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À l’annonce de la fermeture de la Galerie Le Réverbère, à Lyon, nous avions proposé aux deux co-fondateurs, Catherine Derioz et Jacques Damez, de laisser la parole à chacun·e des photographes de la galerie. Après avoir interrogé Arièle Bonzon et Jacques Damez, les deux premiers photographes représentés, nous poursuivons avec un hommage à Yves Rozet disparu l’an passé et qui avait rejoint la galerie en 1986. Cet hiver, le Réverbère lui avait consacré une importante rétrospective intitulée « L’éblouissement des apparences ». Aujourd’hui, c’est Jacques qui prend la plume pour nous parler de leur première rencontre.

Vitrines de la galerie Le Réverbère, lors de l’exposition « L’éblouissement des apparences » de Yves Rozet, présentée du 16 février au 30 mars 2024

Vue d’accrochage de l’exposition « L’éblouissement des apparences » de Yves Rozet.
Œuvre issue de la Série « Identité(s) partition(s) » (1984-1986), composée de 3 modules : 298 x 120cm chaque, sous altuglass. Pièce unique – collection privée

Vue d’accrochage de l’exposition « L’éblouissement des apparences » de Yves Rozet.
Ensemble d’aquarelle, eaux-fortes et aquatintes, réalisées par Yves Rozet à l’Atelier Alma.

En juillet 1984, avec Catherine Dérioz et Arièle Bonzon, nous étions à Avignon pour l’exposition Le Vivant et l’artificiel présentée pendant le festival à l’hospice Saint-Louis.
Nous étions invités par les concepteurs de cette extraordinaire exposition pour une carte blanche autour de la photographie et de la galerie. Parmi l’impressionnante diversité des propositions et des artistes en présence, nous avons découvert dans une salle du rez-de-chaussée l’œuvre de Yves Écho(s) d’Image(s). Surtout nous y avons rencontré Yves, discrètement présent, dans sa salle. Et là, quelle surprise que de le reconnaître ! Il passait régulièrement à la galerie pour voir nos expositions mais sans jamais s’être présenté et encore moins nous avoir parlé de sa production !
Cette anecdote de notre première prise de contact est tellement symbolique de la personnalité de Yves que je ne pouvais pas commencer autrement pour parler de lui !

Issue de la série « Il mirabile » (1987-1990)
#6

Aquarelle
Série « D’étranges devenirs à nouveau » (1990-1993)
46 x 38 cm

Série « 33 +1, Chimères » (1993-1998) n°15 – 2e cycle (3 modules : 2 modules de 56×56 cm, 1 un module de 56×54 cm)
Tirages sur papier baryté tendus sur châssis bois, tirés par l’auteur. Pièce unique

Convaincus de la qualité de son travail, nous avons programmé sa première exposition personnelle en 1986 à la galerie, et depuis notre collaboration n’a pas cessé.
Yves a toujours masqué son complexe de classe sociale par une réserve et un silence qu’il ne rompait que lorsqu’il parlait d’art.
Parler d’art est ce qui nous liait au plus près. Que de débats concernant les livres, les expositions, les films, la musique et là, très peu de retenue et même des avis précis, parfois sans concession, une affirmation en opposition radicale avec l’attitude effacée dans le reste de la vie.

Sa personnalité complexe s’est déposée au fil de son œuvre, ses titres à eux seuls en disent long :

  • Écho(s) d’image(s), 1982-1984
  • Identité(s) partition(s), 1984-1986
  • Utopie(s) – une promesse de bonheur (pour une mémoire ouvrière), 1986-1989
  • Il mirabile, 1987-1990
  • D’étranges devenirs à nouveau, 1990-1993
  • 33+1, Chimères, 1993-1998
  • Figures déliées – sur un fond sans fond, 2002-2007
  • Sarabandes, 2013-2017
  • Été, 2011-2017

Série « Figures déliées – sur un fond sans fond » (2002-2007)
Impression pigmentaire sur papier Hahnemühle Photo Rag par Martin Garanger, contrecollées sur aluminium

Série « Figures déliées – sur un fond sans fond » (2002-2007)
#22 4 modules : 76 x 100 cm, 53 x 70 cm, 40 x 40 cm, 40 x 40 cm.
Impressions pigmentaires sur papier Hahnemühle Photo Rag par Martin Garanger, contrecollées sur aluminium.
Vintage numéroté 1/3

L’œuvre est un précis de réflexions, aucun hasard ni dans les références ni dans le développement, ni dans l’ordre et le nombre de pièces qui constituent ses propositions.

Yves est un inquiet de la maîtrise, il cherche très en profondeur pour être juste, il rêve d’atteindre le pur équilibre : là où l’essentiel est évidence et où aucun glissement dans le démonstratif, le décoratif n’a lieu. Sa grande connaissance des techniques qu’il emploie lui permet de ne pas être froid, ni seulement conceptuel ou théorique ; une sensibilité chromatique incroyable nourrit ses photographies autant que ses gravures et ses dessins.
Dans le silence de ses œuvres, la mélancolie et une solitude existentielle trouvent naturellement leur place. Il confie à l’œuvre ce qu’il n’arrive pas à énoncer dans sa vie avec les autres. La poésie est un de ses refuges privilégiés, dans cette langue située avant le langage, il retrouve ses émotions fondatrices, aussi bien la violence que le lyrisme.

Série « Figures déliées – sur un fond sans fond » (2002-2007) #2 (2 modules : 60 x 80 cm et 60 x 140 cm)
Impressions pigmentaires sur papier Hahnemühle Photo Rag par Martin Garanger, contrecollées sur aluminium.
Vintage numéroté 1/3, signé

Vue d’accrochage de l’exposition en cours « Histoire(s) sans fin » jusqu’au 28 décembre à la galerie Le Réverbère.
Série « Utopie(s) – une promesse de bonheur (pour une mémoire ouvrière) » (1986-1989)
Couple n°3 Tirages Cibachromes satiné couleur contrecollés sur aluminium avec encadrement métal (Chaque photographie : H. 120cm, L. 98cm, E. 4cm)
Tirages argentiques baryté noir et blanc avec encadrement bois (Chaque photographie : H. 44cm, L. 58cm, E. 2 cm)
Pièces uniques.
Photographie ©Alice Creux

Yves a construit un appareil théorique très abouti qui lui a permis de se rassurer et de surmonter ses doutes mais le point de sa visée, comme pour le tireur à l’arc, est d’atteindre la perfection du geste là où la poésie se retranche.
Dans Sarabandes et Été, ses deux dernières séries, Yves a lâché du leste : il a suffisamment prouvé au préalable sa maîtrise pour que s’infiltre une vacance dans ses processus, il a fait confiance à sa perception tout en sachant que celle-ci était totalement charpentée par son cursus.
Yves s’est tu mais l’œuvre a toujours parlé et nous continuerons de l’écouter.
Jacques Damez

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon


ET AUSSI
Exposé au sein de l’exposition collective :
Au musée comme chez vous
Du 19 octobre au 16 février 2025
Musée municipal Paul-Dini, Villefranche
http://musee-paul-dini.com

À CONSUTLER :
Le livret de l’exposition L’éblouissement des apparences
https://www.galerielereverbere.com/pc/files/livret-expo/2024-livret-YR.pdf

À LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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