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À l’occasion de sa première carte blanche éditoriale, notre invité de la semaine, Christian Gattinoni, le rédacteur en chef de LaCritique.org et directeur artistique de la cinquième édition du festival Fictions Documentaires, nous présente cette manifestation consacrée à la photographie sociale qui se déroule jusqu’au 12 décembre prochain, et dont l’ouvrage vient d’être publié aux Nouvelles Editions Scala. Cette édition, réalisée avec Yannick Vigouroux est un essai sous forme de livre d’art abondamment illustré dans lequel on retrouve une sélection des artistes exposés durant les quatre premières années aux côtés d’artistes reconnus internationalement.

Le GRAPh de Carcassonne est actif en région depuis 34 ans il a collaboré avec différents publics empêchés ou marginalisés pour produire des réalisations entre photographie sociale et formes très contemporaines. Les publics visés sont ceux de centres sociaux, des femmes gitanes du village de Berriac (Aude), des enfants scolarisés, des personnes malvoyantes, des jeunes issus des quartiers sensibles de la ville. Leurs actions combinent soutien à la création, résidences d’artistes et éducation à l’image.
En allant au-delà d’un simple constat documentaire désincarné, la photographie sociale se trouve expérimentée grâce à d’étroites collaborations entre les artistes contemporains et les publics ; la pratique de la photographie se fait sociale, collaborative, solidaire, pour que le public devienne auteur.

Le GRAPh est également membre fondateur du Réseau Diagonal, qui regroupe 23 principaux lieux dédiés à la photographie contemporaine en France et participe activement à la mise en œuvre du nouveau dispositif Entre Les Images, soutenu par le Ministère de la Culture.

Affiche Fictions Documentaires 2021

Alors que je collaborais occasionnellement avec eux depuis longtemps ils m’ont demandé il y a six ans de les rejoindre en tant que conseiller artistique du festival annuel.
Ces pratiques réalisées par des ex-reporters ou des plasticiens les font intervenir sur un terrain (au sens sociologique), entrer en dialogue avec une communauté et trouver des formes différentes de post-production de leur travail, ils utilisent aussi de façon complémentaire des archives qu’ils revisitent.
Il ne s’agit pas de simples fictions du fait des protocoles longs et complexes  mis en jeu pour la réalisation de ces images qui prennent toujours la forme de série et qui peuvent aussi exister sous forme d’installations complexes. C’est le contraire  de l’image de presse, du scoop.

Vue de l’exposition Mohamed Bourouissa

Vue de l’exposition d’Omar Imam

Chaque année nous avons invité un artiste plus médiatisé Louis Jammes, Guillaume Herbaut, Emeric Lhuisset et cette année Mohamed Bourouissa. Les sujets abordés sont toujours différents pour montrer que ces fictions documentaires sont multiples. Pour l’édition 2021 jusqu’au 12 décembre, Marine Lecuyer imagine la dystopie d’un monde sans eau, Matthieu Gafsou porte un regard critique sur l’église catholique fribourgeoise, Ulrich Lebeuf explore ses archives personnelles avec Spettri di Famiglia , Prune Phi a imaginé avec des jeunes une cérémonie héritée de traditions du sud est asiatique qui joue de leurs outils de communication pour entrer en relation avec l’au-delà, Omar Imam met en scène des réfugiés syriens invités à rejouer leurs désirs ou leurs rêves. Pour cette édition Arina Essipowitsch a donné une performance autour d’une oeuvre dépliable dans l’espace.
Pour accompagner ces expositions les rencontres critiques se présentent comme la forme hybride adéquate entre conférence et travail de médiation artistique en dialogue entre critique et artiste et avec le public.

Performance d’Arina Essipowitsch

Après quatre livres publiés par les Nouvelles Editions Scala consacrés à la médiatisation des pratiques photographiques , anciennes, modernes et contemporaines et une inédite histoire de la critique photographique nous avons souhaité avec Yannick Vigouroux accompagner le festival par un essai sous forme de livre d’art abondamment illustré. On y retrouve plusieurs artistes exposés pendant les quatre premières années mais aussi une sélection d’artistes reconnus de façon internationale.

Comme ces pratiques reposent sur des protocoles complexes, pour déterminer les chapitres, nous avons choisi de les approcher à travers des verbes d’action :
Garder traces, des images de simple police aux plus complexes fictions archivistes et ces images qui nous gouvernent,
Négocier l’image au nom d’un mythologie personnelle, développer une histoire communautaire, assurer des passages de témoins, participer d’une histoire de genre,
Refaire l’histoire en retravaillant les icônes, se substituer à l’archive absente, intégrer l’archive au documentaire , l’activer,
Donner lieu à partir des levés topographiques de terrain, en appliquant la méthode des jeux , en opérant des déplacements géographiques ou des refondations architecturales,
Rendre corps par des partages d’expériences identitaires, des manipulations technologiques ou des formes plastiques de re-enactment,
Post-produire en investissant un site , en transformant des créations vernaculaires, par un changement de média ou des montages technologiques ,
Comme ce courant concerne aussi d’autres arts nous avons rédigé des hors champs concernant le cinéma, la littérature, l‘architecture, la danse et la création sonore.

Ce courant des fictions documentaires apparait tout à fait contemporain, sa représentation internationale en est parfaitement significative grâce à des créateurs et créatrices de multiples origines géographiques. Les liens et complémentarités avec les différents (hors) champs artistiques prouvent sa capacité à traiter de multiples thématiques sociétales en y apportant toujours un double éclairage.

La rigueur des méthodologies impliquées en oeuvres les rapprochent des recherches en sciences humaines; histoire, sociologie, ethnologie, anthropologie, psychanalyse … sont convoquées notamment à travers l’entretien, l’enquête et d’autres attitudes ou modalités expérimentales adaptées de façon plastique.
Si les différents protocoles étudiés successivement dans les chapitres correspondent bien à des attitudes de création actées, il est évident que les artistes croisent souvent plusieurs de ces dispositifs pour nuancer et enrichir leur démarche.

Ces oeuvres gardent une forte dimension critique envers les systèmes de représentations dominants mais aussi par rapport au médium photographique et à ses potentialités. L’image seule n’y tient plus son rôle primordial tandis que des scenarii complexes et des réalisations sérielles sont systématiquement explorés.
Les fictions documentaires renouvellent aussi bien le reportage , la photo sociale que les pratiques d’auteur(e), ainsi que de nombreuses approches de l’art contemporain et jusqu’aux créations plus récentes des nouvelles technologies.
Les artistes ici présentés produisent ainsi des images alternatives plus justes dans leur rapport aux réels et manifestant des avancées plus profondes quant aux exigences de l’humain dans nos sociétés des XX ème et XXI ème siècle.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven12nov10 h 00 mindim12déc18 h 00 minFictions Documentaires 5ème édition du Festival de la photographie sociale CarcassonneApprivoiser le tigreGRAPh-CMi, Maison des Mémoires, 53 Rue de Verdun 11000 Carcassonne

Les fictions documentaires en photographie
Nouvelles Editions Scala
ISBN 978-2-35988-268-1
32 euros

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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