sable, de murets et de montagnes que j’ai pu voir. Plossu photographie les cailloux et les pierres comme il photographie les êtres, toujours avec amour. C’est la force du photographe que de savoir témoigner frontalement de son amour pour la vie où ici Plossu plus instinctif que jamais, nous renvoie à notre propre histoire par la simplicité des moments qu’il choisit d’enregistrer. Le photographe utilise souvent les mêmes appareils photographiques que nous pouvons nous procurer au bureau de tabac et c’est la spontanéité avec laquelle il capte l’instant qu’il nous saisit. Le minéral et le vivant sont dans une alternance qui nous tient en haleine tout au long des pages de ce livre, quand une fois refermé, nous prenons conscience de la brièveté de la vie et qu’il faut savoir en profiter.

Bernard, qui mettait très souvent avant de signer à la fin de ses mails : « On continue… » ne l’écrivait plus trop depuis la disparition de Françoise. Mais depuis que Mucho Amor est sorti, l’expression revient plus souvent dans nos correspondances. Les nombreuses amitiés que Plossu a su se faire à travers le monde – je pense ici à ses amis marcheurs – amoindrissent un peu sa peine. Mais surtout, il y a ses enfants Manuella et Joaquim, et ses petits enfants qui vivent à ses côtés dans le sud de la France.

© Bernard Plossu

Au milieu du livre, dans sa couture vous découvrirez une photographie panoramique en couleur qui est la reproduction d’un tirage Fresson et qui se déplie sur trois feuillets. C’est l’une des photographies de Bernard Plossu qui me touche le plus. Je la connaissais en noir et blanc pour l’avoir tirée plusieurs fois en 50 X 60 mais je n’en avais jamais vu les couleurs. Plossu, dans un tour de force, inverse le propos du photographe amateur qui a pour habitude de prendre en photo celles et ceux qu’il aime quand ils sont dans l’eau, quand ils jouent ou quand ils nagent. Toutes les photographies de vacances prises au bord de la mer montrent cela. Plossu est dans l’eau pour photographier Manuella, Joaquim et Françoise qui sont restés sur la rive. On ne peut pas dire qu’ils posent vraiment. Ils sont plutôt là tous les trois a attendre, les pieds nus dans la sable à regarder celui qui les photographie et à le voir s’éloigner. Plus je regarde cette photographie et plus j’ai le sentiment que c’est Plossu qui recule. Le photographe devient le sujet de l’image qu’il photographie. Le regardeur n’est plus le spectateur de ce que le photographe a bien voulu lui montrer mais a plus la sensation d’être à côté de ceux qui sont photographiés. Cette photographie qui déjoue d’une certaine façon les codes de la photographie sans aucun artifice procure un sentiment très étrange.

© Bernard Plossu

© Bernard Plossu

Côté professionnel, la photogravure de ce livre a été une véritable gageure compte tenu de l’ensemble de documents très hétéroclites que Bernard m’avait confiés à numériser. J’ai du partir de négatifs couleur qui souvent avaient beaucoup vieilli, où les couleurs n‘existaient pour ainsi dire plus ; de tirages Fresson ; des tirages couleur réalisés par Beni Karmazine ; de tirages noir et blanc faits par Françoise ou par moi et enfin de petits tirages couleur que Bernard faisait tirer dans des boutiques en Andalousie.

INFOS PRATIQUES
Mucho Amor
Bernard Plossu
Éditions Lamaindonne
20×24 cm, 108 pages
ISBN : 978-2-492920-16-5
40€
https://www.lamaindonne.fr/produit/mucho-amor/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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