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Les nouveaux défis du CNEAI à Pantin par Sylvie Boulanger

Temps de lecture estimé : 8mins

Après 20 ans à Chatou le CNEAI  (Centre National Edition Art Image) prend possession de ses espaces augmentés à Pantin dans l’emblématique bâtiment rénové des Magasins Généraux. Dans ce qui est devenu le nouveau Brooklyn, comment se passe la cohabitation et quel rôle l’art peut-il y jouer ? Autant de questions passionnantes auxquelles Sylvie Boulanger, directrice du centre d’art a bien voulu nous répondre le jour du vernissage de l’exposition inaugurale « The House of Dust by Alison Knowles ».

9 lives : Quel challenge représente pour vous ce déménagement à Pantin dans ce bâtiment emblématique des Magasins Généraux ?

Sylvie Boulanger :
Plusieurs challenges dont celui de déménager un centre d’art, considéré encore trop souvent en France comme un musée aux artistes vivants, selon la vision dix-neuvièmiste d’un édifice figé. Nous avons eu envie au moment de clore un programme de 20 ans d’actions de démontrer que l’idée du centre d’art et du CNEAI ne reposait pas sur des murs ou un partenaire public mais impliquait un esprit, un programme et surtout des invitations aux artistes.
L’autre vrai challenge de notre arrivée à Pantin est d’ouvrir un centre d’art qui soit à la fois espace public, ouvert aux familles, aux jeunes et aux promeneurs, en relation avec le public de l’entreprise et complètement ouvert sur la recherche artistique et le public des amateurs d’art. Pour ne plus faire de distinction entre public-privé, entre des gens informés à l’art et un public de la rue qui ne rentrerait pas dans le lieu ou un public de l’entreprise très éloigné de cette politique artistique.
Ainsi le challenge est d’arriver aux Magasins Généaux dans ce bâtiment sublime, dans ce quartier du nouveau Brooklyn à Paris au bord du Canal avec ce paysage industriel en mutation,  pour s’adresser réellement et pas seulement par effet d’annonce, à un public totalement mixte.

9 lives : Quel bilan faites-vous de 20 ans de programmation à Chatou ?

S. B. : A l’origine le CNEAI a été conçu comme centre d’art explorant la question de l’édition. Or on s’est vite rendu compte avec les artistes que cette question débouchait sur une optique très actuelle et passionnante, celle de la remise en cause des standards de l’œuvre d’art, généralement perçue comme objet unique et signé par un artiste. Or l’art est beaucoup plus vaste que cela à travers les gestes, les performances, toutes sortes de formes et de dispositifs qui ne rentrent pas dans cette catégorisation d’objet unique et signé.
Et un art qui s’ancre dans les technologies actuelles car la création a toujours suivie au plus près les toutes dernières avancées en la matière. D’ailleurs nous sommes tous devenus des éditeurs en puissance avec dans nos poches et nos sacs à mains des imprimeries et des maisons d’édition et de diffusion.
Nous avons donc requalifié le centre d’art comme un lieu qui allait explorer le geste artistique, le diffuser et le rendre public à travers aussi bien des objets multiples ou uniques, à partir du moment où l’artiste envisageait une pratique critique de la diffusion. Diffusion autonome, sans vocation commerciale ou circuit préétabli, totalement inventée.
Nous avons pour ce faire mis en place d’autres formats d’exposition à travers des programmes de festivals, de performances, de conférences.. dont l’exposition.
Au bout de 20 ans on s’aperçoit que presque un millier d’artistes (940 exactement) sont venus produire, travailler, exposer, faire des recherches, écrire à Chatou avec comme point commun la question de l’auto diffusion de leur travail auprès du public. Pari gagné donc pour une ligne au final qui semble cohérente qui a permis à des scènes entières d’émerger et à des artistes à la fois chercheurs, éditeurs ou graphistes partageant ces enjeux d’explicitation de l’œuvre.

9 lives :  La vocation du CNEAI se trouve t-elle redéfinie en synergie avec le nouveau territoire de Pantin et environs ?

S. B. : Oui complètement. Fort de ces 20 ans de travail nous allons aborder un 2ème sujet de recherche qui prolonge le 1er, celui de l’inscription sociale de l’art en écho à de nombreuses préoccupations d’artistes. On aimerait être le lieu où sont abordées les façons dont l’art peut s’ancrer hors du cheminement professionnel artistique et comment des populations éloignées à l’art peuvent trouver dans ce domaine des réponses à leur propres connaissances, cultures, interrogations, et aussi une capacité d’action.
En ce qui concerne les collections, on ouvre un 1er programme avec une exposition au Pavillon à Pantin le 30 septembre intitulée « Prêt à porter », soit l’opportunité offerte à tous d’exposer chez soi ou dans son bureau, sa chambre d’ado ou sa cuisine gardant un lien entre l’artiste et la personne à qui on va non seulement prêter des œuvres mais transmettre aussi notre savoir faire de curator. La personne devra organiser chez elle une exposition même s’il s’agit d’une œuvre unique, les artistes écrivant des protocoles à respecter et faire un vernissage chez soi. L’art à domicile ou le centre d’art à domicile !
On lance un second programme, Iconotexte qui étudie la relation critique du texte à l’image puisqu’encore une fois tous les jours on édite sans le savoir. On aimerait faire prendre conscience à tous les utilisateurs de Facebook qu’ils se privent de la jouissance de l’exigence d’éditer et d’aiguiser son regard.

9 lives : Comment a été conçue l’exposition The House of Dust, véritable écosystème participatif en devenir ?

S. B. : A Pantin on peut se permettre de formaliser vraiment le challenge de systématiser, en parallèle de l’exposition elle-même, un programme à visiter l’exposition avec les artistes qui activent les œuvres, font des conférences, des concerts. D’où le choix pour cette première exposition à Pantin, de The House of Dust, la maison qu’Alison Knowles a elle-même conçue en réponse à son propre poème qui était non seulement une maison mais une scène collaborative et génératrice d’autres projets. On aimerait ici que toutes les expositions soient elles mêmes génératrices pendant leur durée. Cette exposition a donc valeur de manifeste.
La genèse de l’exposition s’est inscrite à l’issue de 3 années de recherche, selon notre mode de fonctionnement. On commence par créer ou participer à des laboratoires de recherche puis une fois que l’on a constitué une scène suffisamment forte avec un échantillon représentatif des métiers de l’art, on travaille sur l’exposition. Le programme de rechercher et d’exposition « Art by Translation » créé avec les Ecoles d’art d’Angers (ESBA TALM) et de Cergy (ENSA PARIS-CERGY), donne lieu à cette exposition maintenant avec Maud Jacquin et Sébastien Pluot comme co-commissaires.


9 lives : Quels autres projets portez vous en tant que commissaire d’expositions, critique d’art et éditrice ?S. B. : Je porte le projet MAD (Multiple Art Days) avec Michael Woolworth et une centaine d’éditeurs, qui en est à sa 3ème édition, preuve que cela répond à un réel besoin de se rencontrer sur le sujet. Les collectionneurs avertis ou non, ont le bonheur de vivre un moment unique avec les artistes présents. Si Godard disait : un producteur libre et indépendant est à ranger du côté des artistes, tous ces acteurs indépendants sont en réalité aussi à ranger du côté des artistes. Ils sont d’ailleurs à tour de rôle des personnalités hybrides – artistes, graphistes, chercheurs, écrivains, philosophes – … donc très actuelles.
J’ai un livre en cours également sur la question de la (non) standardisation de l’art (Edition Mix/Cneai=), et je prépare la prochaine exposition au Cneai : le projet de création de Musée des Anonymes par Alexandre Périgot. L’exposition s’appellera Mon Nom est Personne et réunira près de 700 oeuvres anonymes dont des oeuvres issus de Musées mais aussi des oeuvres musicales et artisanales. (Alexandre Périgot, Le Musée des Anonymes / Mon Nom est Personne,  Inauguration samedi 13 Janvier 2018, Cneai)
Enfin, avec la Huit Production (Gilles Le Mao), nous venons de sortir un DVD sur Yona Friedman, comprenant un interview de 2 heures, et des bandes dessinés de Yona Friedman. (Yona Friedman, Un habitant indiscipliné – DVD, La Huit Production/Cneai =)

A côté de cela j’aimerais aussi réussir à réaliser une œuvre importante de Yona Friedman, pièce extérieure emblématique soit sous la forme d’une structure urbaine, soit sous la forme d’un pont au dessus du Canal.

 

EN CE MOMENT AU CNEAI :
The House of Dust by Alison Knowles
Du 10 septembre au 19 novembre 2017
réalisée avec Art by Translation/ESBA TALM, ANGERS, ENSA PARIS-CERGY
Avec :
A Constructed World, Bona-Lemercier & Christelle Chalumeaux, Dieudonné Cartier, Jagna Ciuchta, Tyler Coburn, Yona Friedman, Mark Geffriaud, Ramiro Guerreiro, Jeff Guess, Peter Jellitsch, Alison Knowles, Katarzyna Krakowiak, Kengo Kuma, Lou-Maria Le Brusq, Stéphane Magnin, Aurélie Pétrel, Joshua Schwebel, Daniela Silvestrin et Francisco Tropa ainsi que les artistes, musiciens, écrivains et chercheurs invités dans le cadre du programme Habiter l’Exposition.
Commissaires : Sylvie Boulanger, Maud Jacquin et Sébastien Pluot
Programme : Habiter l’exposition ACTIONS – PERFORMANCES – SÉMINAIRES – CONFÉRENCES – CONCERTS – PROGRAMME RADIOPHONIQUE – WEB -DÉGUSTATIONS..
CNEAI Grand Paris
1 rue de l’Ancien Canal
Pantin
http://www.cneai.com

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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