Temps de lecture estimé : 8mins

Pour sa huitième édition, le festival photo InCadaqués vient de dévoiler les noms des lauréates, de ses mentions spéciales et finalistes qui seront exposés du 3 au 13 octobre prochain. C’est la photographe française Eloïse Labarbe Lafon qui est nommée lauréate 2024 pour sa série colorisée intitulée « Motel ». Sasha Mongin remporte le Prix Photo Féminin avec « Le mourant qui ne mourait pas » tandis que les deux mentions spéciales reviennent à Lia Rochas-Páris et Margherita Chiarva pour leurs travaux respectifs, « Eigengrau » et « Subconsciousgrams ».

Série primée : Motel 42
Eloïse Labarbe-Lafon (France)

© Eloïse Labarbe-Lafon / Lauréate 2024 Festival InCadaqués Photo

Motel 42 est une série d’autoportraits réalisés aux États-Unis sur film noir et blanc. Chaque photo a été imprimée et colorée à la main avec de la peinture à l’huile. Eloïse Labarbe-Lafon a accompagné son compagnon musicien dans sa tournée et a découvert un monde qu’elle n’avait vu qu’au cinéma : Les motels américains. La photographe a choisi de documenter les 42 chambres dans lesquelles ils ont dormi, matin après matin, plutôt que les incroyables déserts et les inimaginables montagnes violettes qu’elle a rencontrés pendant la journée. Ce qu’elle a voulu montrer, c’est ce qu’elle a trouvé dans ces chambres et ce qu’elle a pu créer plus tard avec ses pinceaux.
L’idée de ce projet était de capter l’intimité, l’intérieur, le silence de ce voyage bouleversant. Eloïse a créé des compositions picturales, utilisant son corps comme fil conducteur tout en capturant l’âme de chaque espace : les montagnes russes à la fenêtre, une lumière suggérant une fin apocalyptique ou l’arrivée d’un ange derrière une vitre, la peau, l’amour et la solitude. Grâce à la couleur, elle a transformé ces pièces grises et crasseuses en mondes étranges et précieux.
Motel 42 est une série publiée sous la forme d’un livre, paru aux éditions Leaf en juin 2024. Le livre comprend également 42 textes, un journal personnel racontant les fantômes, l’amour et la mélancolie de ce voyage à travers les chambres.

Eloïse Labarbe-Lafon, 29 ans, est une artiste photographe. Elle travaille sur la préciosité de l’image-objet à travers des instants figés sur des pellicules analogiques noir et blanc, qu’elle colore ensuite à la peinture à l’huile, en l’appliquant au pinceau ou du bout des doigts.
Parallèlement à sa pratique photographique, elle a étudié l’histoire de l’art et le cinéma, travaillé comme restauratrice de films et colorisé des archives documentaires. Ce lien étroit avec les débuts du cinéma et les souvenirs capturés sur pellicule a grandement influencé son travail.
Par la photographie et la peinture, elle réinvente la réalité, et de son regard émergent des mondes intimes à la limite du fantastique.

Premi Fotografia Femenina 2024 InCadaqués x Fisheye Magazine
Sasha Mongin (France) – Le mourant qui ne mourait pas

© Mongin Sasha

Dans une série profondément personnelle, la photographe Sasha Mongin nous plonge dans l’intimité de son histoire familiale.
« Mon père a contracté le VIH à la suite d’une transfusion sanguine en 1982, après une opération du cœur. Le sida a permis à un virus rare d’attaquer son cerveau, ce qui a gravement altéré ses capacités motrices et d’élocution. J’avais 7 ans à l’époque et les médecins ne lui donnaient que quelques mois à vivre. Mais il leur a prouvé qu’ils avaient tort, et il est toujours avec nous aujourd’hui.
Les images traduisent le point de vue d’une enfant qui a vécu pendant des années avec la certitude que son père était sur le point de mourir.
« Je me souviens avoir nié la maladie de mon père, m’être réfugié dans l’illusion qu’il sortait secrètement la nuit. Je me souviens de la solitude de ma mère alors que nos proches, nos amis et notre famille nous abandonnaient progressivement. Je me souviens avoir été soulagée que mon père soit atteint du sida et non d’une tumeur au cerveau, comme on me l’avait dit jusqu’à l’âge de 12 ans. La mort a toujours été un sujet commun à ma vie quotidienne et à celle de mes parents. Ils en rient, ils en pleurent et ils l’attendent ».
Si le sujet est tour à tour traité de manière métaphorique ou très explicite, toutes les images sont imprégnées de l’univers onirique et fantastique de Sasha Mongin, une manière pour elle d’éclairer la tristesse de cette histoire par l’amour qui a peuplé son enfance.

Née aux États-Unis en 1989. Sa carrière de photographe débute lorsque, après avoir obtenu un diplôme de langue chinoise à l’INALCO à Paris, elle s’installe à Shanghai et crée sa première série sur l’essor de la classe moyenne chinoise. En 2021, elle oriente sa pratique photographique vers une approche plus artistique et personnelle, explorant les frontières entre la réalité et l’imagination. Fascinée par les personnages héroïques, fantasques ou fragiles, ainsi que par la magie, les couleurs et les éclats de lumière, elle axe désormais son travail sur une esthétique qui transcende la réalité. En 2023, elle expose deux séries sur la masculinité à la Galerie M, puis se lance dans un projet sur le deuil avec une série intitulée « Le mourant qui ne mourait pas ». Parallèlement, elle réalise des travaux de commande, cherchant constamment à insuffler de la magie dans ses photographies.

Mention spéciale InCadaqués
Margherita Chiarva (Ibiza) – Subconsciousgrams

© Margherita Chiarva

Les Subconsciousgrams sont des formes abstraites qui parlent un langage aussi naturel que mystérieux : le langage du subconscient. Je prends une histoire existante et la transforme en une autre par un acte de foi intuitive dans l’inconnu. Ces images sont créées en prenant différents morceaux de films négatifs ou d’objets, en les mélangeant et en projetant de la lumière dessus pour créer de nouvelles réalités. Ne sachant jamais vraiment ce qui sortira de l’autre côté, ces formes sont des formes du subconscient. L’image est ressentie plutôt que planifiée.
Il s’agit d’un processus plus proche du rêve, puisque les rêves sont essentiellement de nouvelles réalités créées par notre propre réalité. Les paysages de rêve sont l’endroit où notre subconscient prend les fragments de nos expériences éveillées et les réassemble en de nouveaux récits, souvent surréalistes. Les rêves deviennent ainsi un terrain de jeu pour l’imagination, un espace où les règles de la réalité sont contournées et remodelées. Ils nous permettent d’explorer des possibilités, d’affronter nos conflits intérieurs et de faire l’expérience d’un monde qui, bien que né de notre propre esprit, nous semble à la fois familier et entièrement nouveau.
Ces programmes subconscients sont une exploration visuelle de cette interaction, une invitation à observer les couches cachées de nos mondes intérieurs.

Le parcours photographique de Margherita Chiarva est principalement fondé sur la recherche analogique et l’investigation personnelle à travers l’utilisation d’images. Née à Milan et vivant en Espagne, elle s’est spécialisée dans les tirages argentiques à la gélatine en noir et blanc et les techniques d’impression traditionnelles anciennes. Elle a exposé dans diverses galeries et institutions.

Mention spéciale InCadaqués
Lia Rochas-Páris (France) – Eigengrau

© Lia Rochas-Páris

Couleur indescriptible perçue lorsqu’on ferme les yeux ou qu’on tente de voir à travers l’obscurité, Eigengrau signifie « gris intrinsèque » en allemand, également connu sous le nom de Eigenlicht, « lumière intrinsèque ». Certains s’aventurent à décrire cette couleur comme celle du néant. Pourtant, cette teinte indéfinissable, générée par l’action du nerf optique, émerge comme une percée de l’obscurité, une tentative de l’apprivoiser. Cette teinte, ni noire ni blanche, devient, par le mystère qu’elle dégage, propice à l’imagination, aux images mentales, à ce que l’œil ne peut percevoir mais que l’esprit tente de saisir.
Si le terme « Eigengrau » et les questions esthétiques et philosophiques qu’il soulève m’intriguent, c’est précisément en raison de l’ambiguïté qu’il suggère entre le visible et l’invisible, autrement dit la « Mimesis » intrinsèque à toute création artistique.
Lorsqu’il s’agit de collecter, de déconstruire et de reconstruire à partir d’images recueillies dans des magazines et des livres, la pratique du collage nécessite de faire un choix entre le recto (visible) et le verso (invisible), ce qui constitue une approche unique de cette pratique artistique. Cette complexité se situe entre ce que l’on décide de montrer et ce que l’on finit par cacher, partant du principe que ce qui est caché se devine et laisse l’imagination libre de s’infiltrer.
Entre poésie et « Mimesis », aborder le collage par la notion d' »Eigengrau » me permet de développer une réflexion sur l’indéfinissable, l’intériorité, et d’explorer ainsi le mystère de l’espace mental.

Artiste pluridisciplinaire, Lia travaille avec les mots et les images à travers différents médiums : collages, photographies, photomontages, vidéos, écrits poétiques, romans-photos, éditions et installations.
Son approche est basée sur l’observation que tout est un collage. Lia considère chaque ressource comme une pièce d’un puzzle. Elle explore des matériaux qu’elle considère comme des vestiges d’une époque, avec l’intention d’archiver la mémoire et de développer une archéologie personnelle. Ce désir de créer un monde se reflète dans les thèmes récurrents de tension qu’elle explore, tels que l’attraction des corps dans l’espace, la déconstruction érotique, l’apesanteur et le mouvement, les minéraux et leurs vibrations, le cosmos et la Voie lactée.
Lia sonde le plein et le vide, met en évidence les côtés visibles et cachés, et souligne le Ma, l’espace entre les deux, comme la manifestation d’un récit visuel surréaliste ouvert à de multiples interprétations. Titulaire d’un master en esthétique artistique et d’un autre en design et arts numériques, Lia Rochas-Pàris poursuit ses réflexions sur le processus créatif, la matérialité des images et les différentes formes d’archivage.

[caption id= »attachment_107752″ ali

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans News