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Silent World de Brodbeck & de Barbuat

Temps de lecture estimé : 5mins

Cette semaine, nous présentons la série « Silent World » du duo de photographes Brodbeck & de Barbuat, un travail réalisé entre 2008 et 2012. Silent World résonne étrangement, des grandes villes dont on a retiré toute présence humaine, où seul un personnage ou deux se retrouvent perdu dans l’immensité des paysages. Quelques images de la série Solarisations sont également dévoilées. Ces tirages sont actuellement visibles à Paris, à la galerie Dilecta.

Cette série d’images grand format trouve son inspiration dans les balbutiements de la photographie, lorsque « Boulevard du Temple » de Louis Daguerre, dès 1838, montrait une rue apparemment vide où seul un cireur de chaussures était révélé. Le temps d’exposition long de 3 à 5 heures, permet de ne faire apparaître sur la photographie que les éléments immobiles. L’activité humaine disparait. Les images sont ensuite recomposées, retravaillées comme des tableaux et font se rencontrer deux époques « technologiques » de l’histoire de la photographie, comme des « daguerréotypes modernes ». Notre intention dans ce projet était de faire fusionner ce qui existe et ce que l’imagination projette sur notre monde. Une représentation intérieure et silencieuse de notre monde.

« En explorant ce procédé à nouveaux frais, Lucie et Simon obtiennent ces images surprenantes où de grandes places citadines sont presque totalement dépeuplées, libérées de leur fréquentation incessante.

Mais le mystère réside dans ce « presque » : comment expliquer la présence troublante des rares personnages, dont certains ne semblent pourtant pas immobiles ? Sans révéler le secret des artistes, évoquons simplement leur manière de superposer les techniques récentes aux techniques photographiques anciennes afin de faire apparaître ces quelques personnes isolées.
(…)

Les croquis préalables à « Silent World » révèlent combien l’art photographique ne se réduit pas à une captation immédiate ; il combine la composition et la délibération à une dimension plus spontanée.

Cette première concrétisation est un moyen pour les artistes de déterminer l’atmosphère particulière qui imprègnera leur série. Ils produisent autant qu’ils reçoivent le réel. Ils forment, informent, déforment, transforment le donné. Loin d’un simple reflet du monde vu, leur travail est la création d’un monde perçu et conçu.

Dans les termes de Henri Cartier Bresson, « photographier c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’oeil et le coeur » : autrement dit, c’est harmoniser la réflexion, l’observation visuelle du monde « extérieur » et les réactions émotionnelles occasionnées. Les images de Lucie et Simon accordent une large place à la « tête » : réflexives voire « cérébrales », elles montrent des lieux dont l’existence est à la fois réelle, indépendante de notre esprit (disons, le Musée du Louvre) et imaginée, dessinée, partiellement mise en scène.

Les dessins du couple d’artistes manifestent en effet leur intention constante de faire fusionner le réel et la fiction ; ce qui existe et ce que l’imagination projette sur le monde ; ce que nous voyons et ce que nous ne pouvons pas voir (Time Square à New York n’est jamais vide). L’univers urbain que nous observons sur ces photographies est un « monde possible » : une réalité « extérieure » mêlée à une représentation « intérieure », mentale voire spirituelle.

Les notions inséparables d’espace et de temps sont centrales dans l’oeuvre du jeune couple d’artistes. Le temps, de manière remarquable, y est convoqué sous différents aspects : du point de vue technique, la durée du procédé ancien est mêlée au traitement informatique et au temps court des photographies plus récentes ; dans le contexte de l’histoire de l’art, un hommage est fait aux débuts de la photographie ; et enfin, à l’égard de l’effet produit et de la signification hypothétique de cette série, la fusion de deux moments (l’un court, l’autre long) opère une véritable métamorphose de la place de l’Opéra ou de l’église St Sulpice à Paris, du Panthéon à Rome, ou encore de la Gare de Pékin. (…) Mais la désertification de ces lieux nous égare dans le temps : ces photographies semblent moins refléter une époque particulière qu’appartenir à l’espace-temps de, la fiction ou à l’intemporalité d’un monde inexistant.

Le spectateur finit par s’y perdre, rejoignant ces âmes errantes. Face à la relativité du temps et de l’espace, à la solidité des pierres et des buildings interminables, l’homme est bien fragile; s’agit-il d’un univers post-apocalyptique où les survivants sont abandonnés à la solitude et au silence ? Paradoxalement, ce monde imaginé dégage en même temps un profond sentiment de paix de l’âme, proche de l’ataraxie recherchée par les philosophes de l’Antiquité. (…) Qui n’a jamais rêvé d’interrompre le mouvement du monde, de faire disparaître le chaos et le brouhaha de la foule, ou encore d’avoir pour soi seul le luxe de goûter ces lieux imposants et majestueux que s’arrachent les visiteurs ? »
Extraits du texte de Julia Beauquel

INFORMATIONS PRATIQUES

sam16mar(mar 16)14 h 00 minsam27avr(avr 27)19 h 00 minSilent worldBrodbeck & de Barbuatgalerie Dilecta, 49 Rue Notre Dame de Nazareth, 75003 Paris

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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