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Après avoir débuté cette visite guidée sonore avec Clara Chalou, c’est au tour de Marie Guillemin, membre du comité artistique de nous dévoiler une partie de la programmation de la douzième édition du Festival Circulation(s). Manifestation dédiée à la jeune photographie européenne qui accueille, jusqu’au 29 mai prochain, une trentaine d’artistes au 104 – CENTQUATRE, à Paris. Cette semaine, chaque jour, une curatrice vous présentera une partie des projets exposés.

Romane Iskaria
Assyrians

Assyrians © Romane Iskaria

Je vais commencer par parler du travail de Romane Iskaria, qui s’appelle Assyrians. Il s’agit d’une jeune artiste française d’origine assyrienne. L’Assyrie est un pays peu connu, puisqu’il a disparu avec le démantèlement de l’Empire Ottoman et que l’ancien territoire assyrien est aujourd’hui réparti entre l’Iran, l’Irak et la Turquie. Le travail de Romane est une œuvre de mémoire collective qui met à la fois en lumière cette communauté et cette culture – désormais méconnue – et qui souligne également le vide laissé à la population ou à ses descendants, comme elle, suite à la disparition du pays. Ce travail révèle la quête de sa propre identité et de ses origines, puisque finalement c’est un peu elle qu’elle recherche à travers sa recherche artistique. La série Assyrians est protéiforme et mêle à la fois la vidéo, la photo, de l’installation et des pièces sonores, qui se divisent en plusieurs volets. Nous en exposons trois à Circulation(s). Le premier volet est un ensemble de plaques de verre sur lesquelles sont imprimées des images d’archives qui représentent des habitants d’un village assyrien. Volontairement, elle ne garde que les corps de ces habitants pour effacer complètement le paysage qui les entoure et ne laisser que la transparence du verre. C’est vraiment le vide et l’absence que l’on retrouve.

Assyrians © Romane Iskaria

Assyrians © Romane Iskaria

Le deuxième volet est une installation de 36 tirages présentés sous forme de mosaïque qui recompose la photo d’un lac qui était à l’origine sur le territoire assyrien. C’est d’ailleurs le lieu où elle a démarré ses recherches. Enfin, le troisième volet est une projection vidéo qu’elle a réalisée, de deux danseuses professionnelles qui reproduisent les gestes des danses folkloriques assyriennes. Il n’y a aucune musique et les danses se font dans un silence absolu. Ce projet se poursuit toujours puisqu’elle produit actuellement de nouveaux volets…

Silvia Rosi
Encounter

© Silvia Rosi, Encounter, SSelf Portrait as my Father, 2019

Encounter est un travail réalisé par la photographe italienne d’origine togolaise née en 1992, Silvia Rossi. Dans cette série, il est question de migration et d’identité, une thématique qui lui fait écho à travers son histoire familiale puisque ses parents sont nés au Togo et ils ont migré vers l’Italie et de fait, elle a grandi dans une multiculturalité en tant qu’italienne afrodescendante. Pour aborder ce sujet, elle a décidé de créer un album de famille fictif qui reconstitue les passages de son histoire familiale. Elle utilise des photographies et des images en mouvement, qui sont toutes construites de la même façon : ce sont à chaque fois des autoportraits, où elle se met en scène pour incarner les membres de sa famille : son père ou par exemple sa mère, qui l’a beaucoup inspirée. Et pour composer ces images, elle se réapproprie complètement les codes artistiques des studios photo traditionnels d’Afrique occidentale. Elle utilise notamment des fonds de couleur, des accessoires aussi, comme chez Malick Sidibé, Seydou Keïta ou encore Samuel Fosso, etc.

© Silvia Rosi, Encounter, Self Portrait as my Mother in School Uniform, 2019

Elle reproduit aussi le port de tête traditionnel qui se transmet de mère en fille et qu’elle s’approprie à son tour. Elle associe des textes à ses images, qui apparaissent comme des légendes. Dans la scénographie, ils sont placés en dessous des images. On a l’impression que ces légendes sont très longues, mais en réalité, c’est une, deux ou trois phrases qui se répètent encore et encore et qui parlent à chaque fois de l’expérience de migration du membre de la famille qui est représenté. C’est un travail qui puise dans l’héritage congolais de Silvia et qui interroge la tradition tout en la rapprochant de la vie contemporaine.

Lotta Blomberg
Fever Weaver

© Lotta Blomberg

Lotta Blomberg est une photographe finlandaise, née en 90. Son travail est une réflexion autour de la respiration et de la méditation. Lotta souffre de troubles dissociatifs depuis son enfance et elle a appris à les gérer en se concentrant sur sa respiration, c’est une forme de méditation. Avec Fever Weaver, elle parle de cette pratique d’ancrage qu’est la méditation, la respiration, en utilisant deux approches. La première, c’est une illustration de la respiration où elle crée des vidéos de pâte qui se gonflent et se dégonflent. On ne sait pas toujours, au premier abord, ce que l’on regarde précisément. C’est une matière, parfois entourée de filets et on a ce mouvement de respiration qui se répète à l’infini puisque les vidéos tournent en loop. Ça procure une sensation d’apaisement puisqu’on peut caler sa propre respiration sur les mouvements que l’on voit sur ces vidéos.

© Lotta Blomberg

La seconde approche concerne les bienfaits de la méditation. Elle reproduit sous forme de tapis des images thermiques qu’elle a prises au préalable. Pour retranscrire la chaleur du corps, elle utilise une méthode artisanale finlandaise qui s’appelle le ryijy. Ce sont des tapis en laine, avec des poils assez longs, tous serrés les uns contre les autres et elle utilise chaque poil de tapis pour représenter un pixel de son image. On a donc une représentation quasi parfaite de l’image d’origine, mais sous forme de tapis avec les couleurs de la photographie thermique. Cette création est en soi un acte méditatif qui lui apporte, comme elle le dit, un grand réconfort, puisque c’est un travail très minutieux et qui nécessite une grande concentration. Le résultat est extrêmement original, c’est à la fois un acte performatif et méditatif, mais qui provoque aussi pour le public une expérience méditatif.

Federico Ciamei
Travel Without Moving

© Federico Ciamei

Avec Travel Without Moving, le photographe italien Federico Ciamei propose un voyage imaginaire sur les traces des grands explorateurs. Il est parti des journaux des explorateurs qui ont découvert le monde comme Marco Polo et autres, mais également de rapports de marchands, de biologistes ou de missionnaires qu’il a pu retrouver. Il décide de partir à son tour à l’aventure en se mettant complètement dans la peau d’un explorateur qui part à la découverte de terres inconnues… Sauf que son voyage est virtuel puisqu’il le fait à travers des archives en ligne, sans bouger de son siège ! C’est une autre forme d’exploration, plus moderne d’une certaine façon, et ce qui ressort de ses recherches et de son voyage, c’est un récit qui prend la forme d’une série de photos et de collages numériques réalisés à partir d’archives en ligne, de documents, et de photos qu’il a lui-même réalisées. On se retrouve avec des images qui conservent pour la plupart les fenêtres numériques flottantes qu’on a sur nos ordinateurs et qui se superposent, s’accumulent montrant ainsi une profusion de données et d’archives.

© Federico Ciamei

Cette accumulation créé une sorte de confusion, mais il le fait volontairement pour interroger la véracité des histoires qui sont racontées par les explorateurs à l’origine. Notamment parce que Marco Polo explique au tout début de son livre, Le voyage de Marco Polo, que tout est véridique, et qu’il faut le croire sur parole. Aujourd’hui, à l’heure où l’on a découvert quasiment l’intégralité de notre planète – qu’on l’a explorée en long, en large et en travers – on a une profusion de documents sur le sujet, on se rend compte que les histoires racontées relevaient parfois plus de la légende que d’une réelle étude. Donc, avec le travail de Federico, on a vraiment une exploration des temps modernes qui se traduit dans une forme assez contemporaine et qui mélange aussi des aspects liés au passé avec ces images d’archives. Il fait cohabiter deux univers et ça fonctionne extrêmement bien. Il a produit ce travail en ayant comme premier objectif d’en faire un livre. Il a créé neuf chapitres, chaque étape correspondant à un endroit du monde et à une époque spécifique. Pour Circulation(s) nous exposons deux volets, avec les images qu’il a produites, les images qu’il a créées sous forme de collages et également ses propres récits qui sont superposés sur des plaques de plexiglass. Je vous invite à aller découvrir ce travail en vrai parce que c’est toujours mieux de le voir de ses propres yeux plutôt que de l’entendre se le faire raconter.

Romain Bagnard
Aphrós

© Romain Bagnard

Je vais passer maintenant au travail de Romain Bagnard qui s’appelle Aphrós. Romain est un artiste français, et nous l’avons sélectionné suite à l’appel à candidature. Romain travaille sur des questions sociales à travers une approche plasticienne. Avec Aphrós, il nous montre la rue. Il a mené ce travail de façon très instinctive pour témoigner des fractures de la société sous forme de corpus des portraits de personnes qu’il a rencontrées dans la rue avec des images plus abstraites qui sont des images de matières… Avec cet ensemble d’images, il nous force à voir la dureté de la vie, les cicatrices qu’elles peuvent laisser à travers les visages, les portraits notamment, qui sont marqués, fatigués, souvent abîmés, mais aussi à travers ces rues qui sont marquées de la même manière avec des détails presque microscopiques pour faire émerger une vision d’ensemble, une sorte de puzzle finalement où tout s’imbrique, et où tout est interdépendants pour créer comme il le dit lui-même, un alphabet urbain primitif.

© Romain Bagnard

L’aspect urbain est très fort dans ce travail. On le voit dans chacune de ces images. Au départ, dans une ville d’Europe, puis dans une autre, et finalement, l’important, ce n’est pas de savoir où nous sommes, mais de ressentir le fait que ça parle à tout le monde. Quand on vit dans une métropole, dans nos sociétés occidentales, ce qu’on voit dans ces images, on pourrait le voir à côté de chez nous. Au festival, on l’expose sous forme de mosaïque, pour représenter ce côté puzzle. Un ensemble qui fonctionne comme un tout, mais aussi pour permettre au public d’avoir deux niveaux de lecture. Un premier niveau d’ensemble, et puis ensuite de rentrer dans chacune des images, pour être un peu plus proche de cette réalité que Romain souhaite nous montrer.

Louise Ernandez
Obsessio

© Louise Ernandez

Et je vais terminer en vous présentant le travail de Louise Ernandez, qui s’appelle Obsessio. Louise est une photographe française, diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris et elle est diplômée en photo et vidéo. Je le souligne parce que c’est quelque chose qui est très marqué dans son travail, car elle créé un pont à chaque fois entre les deux disciplines.
Dans ce projet, elle revisite le format du roman photo, qui était un format très populaire dans les années 50-60 et 70 et qui a peu à peu disparu. Elle décide d’emmener ce format dans un univers plus cinématographique, ce qui crée au final un objet complètement hybride qui se situe entre le roman-photo et le ciné-roman. Elle s’intéresse au roman-photo pour deux de ses caractéristiques : la première, c’est l’utilisation d’images fixes pour montrer l’action, donc l’enchaînement d’images pour décrire une scène, et la seconde, c’est le système narratif qui est toujours à peu près le même dans tous les romans-photo. Ce sont toujours des histoires d’amour romanesques avec l’utilisation de personnages ultra stéréotypés. C’est au niveau de l’esthétisme qu’elle va se détacher des codes du roman-photo, elle s’inspire des films des années 50 en noir et blanc, des films très noirs, de type fellinien.

© Louise Ernandez

C’est donc un projet en noir et blanc, dans lequel elle travaille beaucoup la lumière, pour avoir une atmosphère très marquée et un peu mystique. Autre point important, elle n’utilise pas du tout de texte, on n’a pas de petites bulles comme cela pouvait être le cas à certaines périodes dans le roman-photo. Là, vraiment, tout passe par l’image, les dialogues entre les personnages sont suggérés. Obsessio est un drame psychologique intime puisqu’il est inspiré d’une histoire qui l’a touchée personnellement. Ça se déroule à Cadaqués c’est l’histoire d’un couple qui séjourne au milieu des collines au bord de la Méditerranée. L’homme vient de croiser une femme mystérieuse, qui semble insaisissable et il n’arrive pas à contenir son attirance. Il se laisse complètement emporter par ses fantasmes et il se rapproche d’elle au fur et à mesure, jusqu’à tromper son épouse. On voit un enchaînement de scènes, une situation qui glisse petit à petit avec un décor qui peut sembler différent, ce qui fait que, finalement on ne sait plus s’il s’agit d’un rêve ou si c’est la réalité. Au festival, on présente le travail de Louise sous deux formes. On a une projection de cinq minutes, qui reprend l’histoire dans sa quasi intégralité. Et on expose également deux scènes majeures de la fiction, qui sont présentées en une cinquantaine de tirages et qui se succèdent sur le mur, qui détaillent précisément l’action qui est en train de se passer…

https://www.festival-circulations.com/

RENDEZ-VOUS…
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Clara Chalou (lundi 4 avril)
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Emmanuelle Halkin (mercredi 6 avril)
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Carine Dolek (jeudi 7 avril)
– 12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Claire Pathé (vendredi 8 avril)

INFORMATIONS PRATIQUES

sam02avr(avr 2)14 h 00 mindim29mai(mai 29)19 h 00 minCirculation(s) 2022Festival de la Jeune Photographie Européenne104 – CENTQUATRE Paris, 5 Rue Curial, 75019 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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