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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, François-Nicolas L’Hardy, Directeur de l’Hôtel Fontfreyde – Centre photographique, rend hommage à René Tanguy. Depuis plus de vingt ans, le photographe réalise un travail profond et singulier autour de son histoire personnelle, ponctuée par les voyages et les déracinements. Depuis « L’étranger provisoire » à « Sad Paradise, en passant par sa série « Du monde vers le monde, escale à Valparaiso » il dévoile en filigrane la mémoire et son histoire familiale.

J’ai rencontré pour la première fois René Tanguy au Centre atlantique de la photographie – le CAP de Brest en 1998 et nous sommes restés amis depuis.

Né en 1955, René Tanguy est un photographe des confins. Ses explorations photographiques interrogent son histoire familiale, son histoire individuelle. Comment se rejoignent les images de famille et celles des errances ? Comment l’image littéraire rejoint-elle l’image photographique ?

L’enfance de René Tanguy est marquée par un père souvent absent, toujours en partance. De cette absence, de ce manque se tissera un lien particulier, et une initiation. C’est la photographie qui deviendra l’espace privilégié des échanges entre eux. Tandis que le père de René est loin, les pellicules Kodachrome envoyées d’Indochine et les diapositives développées seront en fait les mots d’une nouvelle langue filiale et d’un dialogue, pourtant à distance.
Aujourd’hui, cette thématique revient régulièrement hanter les photographies de René. Dans la série Du monde vers le monde, le portrait d’identité du père en marin trouve sa place comme un talisman dans la paume de la main, en même temps que le photographe se place naturellement face au large.

La desirade navire en escale dans le port de Gibraltar, 1997 © René Tanguy

Dans les photographies de René place est laissée au doute, au questionnement, et finalement, c’est bien ça la vie ! Qu’est-ce que l’enfance, la filiation ? Que faire de la mémoire et de la traversée du temps ?
Avec Les Chiens de feu, traduction littérale de son nom de famille breton, il raconte son pays natal et Lesneven sur la côte du Nord-Finistère. À partir d’images familiales, il propose à la fois une vision unique de son enfance ancrée dans le Pays des Abers, mais aussi universelle pour sa sensibilité.
Les photographies de René surgissent des profondeurs de sa mémoire, de ses rêves : une femme, fantomatique et concrète, se promène au milieu de l’estran.
Exilé, René passe une grande partie de son enfance au Gabon parce que son père y travaille. C’est l’Afrique qui vient colorer son paysage intérieur. La forêt vierge, ses larges horizons, ses profondeurs inquiétantes démultiplient les charmes de la haute mer. Là encore, comme un lien paternel particulier, Le Chemin de cécité mêle les photographies prises par le père à d’autres, plus récentes en noir et blanc et aussi en couleurs.

Valparaiso © René Tanguy

Valparaiso © René Tanguy

Aujourd’hui, René confectionne pour ses enfants devenus grands des albums profondément humains avec des moments de leur enfance. Objets émouvants, ces éditions limitées rassemblent les images très variées, sans distinction, ni souci de styles : souvenirs, expérimentations techniques, tests d’appareils…
Des albums comme aussi un prétexte à interroger une nouvelle fois l’histoire familiale, la filiation, la mémoire et, finalement, l’enfance – quoique perdue – qui revient toujours par bouffées émouvantes…

Des années plus tard, René continue d’interroger la mémoire des lieux, les chemins parcourus, l’exil et le déracinement.
Dans L’Étranger provisoire, sa première série personnelle reconnue, exposée au Centre atlantique de la photographie de Brest en 1997, éditée par Filigranes, les photographies recueillies sont des perles extraites du temps et des histoires des humains croisés de port en port pendant les voyages.
Sad Paradise revisite en 2016, par le livre et l’exposition, l’amitié entre le poète breton Youenn Gwernig et l’écrivain américain phare de la Beat generation Jack Kerouac.

Pen Hir © René Tanguy

Mais par delà leur mer, René et Jack vont ensemble à la recherche de leurs racines bretonnes, se croisent dans leur propre voyage et cheminement intérieurs, dans la quête d’une identité individuelle.
Autre rencontre photographique et décisive pour René, celle de Robert Frank, figure majeure du reportage subjectif. Déraciné et voyageur lui aussi, il contribue au mouvement Beat en proximité avec Jack Kerouac, compagnon de route dans les années 50. C’est lors d’un stage avec lui en 1994 que René remet en cause son approche photographique et décide de poursuivre un travail plus personnel et radical. Et comme on utiliserait la citation d’un grand auteur, c’est un portrait de Jack par Robert qui est reproduit dans le livre Sad Paradise.

Le temps passe : il faut bien apprendre à en rire avec une mélancolie énergique.
Les photographies recueillies sont des temps méditatifs sur l’identité ou l’enfance, des escales rassurantes entre passé et présent. Ce sont aussi des trouvailles visuelles, des retrouvailles amicales aux quatre coins du globe.
Ne rien perdre de vue. Inlassablement, prendre la route, vivre en nomade, allant à Brest, à Gdansk, à Lisbonne, à Vladivostok ou à Valparaiso où souffle parfois un vent d’exil et d’extase.

Bibliographie :
L’Étranger provisoire – éditions Filigranes – 1998
Les Chiens de feu – autoédition – 2002
Le Chemin de cécité – éditions Filigranes – 2009
Du Monde vers le monde – avec Anne-Lise Broyer – éditions nonpareilles – 2016
Sad Paradise – éditions Locus solus – 2016

http://www.renetanguy.com/

La Rédaction
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