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Le photographe Alexandre Silberman signe avec cette première monographie un travail d’une grande sensibilité. Lauréat du Prix Taylor Wessing Portrait de la National Portrait Gallery en 2023, il a pu donner vie à ce projet d’édition au long cours, né d’une fascination pour un territoire singulier : le parc Georges-Valbon, à La Courneuve. À quelques kilomètres de Paris, ce parc n’est pas une forêt ancienne ni une lande préservée. Ici, la nature est entièrement façonnée par la main de l’homme.

Ce vaste espace vert, construit de la main de l’homme entre les années 1950 et 1970, s’étend aujourd’hui sur cinq communes et s’impose comme un îlot de respiration au milieu d’une dense urbanité. Jadis marécages, puis terres maraîchères parmi les plus vastes d’Europe, les lieux ont vu s’installer des populations venues d’Andalousie, d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord, du Portugal ou encore de Yougoslavie. Dans des conditions de vie précaires, elles ont formé ce que l’on appelait le bidonville de Campa. Ce passé hétéroclite, à la fois social et géographique, continue de hanter le parc, comme une mémoire enfouie sous les grands arbres et les prairies ouvertes.

Nature © Alexandre Silberman

Alexandre Silberman explore cette complexité en choisissant le temps long de l’argentique en moyen format. Il prend ainsi le contre-pied de l’instantanéité numérique et compose ses images en noir et blanc avec une grande précision. Ses photographies alternent entre paysages et portraits, capturant à la fois l’architecture minutieuse des espaces et la présence humaine qui les habite. Dans cet équilibre délicat, le parc révèle ses tensions et ses contrastes : entre végétation foisonnante et structures de pierre, entre pratiques modernes et réminiscences sauvages.

Au fil des pages, se dessine une double lecture du mot « nature » : celle qui est aménagée, encadrée, inventée par des paysagistes, et celle, plus insaisissable, qui appartient aux individus eux-mêmes, à leur manière de s’approprier les lieux. L’espace devient alors une scène où les citadins laissent émerger leur propre nature intérieure, un espace clos, mais paradoxalement ouvert, où la liberté circule sans contrainte.

Nature © Alexandre Silberman

Dans le silence singulier de ce parc, la ville se désagrège. La temporalité s’étire, la contemporanéité semble suspendue, comme si les personnages glissaient dans un monde parallèle, une fable urbaine où le réel s’offre des échappées oniriques. Sous des apparences inventées, subsiste une vérité émotionnelle, une vibration commune, où la photographie saisit ces « rêves fous des citadins » dans un paysage pensé, mais jamais totalement dompté.

Avec cette première monographie, Alexandre Silberman compose une œuvre dense et habitée, où la ville et la nature dialoguent dans une tension poétique, et où le regard se perd, entre mémoire et réinvention.

INFORMATIONS PRATIQUES
Nature
Alexandre Silberman
Auto-publié
24 x 30 cm
Sortie en novembre 2024
50€
https://www.alexandresilberman.com/nature/
https://www.delpireandco.com/produit/nature/

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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