L'Invité·e

La réalisatrice de documentaires Alex Liebert est notre invitée !

Temps de lecture estimé : 10mins

Nouvelle semaine et nouvel univers dans 9 Lives, après une semaine résolument féminine et féministe, nous poursuivons nos invitations éditoriales avec Alex Liebert, réalisatrice de documentaires et femme trans non binaire Entre image fixe et image animée, il n’y a qu’un pas, elle transforme les sujets photographiques en film et a pour projet de faire renaître le festival des Nuits Photographiques, fondé par Guillaume Chamahian. Jusqu’à vendredi, nous allons partager avec vous ses cartes blanches explorant le visible et l’invisible, et participer à donner de la voix à la communauté LGBTQIAE+ victime d’invisibilisation sociétale et systémique.

Après des études théoriques de cinéma à Panthéon-Sorbonne, Alex réalise plusieurs courts-métrages de fiction et des œuvres expérimentales, tels que CHIMÈRE (3 sélections en festivals) ou AE [EUDANL’AH] (12 sélections et 5 prix).

Travaillant régulièrement dans le milieu de la photographie, elle est une membre active des associations DIAPÉRO et FREELENS, et réalise régulièrement des films photographiques, cherchant à innover et à bouleverser ce médium. Elle réalise ainsi des créations animées pour POLKA MAGAZINE (avec des photographes tel·les que Jane Evelyn Atwood, Salgado, Richard Dumas…), ou travaille directement en collaboration avec des photographes. Elle obtient en 2017 et en 2019 le « PRIX NOUVELLES ÉCRITURES » pour les films BLACK BAZAR et DOSTA. En 2021, elle prévoit de faire renaître le festival des Nuits Photographiques, à Paris, dédié aux films photographiques.

Elle réalise également des mini-séries humoristiques sous la forme d’auto-filmage, telles que ARLALA, websérie décalée sur les Rencontres de la Photographie d’Arles, qui fut diffusée par le magazine web OAI13.

Après SCARS OF CAMBODIA (doc de 30min, 9 prix, 20 sélections à l’international), elle réalise de nombreux courts documentaires de création, diffusés sur France 2. Elle termine en 2021 un projet documentaire à long-terme, SINJAR NAISSANCE DES FANTÔMES, se confrontant aux sujets de la résilience et de la mémoire au travers de la communauté Yézidi, au Kurdistan irakien.

Son approche a la particularité d’allier une esthétique et des techniques issues de la fiction à une écriture documentaire.

Alex Liebert vient de fêter ses 40 ans, elle est une femme en quête d’épanouissement, et espère encore grandir d’au moins cinq centimètres.

http://www.alexliebert.fr

Le portrait chinois d’Alex Liebert

Si j’étais une œuvre d’art : Je serais la Joconde de Leonard de Vinci. Non pour sa célébrité internationale mais parce que Mona Lisa est la plus incroyable comédienne de tous les temps, qui dans un simple regard et une simple posture peut vous jouer tous les sentiments, toutes les émotions, de la colère belliqueuse à l’amour passionnel en passant par le dégoût des épinards ou l’amusement de voir toute une famille de canards traverser la rivière en remuant du popotin. Elle s’adapte à notre humeur de l’instant, et fut pour moi – pendant mes années d’université où j’apprenais la théorie du cinéma – la parfaite illustration de « l’effet Koulechov », effet de montage créé par le réalisateur homonyme qui se base sur l’effet de récence (ou mémoire à court terme) pour créer un lien cognitif entre deux plans juxtaposés.
Si j’étais un musée ou une galerie : lJe serais le Musée de l’Érotisme, car on ne s’ennuie jamais dans ce genre de musée. On ricane, on pouffe de rire, on s’extasie, on s’excite les sens, on peut même aller jusqu’à développer un tantinet sa libido. On y oublie pendant un temps la colère du Monde et tous ses travers. Quand le Musée de l’Érotisme de Paris a fermé ses portes, en 2016, j’avais participé aux enchères et avais pu racheter quelques photos et objets qui y étaient exposés ; pas grand chose, mais suffisamment pour me dire aujourd’hui qu’un petit bout de ce musée à survécu grâce à moi.
Si j’étais un·e artiste : Je serais la digne descendante de Maurits Cornelis Escher – artiste à l’imaginaire infini, maître de l’illusion lithographique et mathématique, et sosie officiel néerlandais de Sigmund Freud – et de Barbara Kruger – artiste américaine qui est principalement connue pour ses collages aux slogans agressifs, qui devrait être considérée comme l’influence principale de tous les groupes féministes de colleureuses d’aujourd’hui. Une de ses affiches m’avait tourneboulé il y a quelques années, sur laquelle on pouvait lire en gros « YOU ARE YOURSELF » puis en deuxième lecture, en plus petit au milieu de l’affiche : « not ».
Voilà. Je voudrais être la fille de MC Escher et de Barbara Kruger, coller mes slogans féministes sur les murs de la ville et leur donner suffisamment d’illusion pour que même les plus réfractaires à l’évolution de nos sociétés en aient le cerveau retourné.
Si j’étais un livre : Je serais un livre de contes pour enfants qui s’intitulerait « La vie d’adulte pour les nuls », dans lequel tous les enfants pourraient enfin expliquer à leurs parents, avec des phrases innocentes et de grands dessins colorés, leur plus grande erreur : celle d’avoir trop grandi.
Si j’étais un film : Étant une boulimique de films depuis mon plus jeune âge, cette question a des relents d’impossible réponse. Et pourtant, sans trop réfléchir, je dirais que je serais un savant montage de deux films : BIG de Penny Marshall et LAURENCE ANYWAYS de Xavier Dolan. Ces deux films soulèvent le même genre de questions sur l’émancipation identitaire, l’acceptation de soi, la transition vers sa vérité personnelle et les valeurs qui l’accompagnent.
BIG, c’est un de mes films de gamine, qui m’a appris à accepter de ne pas être aussi grande que je le souhaitais, et qu’une fois adulte je serai totalement libre de faire ce que je veux et d’être qui je veux. LAURENCE ANYWAYS a eu le même impact sur moi mais bien des années plus tard, et m’a appris à accepter de ne pas être aussi « homme » que la société le souhaitait pour moi, et qu’en assumant d’être une femme je serai totalement libre de faire ce que je veux et d’être qui je veux.
Si j’étais un morceau de musique : Je m’extrais une fois de plus de l’injonction de n’en choisir qu’un, car une personnalité est changeante, multiple. Je serais au choix, en fonction de mon humeur du jour, « La Danse Macabre » de Camille Saint-Saëns, ou la « Symphonie No. 7 en LA majeur, opus 92 » de Beethoven – deuxième mouvement si je ne m’abuse.
Ces deux morceaux classiques m’ont inspiré énormément de films jamais filmés, énormément de séquences de scénarios jamais tournées ; ils s’adaptent à tous les genres, toutes les émotions, sortes de « Jocondes musicales » que l’on peut écouter à l’infini sans jamais en épuiser l’effet « chair de poule ».
Si j’étais un photo accrochée sur un mur : Je serais stéréoscopique, car même si j’ai pris quelques kilos pendant le confinement, je préfère que l’on me voie en trois dimensions, dans toute ma perspective rondouillette. Et puis si vous n’avez pas les bonnes lunettes pour me voir en 3D, ce n’est pas si grave, cela voudra dire que je suis double, et que j’ai donc le don d’ubiquité. Et ça, c’est quand-même plutôt chouette !
Si j’étais une citation : Je serais une phrase de Friedrich Nietzsche, dans le Gai Savoir :
« Cette existence, telle que tu la mènes, et l’a menée jusqu’ici, il te faudra la recommencer et la recommencer sans cesse, sans rien de nouveau, tout au contraire ! La moindre douleur, le moindre plaisir, la moindre pensée, le moindre soupir, tout de ta vie reviendra encore, tout ce qu’il y a en elle d’indiciblement grand et d’indiciblement petit, tout reviendra, et reviendra dans le même ordre, suivant la même impitoyable succession. »
Cette phrase échafaude la pensée nietzchienne de l’éternel retour, qui s’éloigne certes des concepts de réincarnation ou de samsara, et qui peut clairement être considérée comme nihiliste ou au mieux pessimiste. Pourtant, cette phrase écholalique a toujours résonné différemment à mes neurones, et a toujours été un élan de motivation, un levier anti-procrastination ; pour moi elle veut dire « vis ta vie comme tu le souhaites, mais surtout vis-la pleinement, sans aucun regret, vis-la de sorte que tu puisses souhaiter qu’elle se répète indéfiniment ».
Si j’étais un sentiment : Je serais l’ivresse. L’ivresse de la vie, l’ivresse de l’amour, l’ivresse des rencontres, de la découverte et de la curiosité infinie. Ivresse est un mot qui fait partie de mon mini dictionnaire personnel, que je m’amuse à me tatouer dans le dos au fur et à mesure des années. « Errance » en est un autre.
Si j’étais un objet : Je serais une boîte de cigarettes de la marque TURMAC. Cette marque créée au début du 20e siècle dans l’Empire Ottoman s’est ensuite vendue dans toute l’Europe jusqu’au début des années 60. Ces boîtes en étain ou en fer blanc – que s’arrachent des collectionneureuses du monde entier – étaient très colorées, « arabisées ». J’ai appris il y a peu que c’est mon arrière-grand-père turc et son frère qui ont créé cette marque, s’appuyant sur la même idéologie qu’Ataturk pour construire leur empire, pendant que lui construisait la Turquie moderne. Cette boîte de Pandore que je suis se remplit mois après mois de tous les souvenirs de famille que je parviens à collecter, pour en faire le sujet de mon prochain film documentaire.
Si j’étais une expo : Je serais « l’Exposition Universelle des Haines et des Phobies Oubliées ». Mon utopie est la suivante : que tous les mots qui permettent de nous différencier en tant qu’êtres humains tombent définitivement aux oubliettes de notre vocabulaire. Révolus, hop !
Ainsi, l’on visitera cette exposition éphémère pour tenter de comprendre – sans y parvenir – les haines irréelles et les phobies illusoires de notre passé.
« Dis papa, c’est quoi un grossophobe ?
– Je ne sais pas mon enfant, je ne comprends rien à cette exposition, viens, on s’en va.
– On peut aller dire aux personnes dans la rue qu’elles sont belles ?
– Quelle bonne idée ! Et si elles sont d’accord on leur fera des câlins ?
– Oh oui ! »
Si j’étais un lieu d’inspiration : Je serais l’un des quatre coins du monde : indéfinissable, impossible à localiser sur un globe, je suis un bout du monde ou peut-être devant ta porte, je suis synonyme d’aventure, de lâcher prise, d’inconnu, ou de confort, de cocooning et de bienveillance, comme tu veux. Chacun·e a son propre coin, et tous les coins sont sources d’inspiration.
Si j’étais un breuvage : Je serais le petit verre d’eau posé sur la table de nuit avant d’aller se coucher. Proche de vous, prévenant et désaltérant. En pleine nuit je suis aussi bon que le plus bon des nectars. Je suis anti mal de crâne et anti gorge sèche. Je suis là toutes les nuits pour veiller sur vos rêves ou vous libérer de vos cauchemars, et l’on ne dit jamais de moi que je suis à moitié vide ou à moitié plein, car dès que l’on me voit vide, on me veut plein.
Si j’étais un héros : Je serais Ulysse, en perpétuel mouvement, en perpétuelle quête de soi-même. Mais je serais un peu moins bête que lui, et je demanderais à Pénélope de m’accompagner, car vivre tout ça à deux c’est quand-même mieux.
Si j’étais un vêtement : Je serais unisexe (ou non-binaire, car l’on parle de genre et non de sexe). Les vêtements ne sont pas le reflet d’un genre, ou tout du moins ne devraient pas l’être. Ils ne définissent en rien qui nous sommes.

CARTES BLANCHES DE NOTRE INVITÉE

Carte blanche à Alex Liebert : Les Corps Invisibles (mardi 15 juin 2021)
Carte blanche à Alex Liebert : Les Invisibles Yézidis (mercredi 16 juin 2021)
Carte blanche à Alex Liebert : Les Photos invisibles (jeudi 17 juin 2021)
Carte blanche à Alex Liebert : Les Conneries bien visibles (vendredi 18 juin 2021)

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

    You may also like

    En voir plus dans L'Invité·e