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Pour sa troisième carte blanche, notre invité Luc Debraine, directeur du Musée Suisse de l’appareil photographique de Vevey, nous dévoile l’exposition qui sera présentée l’an prochain : « Horloges à voir ». Le Musée suisse et l’Université de Lausanne travaillent actuellement sur un projet de recherche sur les liens féconds entre la photographie et l’horlogerie en Suisse. Le fruit de ses recherches sera visible à partir de janvier 2022.

Accordez-moi un peu de temps – c’est bien de lui dont il va s’agir – pour vous parler d’une recherche que je mène avec le professeur Olivier Lugon et ses étudiants à l’Université de Lausanne. J’aime les appareils photographiques, mais aussi les pièces horlogères. Je m’intéresse en somme à deux arts du temps, également deux symboles de la modernité occidentale.

A y regarder de plus près, les similarités entre ces deux machines sont surprenantes. Toutes deux conservent le temps. Leur fonctionnement repose sur la maîtrise fine du découpage de la durée. Toutes deux sont littéralement et allégoriquement des garde-temps. Ouvrez ces boîtes noires. Si elles sont mécaniques, vous verrez des rouages, des ressorts, des leviers, des compteurs, des minuteries, bref des mécaniques de haute précision. Si elles sont électroniques, vous verrez des circuits intégrés, des processeurs, des moteurs, des batteries, des compteurs, des diodes. Si vous me parlez de téléphone portable, je vous dirai que ses deux fonctions principales, à la part la téléphonie, laquelle a besoin d’horloges atomiques pour fonctionner, sont la prise d’images et donner l’heure.

Il se trouve que des manufactures horlogères suisses ont fabriqué des appareils photo à un moment donné de leurs histoires. Jaeger LeCoultre a proposé le Compass entre-deux-guerres. C’était une merveille en aluminium qui proposait, dans un boîtier grand comme un paquet de cigarettes, un maximum de fonctionnalités. Pignons a lancé le petit reflex Alpa dans l’après-guerre, avec un slogan de circonstance : « La caméra des horlogers suisses ». Il Alpa a séduit jusqu’au président américain Eisenhower, par ailleurs grand amateur de montres suisses.

L’entreprise Michel a réalisé un appareil photo pour pigeons qui recourait à une minuterie et à un déclenchement séquentiel. Oiseau + photo : l’ancêtre du drone était ainsi préfiguré. Siegrist a mis au point un appareil espion, le Tessina, qui pouvait se porter comme une montre-bracelet. L’un des agents de la CIA à l’origine du scandale du Watergate avait un Tessina noir dans la poche lorsqu’il a été arrêté. Cette spécialité photo-horlogère se poursuit aujourd’hui. Swiss Timing, une des entreprises du groupe Swatch, conçoit les caméras photofinish utilisés depuis des décennies dans les compétitions sportives.

Cette histoire de la photographie vue par le prisme de l’horlogerie sera le thème d’une exposition au Musée suisse de l’appareil photographique en janvier prochain. Un catalogue regroupant plusieurs études de spécialistes de l’art, de la photographie, de l’horlogerie et du cinéma sera publié à l’occasion. Le titre de l’exposition ? Je l’ai trouvé dans « La chambre claire ». Son auteur décrit à un moment donné les appareils photo comme des « horloges à voir ». Bien vu, monsieur Barthes.

INFORMATIONS PRATIQUES
« Horloges à voir »
Photographie et horlogerie en Suisse au XXe siècle
Musée suisse de l’appareil photographique – Vevey
Du 20 janvier au 7 mai 2022.
https://www.cameramuseum.ch/

La Rédaction
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