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Rencontre avec Aude Cartier, directrice de la maison des arts, centre d’art contemporain de Malakoff et présidente de TRAM

Temps de lecture estimé : 10mins

Pénétrer aux abords du jardin et de la maison des arts de Malakoff c’est découvrir les fresques extérieures du graffeur Ben-Eine qui tranchent avec l’aspect aristocratique de cet ancien relais de chasse royal du XVIIIème siècle, classé par Malraux à l’inventaire des Monuments historiques, aujourd’hui centre d’art municipal.

De plus à l’intérieur l’univers de Cécile Beau nous transporte dans d’autres réalités cosmiques. Comme un laboratoire en continu de métamorphoses chimiques du vivant. Une projection aux confins de la géologie, du sonore, du végétal, de la science-fiction.. captivant ! Rencontre avec la directrice des lieux, Aude Cartier à l’origine de cette exposition qui continue d’impulser sa marque sur cette ville d’artistes et territoire élargi à travers sa présidence du réseau Tram.

Les 20 ans de la Maison des Arts : bilan et perspectives

Nous avons tenté de donner à voir 20 ans d’archives et d’histoire d’un lieu, ce qui était très ambitieux.

Le premier axe de travail était de revenir sur l’ensemble des auteurs qui ont contribué à l’existence du lieu, plus que les artistes, également les chorégraphes, les philosophes, écrivains, commissaires, pas seulement donc le monde de l’art, n’étant pas un écosystème replié sur lui-même. Nous avons composé cette liste arrivant à 589 contributeurs au total. L’idée étant de montrer qu’un centre d’art ce n’est pas seulement une équipe et quelques expositions mais un ensemble de partenaires qui s’investissent.

Une volonté de notre part était d’ouvrir sur les perspectives futures, 20 ans et la suite ? Des questions qu’un centre d’art se pose en permanence en réinterrogeant ses pratiques ou par le biais des artistes et personnes engagées autour du lieu. J’avais envie que ces archives soient consultables à travers des boîtes que l’on pouvait ouvrir et parcourir. Et de ces archives nous avons extrait quelques pépites qui seraient ce que les gens n’ont pas la possibilité de voir en temps normal, des résidus, des bribes de conversations, des interviews non publiées, des plans, des projets en suspens, des montages d’expositions. Ce qui constitue la matière grise de ce lieu, foisonnante, et ce dont le format de l’exposition en tant que tel ne rend pas forcément compte. C’était important de monter que ce centre d’art est un lieu de ressources avec toute une partie de l’iceberg invisible à laquelle le public n’a pas accès ou ne se rend pas compte.

C’est l’axe que nous allons mettre en œuvre à commencer par toute l’identité visuelle que nous avons repensé entièrement depuis 1 ans avec également l’ouverture d’un nouveau site web qui démontre que l’exposition est tout aussi importante que la partie des workshops, l’éducation artistique, l’édition/boutique, les projets hors les murs qui sont nombreux, les ressources pour les artistes..

Tout est placé au même niveau avec ce projet qui va ouvrir d’ici 1 mois comme une vraie matière, essentielle pour illustrer les soutiens que nous apportons et qui ne se traduisent pas forcément par l’exposition.

Nous continuons toujours à interroger le format de l’exposition à travers les résidences.

Les résidences et les Hors-les-murs

Nous offrons deux sortes de résidences, les résidences longues de travail et de recherche qui s’articulent sur 6 mois environ, ciblées et montées avec le Minsitère de la culture via la Drac Ile de France. J’ai souhaité que cette résidence soit incluse à la vie du centre d’art. Elle jouxte nos bureaux, favorisant une porosité quotidienne entre l’équipe et les résidents, et de fait le public et le territoire. Souvent ces résidences font l’objet d’une édition un peu particulière en lien avec la recherche menée, sous la forme d’éditions croisées avec plusieurs lieux ou sous forme d’objets, comme des éditions numérotées, presque une œuvre en soi. Parfois cela donne lieu à une envie de travailler d’intégrer le projet ? dans une exposition collective ou personnelle ou un projet hors les murs comme avec Lorraine Féline lauréate 2017 sur un format de danse qu’elle a mis en place avec deux danseuses du Conservatoire de la Ville de Malakoff. Le public a été invité pendant la fête de la ville à venir sur un toit habituellement inaccessible, qui surplombait toute la région parisienne et la banlieue. Un point de vue urbain intéressant qui permettait de voir la transition de l’architecture et les différences villes de banlieues et la périphérie de Paris. Le format était court et limité à 50 personnes. C’était une friction entre une partie amateur et professionnelle, ce qui répond aussi à un nouveau projet mis en place avec Florian Gaité appelé « les résidences performées », soit une carte blanche sur 3 moments dans l’année. Les 2 premières éditions « les intrus » ont été clôturées dans le cadre des 20 ans. L’idée est de laisser le lieu à des chorégraphes, performeurs au tout début d’un processus de création pour tester pendant une semaine leur projet, opérés des frottements loin de la scène.. Ce temps donne lieu à une restitution en général le samedi et les temps de répétitions sont ouvertes aux publics..

Nous avons un vrai public au rendez-vous et cela me permet aussi de décloisonner pour donner à voir le lieu autrement que dans un format classique, comme pour les 20 ans avec de la danse, de la performance.. ayant toujours interrogé le centre comme un lieu de vie avec l’idée que l’on peut aussi pourquoi pas, le transformer en boîte de nuit !

Les projets hors les murs

Nous menons un projet de direction artistique de street art très engagé politiquement à la demande de la maire de Malakoff Mme Jacqueline Belhomme. La première invitation a été avec l’un des pionniers du street art londonien pour le centre d’art Ben Eine qui a inscrit sur 40 m de long « stop making more sense ». Parallèlement nous avons invité Vince qui est venu réaliser un Chibani de 25 m de haut sur le bord du périphérique, un emplacement stratégique pour dénoncer ces oubliés. Nous espérons également réaliser un grand projet avec Kouka sur les femmes guerrières. Le centre d’art est aussi attentif à ce qui passe comme avec le projet HERstory – des archives à l’heure des postféminismes et l’exposition d’Edi Dubien. Ce n’était pas au départ une volonté affirmée et l’on me fait souvent la remarque que je ne montre que des femmes, ce qui voudrait dire qu’elles sont absentes ailleurs !

Je reste également attentive à ce qui se passe sur le territoire et la scène émergente, par exemple nous montons un projet avec Hugo Sicre à la Médiathèque de Malakoff. Nous lançons beaucoup de workshops hors les murs, des projets avec les artistes pour les collèges et lycées à travers les dispositifs prévus par le département, la ville ou la Région. Il y a beaucoup d’artistes à Malakoff donc il est important de réfléchir à comment les accueillir être aussi un lieu de ressource pour eux et pas seulement par le biais d’une exposition au centre d’art.

La programmation

Nous avons une direction artistique, enfin je l’espère. Je fonctionne beaucoup à l’intuition qui émerge de ce que je pressens d’un état à l’instant T, ce qui peut paraître présomptieux mais fait office de socle. Je réagis toujours à partir des préoccupations sur l’urbanisme, l’architecture, la sociologie et ce qui est en train de se faire. Nous avons proposé beaucoup d’expositions autour d’écosystèmes, d’environnements et depuis longtemps avec notamment le cycle des « vidéo séquence » qui illustrent ces influences sur l’émergence de sociétés qui ne répondent pas forcément aux souhaits de la société civile.

D’autres donnaient à voir non les problématiques liés aux représentations du genre, aux discriminations, aux statuts aussi bien des hommes et des femmes, discriminations auxquels notre écosystème de l’art n’échappe pas. Quand on a travaillé dès le début du projet avec Julie Crenn et Pascal Lièvre, commissaires de HERstory, j’ai posé comme postulat d’avoir une parole à dimension internationale, les préoccupations n’étant pas les mêmes en fonction des pays ou des cultures, de donner la parole autant aux femmes qu’aux hommes et qu’il n’y ait pas d’œuvres. Le résultat de leurs recherches a été hallucinant, une expérience unique. Ce projet qui voyage est devenu un lieu de parole avec 29 vidéos du monde entier et entièrement traduites, à l’étage des éditions sur ces problématiques venant de partout et offertes ce qui a permis de constituer un fonds de 120 ouvrage donné ensuite à la Médiathèque de Malakoff. Tous les samedis prenaient place des interviews et témoignages d’auteurs hommes et femmes, relayés sur notre chaine YouTube.

Le fonctionnement du centre et son public

Nous sommes une petite équipe comme beaucoup de centres d’art, soit 4 personnes en permanence. Comme nous sommes un lieu municipal nous bénéficions beaucoup du soutien de certains services de la Ville. Je travaille avec des régisseurs extérieurs également. Le lieu est conventionné avec le Région Ile de France, soutenu la Drac Ile de France et le département des Hauts-de-Seine . Nous bénéficions beaucoup de partenariats publics institutionnels ce qui est fondamental. Chaque exposition favorise également des partenaires extérieurs notamment à l’international.

Le public

Il y a naturellement un public de proximité avec un vivier de collectionneurs, des journalistes, des auteurs et un public amateurs et passionné. Il y a un important travail mené par le pôle éducation artistique au centre d’art auprès du jeune public jusqu’aux lycéens par le biais du workshop professionnalisant dédié.

Nous sommes à la fois excentré et à une sorte de carrefour entre Paris, Montrouge, Chatillon, Malakoff, Vanves, Clamart.. ce qui draine des usagers de différentes communes et bien sûr les parisiens pour moitié.

Une personne ici est totalement dédiée au projet des publics adulte avec des invitations régulières aux Amis des fondations ou musées.

Nous avons créé également les Amis de la Maison des Arts avec 80 membres très actifs.

Le Tram

Je partage la présidence de l’association avec deux vices-présidents : Paula Aisemberg (Maison Rouge) et Xavier Franceschi (Frac Ile de France)

Le socle de Tram est à la fois la question de la circulation des frontières entre nos lieux, du décloisonnement de ces frontières là où le politique continue d’en mettre. Avec l’arrivée du Grand Paris nous sommes dans l’attente et c’est une préoccupation parce qu’il ne faudrait pas à nouveau exclure. Ce lieu reste une base de réseau interne nécessaire pour les équipes parce que l’on sait que l’on peut se soutenir et mutualiser nos compétences. Plus que sur la notion d’hospitalités nous mettons l’accent à présent sur les TaxiTram/RandoTram et travaillons avec la politique de la ville notamment dans le 19ème arrondissement où sont nos bureaux. Nous mettons en place aussi les TaxiTram lycées, favorisant cet axe de diffusion du public qui répond à une attente forte.

Nous travaillons sur un gros chantier, le Sodavi (Schéma d’Orientation pour le Développement des Arts Visuels) comme toutes les régions, un diagnostic qui part de l’artiste et sa professionnalisation, mission que nous travaillons en étroite collaboration avec la Drac Ile de France. Cet outil devrait permettre on l’espère de donner à voir le parcours d’un artiste de l’école jusqu’aux lieux de monstration, qu’ils soient autonomes ou non. Un enjeu majeur puisque La Région Ile de France concentre un peu près 65% des artistes entre ceux qui y résident et ceux qui y exposent. Cette étude devrait ouvrir des pistes de travail pour une politique culturelle active. La région Aquitaine a déjà bien avancé sur le sujet ainsi que les Pays de Loire.

L’idée est de faire resurgir les pratiques et spécificités de ces territoires. Un enjeu de taille, encore peu visible pour l’instant, même si les premières sessions de discussions et tables rondes prévues entre juin et septembre seront ouvertes aux artistes, professionnels du monde l’art et public.

INFORMATIONS PRATIQUES
En ce moment à la Maison des Arts :
Cécile Beau
La région vaporeuse
Jusqu’au 11 mars 2018
Maison des Arts de Malakoff
105, avenue du 12 février 1934
92240 Malakoff
mercredi au vendredi 12h-18h samedi et dimanche 14h-18h
http://maisondesarts.malakoff.fr

Réseau art contemporain Paris-Ile de France :
Prochain Taxi-Tram le samedi 17 février, inscrivez-vous !
http://tram-idf.fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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