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Après avoir débuté cette visite guidée sonore avec Clara Chalou et Marie Guillemin, c’est au tour d’Emmanuelle Halkin également membre du comité artistique de nous dévoiler une partie de la programmation de la douzième édition du Festival Circulation(s). Manifestation dédiée à la jeune photographie européenne qui accueille, jusqu’au 29 mai prochain, une trentaine d’artistes au 104 – CENTQUATRE, à Paris. Cette semaine, chaque jour, une curatrice vous présentera une partie des projets exposés.

Federico Estol
Shine Heroes

© Federico Estol

Federico Estol est un photographe italo-uruguayen né en 1980, il présente une série que nous avons beaucoup aimée « Shine Heroes« . C’est un photographe que l’on connaissait parce qu’il a eu quelques publications en France et en Europe, mais il n’y avait jamais eu d’exposition de son travail en France. Nous l’avons rencontré lors d’un déplacement du comité artistique au festival de Łódź en Pologne, sur l’invitation du Centre culturel polonais. C’est un projet qu’il a élaboré durant trois ans avec une communauté assez particulière basée à La Paz et d’El Alto en Bolivie. C’est une importante communauté composée de plus de 3000 cireurs de chaussures qui sillonnent les rues de la ville. C’est devenue une sorte de phénomène social dans la capitale bolivienne parce que tous les membres de cette tribu portent des cagoules de ski, ce qui leur permet de conserver un anonymat, étant victimes de discrimination parce qu’ils se situent en bas de l’échelle sociale. Souvent, leur entourage et leur famille ignorent qu’ils exercent ce métier. Federico a donc travaillé avec ces gens en s’associant avec un journal créé par cette communauté, Hormigón Armado, qui signifie « béton armé ». Sur cette base, le photographe a décidé de réalisee une sorte de fanzine en collaborant avec à peu près une soixantaine de cireurs de chaussures. Ce sont donc des mises en scène photographiques ayant pour décor l’architecture incroyable, presque science fictionnelle de certains quartiers d’El Alto, située sur la partie haute de La Paz, à 4000 mètres d’altitude.

© Federico Estol

© Federico Estol

Ces cireur de chaussures deviennent des super héros du quotidien. Federico en accord avec eux a créé des scènes où ils prennent l’allure de super héros avec des pouvoirs, des capes et des costumes… Les cireurs deviennent les producteurs d’une œuvre, mais aussi des protagonistes d’un essai visuel. On assiste à une lutte contre la stigmatisation de leur communauté. Cette série nous a plu par sa dimension sociale et par l’éducation à l’image que Federico a pu faire à travers ce projet. Le fanzine sera mis à disposition sur le lieu de l’exposition pendant le festival.

Elisabeth Gomes Barradas
Covers

© Elisabeth Gomes Barradas

© Elisabeth Gomes Barradas

Je vais maintenant vous parler d’une autre photographe, Elisabeth Gomès Barradas, française née en 1993. Elle avait déjà postulé pour les Rencontres Photo du 10ᵉ, nous ne l’avions malheureusement pas sélectionnée, mais son travail était resté dans notre esprit. Sa série « Covers » est née d’une passion adolescente. C’est un projet sucré, doux, mais en même temps très intelligent sur ce qu’il raconte de notre société, du rêve, de l’évasion, de comment du jour au lendemain on peut se transformer en une icône du R’n’B.
Dans les années 2000, Elisabeth alors adolescente, se passionne pour le R’n’B. On revient donc à ce que cette musique représente à cette époque : c’est toute l’esthétique des clips d’Aaliyah, des Destiny’s Child, d’Alicia Keys… Il y a donc beaucoup de paillettes. À cette époque Elizabeth est réellement fascinée par la black culture et par ce style musical qui fait entièrement partie de sa vie. Elle a décidé d’intégrer cet univers à sa pratique artistique en proposant à son entourage de les transformer le temps d’un shooting, en véritables icônes de la black culture ! Elle reprend tous les codes du R’n’B avec cette esthétique délicieusement bling bling pour ses amis et les faire devenir, l’espace d’un moment, des icônes. La scénographie a été travaillé en fonction de son univers, il y a des paillettes, des disques d’or, de vraies pochettes vinyles. C’est une véritable immersion pour le public.

Michalina Kacperak
Soft Spot

© Michalina Kacperak

© Michalina Kacperak

J’aimerais vous parler maintenant d’un travail extrêmement touchant réalisé par la photographe polonaise Michalina Kacperak que nous avons découvert lors des lectures de portfolio au Festival de Łódź en Pologne. Michalina est née en 1993, elle a étudié la photographie à l’école de cinéma de Łódź, et son travail oscille entre documentaire et photographie contemporaine.
Dans la série « Soft Spot« , Michalina nous raconte le quotidien de sa jeune sœur avec laquelle elle a seize ans de différence. Sa sœur vit dans un foyer qu’on appelle dysfonctionnel, avec un père alcoolique. Michalina a voulu nous montrer le territoire dans lequel évolue sa sœur, son intimité, c’est à dire sa chambre de petite fille. Ce lieu devient ambivalent car il est à la fois une prison et un refuge, il est transcendé par l’imagination et le talent de cette petite fille. On y voit justement la manière dont l’enfant a investi les murs de sa chambre pour enchanter la réalité et pour survivre, comment elle a utilisé le dessin, la fabrication d’objets et les mises en scène pour se créer un univers plus doux. Une sorte de Soft spot justement, en contraste avec le reste de la maison habitée par la violence et la tension. Ici, Michalina Kacperak documente cette étape cruciale, du passage où l’on quitte le statut de l’enfance.

Lívia Melzi
Étude pour un monument Tupinambá

Je poursuis avec le travail d’une artiste plasticienne franco-brésilienne, Livia Melzi (1985). Sa série s’appelle Étude pour un monument Tupinambá. Ce projet est extrêmement riche. Ce qui est assez intéressant, c’est de savoir que Livia a une formation d’océanographe, c’est donc une scientifique à la base. L’artiste cherche à interroger, par la photographie, les mécanismes de domination qui peuvent être à l’œuvre dans la production, la conservation et la circulation des images. En l’occurrence ici, entre l’Europe et le territoire brésilien. Dans ce travail, elle interroge le sens des archives photographiques au sein des collections muséales. Et pour cela, elle s’est arrêtée sur des œuvres, des artefacts qu’on appelle des capes Tupinambá, qui étaient des manteaux portés lors de cérémonies anthropophages par le chef Tupinambá – ethnie brésilienne du XVIᵉ siècle. Les colons ayant compris que ces artefacts étaient des symboles de pouvoir, les ont volé pour les ramener en Europe. Ils sont au nombre de onze et les onze derniers manteaux de cérémonies Tupinambá sont tous collectionnés dans des musées européens. Livia a vraiment axé son travail sur ces manteaux : comment sont ils arrivés dans les collections ? Comment ont ils été documentés ? Comment ont ils été conservés ? Et comment sont-ils montrés ? L’œuvre de Livia autour des Tupinambá est extrêmement vaste. Ici, on présente son récit autour de ces onze derniers manteaux et sur la figure notamment de Johan Maurits, colon responsable du transfert de ces pièces en Europe à partir du XVIIe siècle. Un travail qui résonne beaucoup autour de la réflexion post-coloniale qui a lieu en ce moment dans nos sociétés occidentales.
Il est important de préciser que grâce à cette série, les héritiers des Tupinambá peuvent se réapproprier la technique de fabrication de ces manteaux. Toute une partie de ce travail tourne autour d’une jeune femme qui s’appelle Glicélia, une des dernières descendantes Tupinambá, militante indigène et qui œuvre à la réappropriation de cette technique et la communauté qui travaille à fabriquer de nouveaux manteaux.

Laura Quiñonez
Accidentes geo-gráficos

© Laura Quiñonez

Je poursuis avec l’artiste Laura Quiñonez qui est née en 1985 en Colombie et qui est franco-colombienne, diplômée de l’ENSP Arles. Dans sa série Accidentes geo-gráficos, Laura s’est particulièrement intéressée à la communauté afro-colombienne autour de Barranquilla, elle a rencontré des femmes qui lui ont raconté une histoire incroyable, à l’époque de l’esclavage, les marrons (ndlr : terme utilisé pour désigner un esclave en fuite) se tressaient les cheveux et utilisaient les tresses pour communiquer secrètement les chemins vers la liberté. À travers la manière de tresser les cheveux, ils dessinaient des repères topographiques nécessaires à la fuite. Laura a donc souhaité rencontrer ces dernières femmes de la communauté qui maîtrisent encore cette manière de coiffer. Elle a fait tout un travail autour d’elles, pour montrer comment ces histoires se sont transmises de génération en génération au sein de cette communauté.

© Laura Quiñonez

Ce qui est très intéressant à travers cette série, c’est que ça transcende à ces Accidentes geo-gráficos, ici ces accidents témoignent de collisions sociales, humaines et sont vraiment la preuve de la survivance d’un passé colonial tragique. On a une scénographie qui inverse les paradigmes et qui nous montre ces coiffures en très grand format comme des paysages et des paysages justement traités en petits formats. Le résultat est très étonnant et je pense que cette scénographie nourrit beaucoup le propos de Laura.

Vaghinak Ghazaryan
Contused Space

© Vaghinak Ghazaryan

© Vaghinak Ghazaryan

Vaghinak Ghazaryan est un artiste arménien né en 1974. Il fait partie de notre Focus sur l’Arménie. La série Contused Space est travail documentaire très fort et très poétique aussi puisqu’il traite des traumatismes de la guerre. Le monde s’est arrêté à nouveau en Arménie et dans le Haut-Karabakh, le dimanche 27 septembre 2020, quand la guerre arméno-azerbaïdjanaise a éclaté. Cette guerre a duré 44 jours et s’est terminée le 9 novembre. Vaghinak a voulu raconter les traumatismes de l’après-guerre et l’incertitude dans laquelle les arméniens qui vivent dans ces zones sombres sont plongés. Mais il s’est aussi arrêté plus particulièrement sur ces petits rituels du quotidien qui permettent aux familles, aux proches, aux amis, aux frères et sœurs de continuer à vivre après la mort d’un proche. Son travail parle de l’incertitude de la vie dans ces zones de conflits et il raconte également comment on vit le deuil. Un travail très beau, très puissant à découvrir dans le Focus Arménie avec trois autres artistes.

https://www.festival-circulations.com/

RENDEZ-VOUS…
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Clara Chalou (lundi 4 avril)
– 12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Marie Guillemin (mardi 5 avril)
12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Carine Dolek (jeudi 7 avril)
– 12ème édition du Festival Circulation(s) : Visite guidée par Claire Pathé (vendredi 8 avril)

INFORMATIONS PRATIQUES

sam02avr(avr 2)14 h 00 mindim29mai(mai 29)19 h 00 minCirculation(s) 2022Festival de la Jeune Photographie Européenne104 – CENTQUATRE Paris, 5 Rue Curial, 75019 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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