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Carte blanche à Caroline Bénichou : La photographie comme une énigme

19 juillet 1978, Taxco, Mexique, Hôtel Victoria, chambre 80 © Denis Roche. Courtesy Galerie Le Réverbère.
Temps de lecture estimé : 3mins

Pour sa quatrième carte blanche, notre invitée, Caroline Bénichou, responsable de la galerie VU’, finalise la semaine avec un texte généreux, où elle nous livre ses sentiments liés à la photographie. Les images sont une énigme, avec leur part de refus et de promesses…

La nouvelle de Julio Cortazar « Las babas del diablo » (Les fils de la vierge, en français, paru dans le recueil Les armes secrètes) n’a jamais cessé de me fasciner.

Il s’agit du récit d’un homme qui photographie un couple sur la pointe de l’Île Saint-Louis. Après que la photographie soit tirée et accrochée au mur chez lui, le monde continue d’y vivre (cette nouvelle a inspiré Blow Up à Michelangelo Antonioni). « La photo avait été prise, le temps avait passé (…) L’ordre des choses se trouvait soudain renversé, c’était eux qui étaient vivants, qui décidaient, qui allaient à leur futur ; et moi, de ce côté-ci, prisonnier d’un autre temps (…) de n’être rien d’autre que l’objectif de mon appareil photographique ».

C’est le sentiment de cette béance, de ce vertige de s’abîmer sur la surface rigoureusement fixe et mutique mais pourtant fluctuante d’une image qui me trouble le plus souvent. Les photographies qui me touchent s’ouvrent comme un seuil perpétuel pour le regard, une ouverture vers un champ du possible tacite mais pourtant présent. Des avant-gardes à Joan Fontcuberta, d’Israel Ariño à Denis Roche, de Tamiko Nishimura à Emmet Gowin, de Saul Leiter à Julia Margaret Cameron, chacune de ces photographies est une forme d’énigme, avec sa part de refus et de promesses.

Cortazar écrit dans cette nouvelle cette phrase précédemment citée « Si tant est que je sache faire quelque chose, je crois que je sais regarder et je sais aussi que tout regard est entaché d’erreur, car c’est la démarche qui nous projette le plus hors de nous-mêmes, et sans la moindre garantie1″…

Parfois je me contente de regarder longuement puis d’assembler des galeries d’images qui n’appartiennent qu’à moi et qui viennent former des constellations photographiques. Parfois j’écris sur des photographies, il s’agit pour moi de textes qui sont de l’ordre de l’interprétation perceptive avant tout. Je n’ai pas à proprement parler d’intention critique ou historique, d’autres le font mieux que moi. Il faut tenter de faire le chemin de la forme au fond. Une forme de quête du sensé dans le champ du sensuel et du sensible. C’est une forme de gageure, puisqu’il existe toujours le risque du « regard entaché d’erreur ». Qu’est-ce qui dans cette photographie me touche, qu’y a-t-il dans l’au-delà de la représentation, que recèle son silence ? Dans chaque image quel peut être l’avant et l’après, le hors cadre, ce qu’elle livre, qu’elle retient, ce qui m’échappe ?

Comme l’écrivait Edouard Pontremoli dans L’excès de visible : « On l’a assez dit : la photographie semble toujours se dérober. Mais on ne peut comprendre l’intensité du refus si l’on ne mesure pas celle de la promesse« . Et j’ai l’intime conviction de l’intensité de la promesse.

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La Rédaction
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