Temps de lecture estimé : 10mins

« Histoire(s) sans fin » est la toute dernière exposition présentée à la Galerie Le Réverbère, à Lyon. Catherine Derioz et Jacques Damez ont annoncé avant l’été la fermeture définitive de la galerie après 43 ans d’activité. Un arrêt aussi triste que brutal. Après avoir interrogé les premiers photographes de la galerie, nous poursuivons avec un nouvel entretien avec le photographe français Lionel Fourneaux, représenté par la galerie depuis 1996 qui revient sur cette aventure photographique et se confie sur l’arrêt du Réverbère.

Attractions, 2008 – 2010
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
60 x 80 cm contrecollé sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Attractions, 2008 – 2010
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
60 x 80 cm contrecollé sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Bruit de fond, 1998.
Tirage argentique baryté de l’auteur © Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Bruit de fond, 1998
Tirage argentique baryté de l’auteur
21 photographies environ 40 x 55 cm
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie ?

Lionel Fourneaux : Cela fait si longtemps que je me demande si nous ne nous sommes pas connus dans une vie antérieure ! Le monde de la photo était presque familial en ce temps là, dans les années 80. Je me souviens m’être rendu dans leur première librairie galerie sur la presqu’île de Lyon, un couloir très étroit garni de livres et de photos rue Neuve je crois.
Nous avons ensuite véritablement partagé de longs moments dans le jardin ombragé de l’hôtel Le Calendal où l’on pénétrait par la place Dr Pomme pendant les Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles où j’avais remporté le prix du jeune photographe en 1979. J’y louais une chambre que je partageais avec mon amie Hélène Dussauchoy. Catherine et Jacques y recevaient les photographes armés de leurs portfolios pendant les heures chaudes de la journée, marquant déjà volontairement ou pas, je ne saurais dire, un écart par rapport à la majorité qui naviguait entre la place du Forum et l’hôtel l’Arlatan. Tout le monde se connaissait alors, Arles en quelques lieux rassemblait ce petit microcosme de passionnés. Mais en dépit de notre amitié, notre collaboration ne vint que plus tard.
Mon travail ayant changé de nature, plus plasticien, je suis parti dans les années 90 à la recherche d’une galerie pour m’aider à le soutenir. Une première rencontre moins informelle que les précédentes dans le sud n’aboutit pas immédiatement. Le jeu des rencontres et des soutiens me firent exposer ce nouveau travail sur l’identité, la guerre chez Emmanuel Perrotin que je quittai une année plus tard, je crois que je n’appartenais pas vraiment à ce monde de l’art contemporain. C’est alors que le Réverbère qui mûrit toujours ses choix m’a proposé d’entrer dans la galerie en 1996 je crois.

C’était écrit, 1998
Tirage argentique baryté de l’auteur
40 x 55 cm
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

La mort dans l’âme, 2000
Tirage argentique baryté de l’auteur
50 x 50 cm
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

La série Lacunes a été réalisée à partir d’un vieux stock de papier quadrillé, préalablement découpé en bandes, retravaillé – déchirures, lacérations, coupures, ajouts au crayon et détrempe – et agrandies sous l’agrandisseur.
Lacunes, 1997
Tirage argentique baryté de l’auteur
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

La série Lacunes a été réalisée à partir d’un vieux stock de papier quadrillé, préalablement découpé en bandes, retravaillé – déchirures, lacérations, coupures, ajouts au crayon et détrempe – et agrandies sous l’agrandisseur.
Lacunes, 1997
Tirage argentique baryté de l’auteur
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

E. W. : Que représente pour vous cette collaboration ?

L. F.: Même si on ne voit pas tous les jours, la galerie est comme une deuxième maison qui vous accueille,
tant et si bien qu’il m’est arrivé au début avec certains de mes camarades de dormir dans les deux chambres de la galerie, aujourd’hui réattribuées à l’activité du lieu.
La posture de l’artiste est souvent solitaire, il a besoin d’un soutien, d’un débat, d’en découdre parfois
le niveau d’exigence et les choix esthétiques de Catherine et Jacques n’ont pas créé que du consensus mou, loin s’en faut. Il est souvent nécessaire de confronter son travail in progress et les risques pris au « surmoi » de la galerie ! C’est aussi le plaisir intense de la rencontre avec les autres artistes à l’occasion des vernissages, débats sans oublier les nombreuses expositions collectives qui nous ont réunis sur les murs de la galerie comme ailleurs.
Il y a collaboration certes, mais plus encore, l’attention que nous avons les uns pour les autres qui est la marque de l’humanité. Je ne connais pas un seul d’entre nous qui n’ai fréquenté cette famille élargie par intérêt seulement. La galerie fut le lieu des passions partagées.
Le fait d’appartenir au Réverbère, marque ultime de notre qualité et reconnaissance de la valeur de notre travail a pu parfois se révéler être un léger obstacle à certaines collaborations. Etre présenté dans le petit monde de la photo comme un photographe du Réverbère, c’est un honneur, une marque de prestige saluée par tous, avec pour corollaire parfois de vous affubler du statut de personne nantie. C’est bien entendu le fruit d’une méconnaissance de la réalité.
Je dois mon salut financier aux nombreux ateliers que j’ai dirigés en milieu scolaire, puis au fait d’être pendant 15 ans le photographe officiel de l’un des acteurs important du monde économique.

Marges 2006
Impression pigmentaire sur papier perlé
60 x 80 cm contrecollé sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Peau de chagrin, 1994
Tirage argentique baryté de l’auteur
28 x 38 cm sous passe-partout
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Peau de chagrin, 1994
Tirage argentique baryté de l’auteur
28 x 38 cm sous passe-partout
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

E. W. : Comment voyez-vous la suite, sans Le Réverbère ?

L. F. : Il y eut un avant et il y aura un après le Réverbère, rien n’est immuable. Mais l’âge venant, mais l’âge venu…
Depuis quelques années, je me consacre à l’écriture autant qu’à la photographie et essaie de trouver des formes qui les accouplent. Le réseau social et le livre sont devenus mes espaces de prédilection au détriment souvent du mur de la galerie. Pour être tout à fait clair, la production d’une exposition coûte cher, très cher, les images numériques virtuelles que nous produisons tous doivent être positivées, agrandies, encadrées, protégées pour leur exposition et la vente (éventuelle), cela passe par des prestataires dont les prix justifiés certes excèdent mes moyens financiers et/ou mes choix de dépenses. Hors commande photographique, la seule rémunération provient de la vente très aléatoire des tirages à des collectionneurs et fonds publics. Voyez à quelle impasse cela conduit..
Pour autant, je crois à une suite en compagnie de Catherine et de Jacques, mais sous une autre forme qu’il leur reste à trouver, qu’il nous reste à trouver. Par leur expertise, leur notoriété, la réputation de l’enseigne, je crois volontiers à la continuation de leur passion sous une autre forme. Le marché traditionnel étant actuellement asséché, il faut peut être se tourner vers le monde de l’entreprise qui a davantage de moyens à consacrer à son besoin d’art et de culture ou vers une activité de conseil ou de formation, ce serait dommage de ne pas transmettre tous ces savoirs accumulés.

Présomption d’innocence, 1994
Tirages argentiques barytés de l’auteur
10 photographies 28 x 28 cm sous cadres
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Un moment corps, 1995
Tirage argentique baryté de l’auteur avec l’aide de Jacques Damez
100 x 100 cm
Monté tendu sur châssis bois
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Un, deux, trois, soleil !
Impression pigmentaire sur papier Epson mat par Laure Abouaf
32 x 60 cm contre-collage sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

E. W. : Cherchez-vous une autre Galerie pour vous représenter (ou avez-vous déjà trouvé) ?

L. F. : Non, il n’y aura pas d’autre galerie, laquelle ? La question se pose de leur survie dans le contexte économique que nous connaissons ?
Il est essentiel d’être dans une galerie ou bien représenté quand on a une perspective de carrière ce qui n’est pas mon souci, je n’ai jamais fait passer mon travail d’artiste avant ma vie de famille et l’accompagnement de mes enfants vers leur vie d’adulte, ils sont la plus belle de mes créations.
Il est toutefois essentiel de ne pas s’isoler, la société numérique ne nous rassemble guère, la galerie reste l’un des lieux privilégiés du vivre et créer ensemble.

Envies d’ailleurs
Habitation Clément – Martinique, 2013
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
60 x 90 cm contre-collage Forex et caisse américaine
Anse Bertrand – Guadeloupe, 2018
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
40 x 60 cm contre-collage Forex et caisse américaine
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

Envies d’ailleurs
Plage de Bananier – Guadeloupe, 2011
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
60 x 90 cm contre-collage Forex et caisse américaine
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

C’est quoi pour vous l’été
Plage Saint-Clair – le Lavandou, 2015
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
70 x 55 cm contrecollé sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

C’est quoi pour vous l’été
Plage de Cavalière – le Lavandou, 2018
Impression pigmentaire sur papier Epson mat
70 x 55 cm contrecollé sur Dibond
© Lionel Fourneaux / Courtesy Galerie Le Reverbère

L’ouvrage Timeline de Lionel Fourneaux est actuellement en cours d’une campagne de financement participatif chez CORRIDOR ÉLÉPHANT. Vous souhaitez participer au projet, rendez-vous ici : https://www.corridorelephant.com/timeline

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Interview