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Covid19 et l’art : Christophe Leribault, directeur du Petit Palais

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« La Force du dessin, Chefs d’œuvre de la collection Prat » devait être le temps fort de la Semaine du dessin. Prête, l’exposition n’a pas pu ouvrir au moment même où était décrété le confinement. Christophe Leribault nous donne sa vision de cette crise et de son impact en termes de programmation, notamment pour les expositions internationales, l’Age d’or de la peinture danoise et Ilya Répine devant avoir lieu cet été et à l’automne. Si l’institution du Petit Palais, de par son statut de musée municipal d’une grande capitale européenne, n’est pas menacée, des arbitrages sont forcément à prévoir selon lui.

« Face à un désarroi généralisé quant à l’avenir, il est indispensable de maintenir plus que jamais de haut-lieux de ressourcement comme les musées  »

La collection Prat, l’un des temps forts de la Semaine du dessin, est l’une des victimes collatérales de cette crise, comment vous organisez-vous au niveau de votre programmation et gestion ?

Malheureusement, le confinement est intervenu à la fin de l’accrochage de l’exposition. Elle est donc en place, il manquait juste les cartels à installer et les réglages de lumière pour ouvrir. Comble de malchance pour les collectionneurs, ils se voient privés chez eux de leurs œuvres alors qu’ils y sont confinés. Louis-Antoine et Véronique Prat ont consacré toute leur vie à leur amour pour le dessin français, ce que révèle cette exposition très attendue de leurs trésors.

Dès que le musée pourra rouvrir, on pourra tout de suite montrer l’exposition, même si le déconfinement s’opérera sans doute en plusieurs phases, avec peut-être une jauge évolutive du nombre de visiteurs. L’exposition devait être le point fort de la Semaine du dessin, parallèlement au remarquable Salon du dessin à la Bourse qui attire tous les grands collectionneurs et spécialistes étrangers ; ils ne referont probablement pas de voyage à Paris d’ici l’an prochain. C’est très dommage tant cet ensemble est particulièrement fascinant, et complet pour la période allant du 17ème siècle – Poussin – jusqu’à l’orée du 20ème, avec Seurat et Cézanne. Mais l’exposition n’est pas compromise, le catalogue est d’ailleurs paru, très réussi, sous la houlette de Pierre Rosenberg.

En termes d’organisation, nos équipes sont en télétravail. Le secteur administratif assure le suivi financier et du personnel ; les conservateurs et documentalistes continuent à travailler sur les projets d’exposition, que ce soit la conception, les demandes de prêts, les rapports avec les architectes-scénographes, le bouclage des textes des catalogues, leur maquette tout comme le service pédagogique pour la conception de jeux interactifs ou d’animation imaginés pour après l’ouverture. Nous avons des réunions régulières en visio-conférence, même si ce système à la longue n’est quand même pas idéal.

En termes de calendrier, nous ne maitrisons pas encore les décalages éventuels. Si nous pouvons ouvrir mi-juillet la Collection Prat, on pourrait la prolonger jusqu’en octobre, ce qui ne bousculerait pas trop l’exposition suivante, « De Bonnard à Picasso, Vollard / Petiet et l’aventure de l’édition d’artistes » qui prenait le relais dans les salles du bas. Dans les grandes galeries de l’étage, si l’ouverture de « L’Age d’or de la peinture danoise » est trop reportée, cela compromet de façon plus complexe le rythme des expositions qui doivent prendre la suite, notamment Répine qui part ensuite à l’Ateneum Museum d’Helsinki, avec des conséquences sur leur propre programmation. Il en est de même pour nos autres co-productions internationales. Les prêts doivent être renégociés, créant de nouvelles incertitudes. C’est un vrai jeu d’équilibriste mais heureusement nous avons de bonnes relations avec tout le monde et les institutions font preuve d’une vraie solidarité.

Les nombreuses solutions digitales proposées placent les musées dans une dynamique de production de contenus, quelles sont vos priorités dans ce domaine ?

Les captations et vidéos ne peuvent remplacer le vrai contact avec les œuvres. C’est la nature même des musées, et nos expositions exigent de rassembler des œuvres venant parfois de très loin. Nous ne pourrons hélas pas filmer l’exposition Prat telle quelle, car les réglages de lumières ne sont pas au point, ce qui nuirait à l’image de l’ensemble. Nous avons en revanche mis en ligne un interview de Louis-Antoine Prat réalisé chez lui en amont, même s’il était conçue pour être diffusé dans le cadre de l’exposition, comme une conversation à propos des dessins visibles tout autour et donc non montrés dans le film. Nous l’aurions sinon conçu autrement, même si le témoignage reste très vivant même hors contexte. Ce que l’on propose d’ordinaire sur notre site et sur les réseaux sociaux, c’est, une fois l’exposition ouverte, de laisser les commissaires évoquer leurs partis-pris, en les filmant dans la scénographie. Comme vous le savez, nous soignons au Petit Palais la mise en valeur des œuvres dans de vrais décors. Une exposition, selon moi, demande souvent une mise en scène, dont ces petits films peuvent rendre compte mais forcément un peu en aval. On peut ainsi retrouver sur notre site les présentations d’expositions précédentes.

Pour assurer une vraie production de contenus pédagogiques, au-delà de captations faites maison certes vivantes et sympathiques, cela nécessite l’intervention de vrais professionnels et certains moyens, pour ne pas trahir l’accrochage. C’est un vrai challenge. Cette période de confinement va nous obliger à enrichir davantage nos contenus en ligne mais rien ne remplace nos expositions, les vidéos restent quand même des compléments de la visite.

Quel impact cette crise aura sur votre l’ensemble du secteur et pensez-vous que les réponses de l’État soient à la hauteur des attentes ?

C’est une crise médicale et économique qui dépasse complètement le secteur culturel, mais qui nous impacte doublement. Quand pourrons-nous vraiment accueillir de nouveau des foules et quelles seront nos ressources de mécénat pour maintenir toutes nos activités? Le Petit Palais bénéficie de beaucoup de revenus de locations pour des soirées d’entreprises, ce qui permet de maintenir la gratuité des collections permanentes. On peut se demander si les entreprises seront toujours aussi désireuses de ce genre d’opérations de relations publiques dans les temps à venir. Nous avons la chance d’être le musée des Beaux-Arts d’une grande capitale européenne avec des moyens et beaucoup de visiteurs français comme étrangers, le Petit Palais va donc pouvoir continuer à proposer des expositions. Il est évident que pour le monde de l’art en général, les artistes, les galeries, les structures plus fragiles, ce sera difficile et ça l’est déjà, tout le monde n’ayant pas le statut d’agent public. Cela peut amener à redéfinir autrement le rythme des évènements et les objectifs poursuivis.

Que pensez-vous de la réponse de l’État français par rapport à la situation des musées américains ?

Nous sommes préservés par l’État providence et ses déclinaisons – villes, départements, régions… – et loin, heureusement, de la situation de beaucoup de structures privées américaines qui licencient du jour au lendemain leur personnel indépendant. Les institutions françaises essaient de maintenir leurs équipes ce qui est d’ailleurs un pari parfaitement raisonnable sur l’avenir car on aura besoin de leur savoir-faire et on doit traiter dignement tout le monde. Même si les situations ne sont pas les mêmes pour tous les indépendants, nous avons cette chance en France. La solidarité joue aussi comme on le voit. Il faut espérer que les mesures prises en faveur du secteur du tourisme incluent tout l’écosystème de la culture et du spectacle vivant, frappé de plein fouet. Face à un désarroi généralisé quant à l’avenir, il est indispensable de maintenir plus que jamais des haut-lieux de ressourcement comme les musées.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique, cette crise soit une alerte et entraînera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?

S’il y a un vrai défi écologique, ces grandes questions ne résultent pas soudain de cette crise sanitaire. On savait déjà qu’il fallait apprendre à économiser les matériaux, les caisses de transport, réutiliser les éléments de scénographie d’une exposition à l’autre, ne serait-ce que pour limiter les dépenses. La cause est juste et entendue, mais la crise actuelle n’en découle pas. Au Moyen Age comme dans l’Antiquité ou au XVIIe siècle, de nombreuses épidémies de peste et autres tragédies ont ravagé effroyablement toute l’Europe et le reste du monde. On doit repenser les choses en permanence mais la clef n’est pas strictement liée à cette pandémie. On peut certes se poser la question du tourisme de masse, celle aussi de l’accélération du rythme des grandes foires d’art contemporain, mais il ne faudrait pas pour autant se replier sur soi. Il en est de la circulation des œuvres d’art comme de celle des idées : tout arrêter serait un garant de tranquillité bien risqué pour l’avenir des sociétés.

INFORMATIONS PRATIQUES
La Force du dessin
Chefs-d’œuvre de la Collection Prat (à la réouverture du musée)
Visionner l’entretien avec Louis-Antoine Prat : YouTube
Petit Palais
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
http://www.petitpalais.paris.fr

A LIRE :
Rencontre avec Christophe Leribault, directeur du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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