L'Invité·e

Carte blanche à Yolita René : Les images du monde tremblant « Yurameki » de Kodo Chijiiwa

Temps de lecture estimé : 5mins

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invitée, Yolita René, historienne de l’art et commissaire d’expositions indépendante lithuanienne nous présente le photographe japonais Kodo Chijiiwa. Yolita a découvert son travail intitulé « Yurameki » en 2019 lors du festival des Rencontres d’Arles. Kodo Chijiiwa est également de fondateur du Yakushima Photography Festival. Découverte de son univers…

Le vent essaie d’écarter les vagues de la mer.
Mais les vagues tiennent à la mer, n’est-ce pas
évident, et le vent tient à souffler… non il ne tient
pas à souffler, même devenu tempête ou bourrasque il n’y tient pas. (…)
Henri Michaux, « Le vent », dans « La nuit remue »

J’ai pu découvrir le travail de Kodo Chijiiwa en 2019, lors des Rencontres de la photographie à Arles où le photographe présentait en off une sélection de photographies sur le monde végétal de Yakushima, une petite île au sud du Japon où l’artiste vit depuis 2003. L’ été 2019, il a été également invité par le BZH Photo pour une résidence d’artiste en Bretagne à l’initiative de Camille Gajate. K.Chijiiwa est aussi le co-fondateur du Yakushima Photography Festival.
Son cycle intitulé « Yurameki » (« tremblement » en japonais) commencé en 2015 lors d’un typhon, est réalisé avec son Rolleiflex 2.8 F, en utilisant une double exposition. Ce cycle se poursuit et désormais aussi en dehors du contexte des tempêtes, exprimant l’énergie créatrice de la nature : les métamorphoses végétales et minérales.
Le travail de K.Chijiiwa me semble proche de l’esprit des écrits de Junichirô Tanizaki où l’un et l’autre saisissent la chose elle-même et le halo qui l’entoure. A la manière d’un journal intime, une forme chère à Tanizaki, Chijiiwa enregistre les vibrations de la nature proche, la beauté d’un monde fugace dont la photographie garde seule la mémoire.
Tel un marin terrestre, il plonge littéralement dans la fureur des éléments déchainés et marche au hasard, secoué par les rafales et les embruns de la mer qui brouillent le paysage. Arpenteur des grands vents il a du mal à rester debout, il doit lutter pour conserver son équilibre et ne pas se laisser emporter. Il se livre corps et âme aux convulsions de la nature. Conscient de sa fragilité mais habité par des moments de grâce, il accueille ces phénomènes météorologiques comme des manifestations de la vie ici et maintenant.
K. Chijiwa fixe dans ses photos les énergies diverses exprimant visuellement les forces élémentaires qui incarnent la vie : feu, air, terre et eau sous forme de liquide ou de neige. Le photographe est à la source primordiale de toutes ces énergies conjuguées des mondes combinés, avec les règnes de l’animal, du végétal et du minéral.

Ainsi, dans ses photographies figurent l’importance des nuées et des éclaboussures de la mer, où l’air et l’eau fusionnent et se combinent pour donner naissance à un nouvel état de la matière, sorte de spray océanique formé de différents éléments conjugués par une violente synergie de vapeurs d’eau, de vent et de mer transformés en éruption volcanique.
A travers son regard on voit des rayons surgir et disparaître sans cesse comme un soupir de la mer à sa surface désagrégée. En parvenant à dompter visuellement ce souffle, K. Chijiwa capte la respiration de la vie comme un ordre poétique dans un désordre apparent.
Il photographie aussi les traces laissées par la mer lorsqu’elle se retire après ses furies. Fonds marins fantastiques qui laissent des craquelures visibles sur le sol à marée basse, comme les signes avant coureurs de constructions à venir pour de futures sociétés humaines. (Gata, 2021)
Des affleurements étranges surgissent de surfaces cachées par la neige, paysages singuliers dessinant des calligraphies végétales et mettant en évidence des correspondances entre le monde céleste et le monde terrestre.
« Le temps des végétaux: ils semblent toujours figés, immobiles. On tourne le dos pendant quelques jours, une semaine, leur pose s’est encore précisé, leurs membres multipliés. Leur identité ne fait pas de doute, mais leur forme c’est de mieux en mieux réalisée. »
Francis Ponge, Le parti pris des choses

Le regard de Kodo Chijiiwa sur le monde végétal amplifie ses mouvements silencieux et rend visible la puissance cachée de sa vie interne.
De simples rochers enregistrent des formes et des surfaces travaillées par des micro-organismes remontant à des temps immémoriaux, traces de végétaux disparus, paysages abstraits sculptés par le vent. Strates de mémoire superposées, représentations figées qui nous questionnent sur l’étendue originelle de la mer en remontant l’échelle du temps. Ici la mémoire du temps se déroule à la vitesse d’un kaléidoscope tourbillonnant.
Le photographe nous questionne sur la signification du temps. Il témoigne que la nature est une vibration unique où l’homme et l’univers sont solidaires et que tout est lié et uni dans la diversité du vivant.
Ces interactions incessantes entre les énergies naturelles, les mouvements du corps physique se traduisent en images par des traces photographiques vibrantes comme si leur texture et leur substance avaient été rendues flexibles après avoir été absorbées par les vents.

Kodo Chijiiwa nous convie à des traversées dans les incessantes métamorphoses de la matière afin de nous faire entendre l’acuité du silence.

Les expositions monographiques prévues : « Dialogue with flow » à Kyoto en septembre 2021 à Denchu Gallery en Octobre 2021 et « Twinkling tableau » à la galerie M1997.

La Rédaction
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