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L'Invité·e Carte blanche à Charlotte Boudon : Diana Markosian La Rédaction19 novembre 2020 Partager Partager Temps de lecture estimé : 7minsPour sa troisième carte blanche, la co-directrice de la galerie Les Filles du Calvaire, Charlotte Boudon, présente le travail de artiste arméno-américaine Diana Markosian (née en 1989). Il devait être présenté dans le cadre de la semaine « Paris Photo », annulé pour raisons sanitaires. En attendant la réouverture des galeries, voici une présentation de la photographe documentaire, écrivaine et cinéaste, Diana Markosian. Après des études en journalisme à l’université de Columbia à New York, elle commence ses premières missions pour des magazines comme le National Geographic, le New Yorker ou le Time. Dans ses premiers travaux, elle s’intéresse à la vie de certaines communautés dans leur environnement social et politique. Celles de jeunes filles en Tchétchénie qu’elle rencontre à l’occasion d’une mission dans la région, et qu’elle visitera deux années durant pour témoigner de leur vie dans cette république qui se redéfinit rapidement comme un État musulman en Russie. Dans un autre, elle brode le portrait d’une jeune cubaine de quinze ans, Pura, à l’occasion de sa quinceañera, la fête qui célèbre traditionnellement le passage à la féminité et à l’âge adulte. En 2018, elle part à la rencontre de Hanan, un jeune réfugié irakien en Allemagne, ayant fait la traversé de la Turquie vers la Grèce sur un pneumatique avec cinquante autres personnes et depuis traumatisé par l’eau. Diana le rencontre au bord d’une piscine avec une poignée d’autres réfugiés qui apprennent à nager pour surmonter leur peur de l’eau et le voyage qu’ils ont fait. En parallèle de ces différents projets, elle réalise deux premiers sujets liés à son histoire personnelle et centrés sur la figure de son père, qu’elle retrouve en Arménie après une longue séparation. Puis vient le projet « Santa Barbara ». Diana vit actuellement aux États-Unis, mais a grandi à Moscou avec son frère et ses parents, une mère économiste et un père ingénieur. A la chute de l’Union Soviétique, leur vie bascule dans la pauvreté et le désœuvrement et le couple suit le même effondrement. Diana a sept ans, son frère un peu plus, lorsque leur mère, Svetlana, les réveille au milieu de la nuit et leur dit qu’ils vont partir en voyage dès le lendemain. Diana prépare ses affaires. Ils quittent Moscou sans dire au revoir au père. C’est à Santa Barbara, une petite ville côtière de la Californie, qu’ils atterrissent. À l’aéroport, les attend Eli, un monsieur assez âgé, que Svetlana leur présente comme un ami de la famille, qui va les aider. La destination n’a pas été choisie au hasard. C’est celle où se déroule l’histoire du feuilleton américain qui a été le premier et pendant longtemps le seul diffusé en Russie, celui que chaque jour Svetlana regardait et dans lequel elle s’échappait, un monde à l’opposé de celui dans lequel elle vivait. Vingt ans après ce voyage et le début de cette nouvelle vie, Diana comprend que sa mère s’est inscrite dans une agence en Russie publiant des petites annonces dans des journaux américains pour trouver quelqu’un qui pourrait l’aider sur place. Elle comprend également que sa mère n’a jamais donné de nouvelles au père, après le mot laissé sur la table à leur départ lui disant de ne pas chercher à les retrouver. Et pour tout comprendre, elle se consacre à son projet : « Santa Barbara de Diana Markosian explore la nature de la famille et le rêve américain. A travers une série de photographies mises en scène et une vidéo narrative, l’artiste reconsidère son histoire familiale du point de vue de sa mère, la relatant pour la première fois en tant que femme, plutôt que comme sa fille, et ainsi comprendre les sacrifices profonds qu’elle a consentis pour devenir Américaine. » -Erin O’Toole, Musée d’art moderne de San Francisco Trailer du film Ici le matériel documentaire vient donc de la propre histoire de l’artiste, des vestiges de son enfance, de l’histoire de sa famille sur laquelle elle enquête et qu’elle raconte. Elle convoque son passé en le rejouant dans le présent, et nous montre des images où l’on a parfois l’impression d’être plongé dans une séance d’hypnose, faisant éclater des bulles où s’enfermait le réel. Nous sommes dans une autofiction. C’est une reconstitution basée sur le souvenir, les réminiscences du passé, sans que l’on puisse identifier immédiatement ce qui dans l’image colle au vrai des zones laissées en noir et blanc par les manques dans son souvenir. Ces zones d’ombre, Diana les travaille avec la couleur de l’imaginaire. Le faux s’incarne dans les acteurs qu’elle choisit pour mettre en scène sa propre vie. Mais elle injecte du vrai dans le décor en parant des robes de sa mère l’actrice qu’elle trouve pour en jouer le rôle. Dans la série de photographies, se mêlent à celles de mises en scène des images extraites de films Super-8 de son enfance. « Pour ré-imaginer le passé, j’ai collaboré avec la scénariste originale de Santa Barbara, j’ai choisi un ensemble d’acteurs pour jouer ma famille et je suis retourné dans mes deux maisons d’enfance pour réinventer le départ et l’arrivée en Amérique. » Le voyage où l’entraine sa mère les destine à une vie rêvée, espérée, touchée du bout des doigts, puis rapidement aspirée dans le décor. Elle a fui le cauchemar d’une réalité pour le rêve d’une autre qu’elle s’est inventée. Dès la descente de l’avion, on voit au regard que la mère porte sur celui qui les attend qu’il n’est pas celui qu’elle pensait trouver, qu’il n’a pas dit la vérité, étant bien de plus de trente ans son ainé. Et très vite dans les images, après celles qui montrent la vie comme elle vient, comme Svetlana est venue la chercher en Amérique, avec palmiers, piscine, belles voitures et robe de mariée, que la lumière commence à changer. Elle diminue, rougit, s’enflamme avec la tombée du jour et des espoirs qui chancellent puis dégringolent. Comme un décor qui révèle sa fragilité, une peinture dorée qui s’écaille, le stuc qui s’effrite, le bruit du creux, du vide, du sacrifice. Dans le film, il y a une scène très forte où la mère de Diana, Svetlana, entend les questionnements de sa propre fille par la bouche de celle qui joue son rôle, Ana. Et de façon si juste qu’inconsciemment, c’est Diana que l’on voit et non plus cette comédienne que l’on entend. On associe cette dernière à Diana elle-même puisqu’elle et sa mère à l’écran ont à peu près le même âge aujourd’hui. Il y a une remarquable mise en abîme dans le jeu que Diana opère en faisant porter par sa mère ce regard vers le passé et ce qu’il fait ressurgir dans le présent. Ce ne sont qu’allers-retours entre Diana et Svetlana par le chemin des questions que la mère s’est posées il y a plus de vingt ans et les réponses que cherchent Diana aujourd’hui en se mettant à sa place. Puis d’autres questions viennent, que l’on entend posées par Diana cette fois-ci à sa mère, au téléphone, sur des images au cachet de vieux clichés de cette fausse famille qui découvre sa nouvelle vie en Californie, avec ce nouveau père et mari que la mère de Diana décrit comme sincère, aimant et finalement presque aimé en retour pour l’attention, la protection qu’il leur apporte. L’amour se confond avec la reconnaissance, le temps de dix ans. Le temps de ne plus pouvoir jouer à faire semblant. Car c’est alors Eli qui les abandonne. Et Diana interroge sa mère à nouveau : « You feel our life is like a soap opera, Mum ? ». Et sa mère de répondre : « It’s life ». Alors vient le temps de prendre sa vie en main, de la recommencer. Allers. Retours. Aller. Le projet « Santa Barbara » sera exposé en 2021 au San Francisco Museum of Modern Art, puis à l’International Center for Photography, à New York. Une sélection de photographies de cette série sera prochainement à la galerie Les filles du calvaire. Pour plus de renseignements : https://www.fillesducalvaire.com/viewing_room/santa-barbara-par-diana-markosian/ Contact : paris@fillesducalvaire.com https://www.dianamarkosian.com/ Favori0
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