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Réouverture très attendue pour le Musée départemental Albert-Kahn et son jardin dans le joyau de l’architecte japonais Kengo Kuma suite à un ambitieux chantier de rénovation d’un budget de 60 millions € sur 4000m2 de surface totale, qui permet d’entrer pas à pas dans l’univers de ce banquier philanthrope visionnaire autour de sa collection unique au monde de 72 000 autochromes couleur et films exceptionnels. Des Archives de la Planète constituées par un audacieux système d’opérateurs dont les techniques tout à fait révolutionnaires accompagnent et contribuent à l’avènement de la photographie moderne. Un rayonnement dont témoignent l’exposition inaugurale et les archives qui séduiront les amateurs et les spécialistes de l’image.

Le jardin est partie prenante de l’ensemble avec un écho paysager au croisement du vivant entre le village et jardin japonais, la forêt vosgienne et la serre… selon une habile transition favorisée par un engawa, un entre-deux, suivant le concept traditionnel japonais qui inscrit véritablement le musée dans la ville. Sa façade rappelle de jour un origami géométrique en papier ou le soir une lanterne japonaise allumée.

Nathalie Doury, directrice du Musée, qui a mené à bien cette formidable mutation a répondu à mes questions.

Portrait de Nathalie Dour © Olivier-Ravoire

Quels points forts se dégagent, selon vous, de la proposition de l’architecte Kengo Kuma ?

D’une part, la proposition de Kengo Kuma s’adapte pleinement au contexte de musée-jardin du lieu et à sa topographie particulière autour de la contrainte que représentait une parcelle tout en longueur à laquelle il a répondu de façon très pertinente à travers une grande ligne horizontale qui s’inscrit entre la ville et le jardin.

D’autre part, la réinterprétation formidable faite par Kengo Kuma de fondamentaux de l’architecture traditionnelle japonaise, et notamment la figure de l’engawa, espace entre-deux, déclinée sur l’ensemble des bâtiments, qu’ils soient patrimoniaux réhabilités ou nouveaux. Cet entre-deux agit entre la ville et le musée, entre le musée et le jardin, entre l’extérieur et l’intérieur, entre la sphère publique et la sphère privée. Il se dessine tout un jeu de plateformes, de passerelles qui offrent des transitions entre ces différents états de la ville, du musée, du jardin.

Le musee departemental Albert-Kahn fait l’objet d’un important projet de restructuration avec outre la rehabilitation du bati existant la construction depuis 2015 d’un nouveau batiment concu par l’architecte japonais Kengo Kuma. Avancee des travaux en mai 2021.

Le musee departemental Albert-Kahn fait l’objet d’un important projet de restructuration avec outre la rehabilitation du bati existant la construction depuis 2015 d’un nouveau batiment concu par l’architecte japonais Kengo Kuma. Avancee des travaux en mai 2021.

Le 3ème point fort pour nous est la relation tissée avec le végétal et de façon plus générale, le monde naturel à travers l’emploi de matériaux tels que le bois et ses déclinaisons, la question du jeu avec la lumière selon l’heure de la journée avec ces parts-soleils, des Sudare et ces miroirs qui viennent refléter le végétal pour faire entrer le jardin à l’intérieur du bâtiment.

Les partis pris scénographiques engagés

Exposition inaugurale © CD92 – Julia Brechler

Exposition inaugurale © CD92 – Julia Brechler

Il est important pour nous d’offrir une expérience sensible entre contemplation et déambulation au sien de ces collections, à la manière des séances qu’Albert Kahn proposait à ses invités en images et en mouvements, autour du principe qui l’habitait d’harmonie et de beauté qui nait de la coexistence pacifique des cultures du monde. Pour résumer, son objectif était de développer une connaissance mutuelle des cultures pour favoriser la paix et le progrès.

L’autre élément important relevait de la difficulté aujourd’hui de présenter des collections qui ne sont pas montrables étant donné le procédé des plaques autochromes couleur d’une très grande fragilité. Nous ne montrons donc que des facsimilés, des reproductions mais de la meilleure façon possible, c’est-à-dire, traversés par la lumière, présentés en rétro éclairage ou sur écran. Il se dessine une certaine affinité finalement entre l’autochrome et le numérique en matière de monstration. Ces collections dématérialisées et ces films sont présentés dans une scénographie qui met en lumière la perception de leur volume et leur diversité à travers un mobilier et des dispositifs spécialement conçus pour en favoriser la manipulation et l’exploration. Le volume total, 72 000 autochromes, étant je le rappelle, le plus important au monde devant le National Geographic. Nous cherchons aussi à créer des séquences thématiques dynamiques à partir des questionnements à l’œuvre dans les collections par le biais de compositions audiovisuelles scénarisées, qui proposent différents récits que les visiteurs peuvent ainsi s’approprier et contextualiser.

L’exposition inaugurale : enjeux et perspectives

Stéphane Passet, 1930, Le retour de Costes et Bellonte après leur triomphal raid aérien Paris-New York-Le Bourget. Autochrome, 9×12 cm, A64877

Auguste Léon, 1914, Panorama des pyramides de Gizeh, Égypte. Autochrome, 9×12 cm, A3526

Elle présente un moment fondateur dans la création du projet d’inventaire visuel de la diversité mondiale que sont les Archives de la Planète, constituant le cœur des collections du musée. Ce voyage d’affaire réalisé par Albert Kahn entre 1908 et 1909 s’il n’est pas le premier, sa carrière de banquier étant bien lancée, est le premier où il est accompagné par un opérateur, en réalité son chauffeur, Albert Dutertre qui est formé à la prise de vue pour documenter de manière très précise l’ensemble des étapes du voyage. Il part avec 4000 plaques stéréoscopiques et revient avec ces témoignages visuels (plaques et films) et un journal de route de ce Voyage autour du monde qui constitue en quelque sorte la préfiguration du projet des Archives de la Planète. Au retour de ce voyage Albert Kahn fait la découverte des spectacles autochromes des Frères Lumières lors des projections organisées par Jules Gervais-Courtellemont à la Salle Charras qui influencent ses choix techniques et le recrutement du géographe Jean Brunhes comme directeur scientifique en 1912 favorisent le lancement et coup d’envoi de la constitution de cet incroyable projet de documentation visuelle. A partir de ce noyau historique, nous tirons des fils pour montrer des invariants, des constantes du monde contemporain autour de la question du voyage et de sa représentation du début du XXème jusqu’au XXIème siècle à travers un certain nombre de figures, clichés, thématiques qui résonnent encore aujourd’hui.

Roger Dumas, 1926-1927, Le mont Fuji vu des lacs, Yoshida, Japon. Autochrome, 9×12 cm, A56834

Bernard Plossu, Le pneu crevé, Mexique, 1966. Photographie argentique, Courtesy galerie Camera Obscura, Paris. © Galerie Camera Obscura

Comment est orchestrée votre programmation ?

Nous proposons d’une part un parcours permanent de visite qui est très riche et réparti sur l’ensemble du site : bâtiment principal de Kengo Kuma et bâtiments patrimoniaux réhabilités dont la Salle des plaques avec beaucoup d’images et éléments filmiques. Ce parcours que chacun vit à son rythme demande un certain temps pour être vu dans son intégralité. De plus nous engageons une programmation d’expositions temporaires ambitieuse avec chaque année, une grande exposition temporaire et une exposition dossier dans un format plus resserré.

De plus seront déclinées les grandes lignes des Archives de la Planète et du projet dans la Salle des plaques, l’auditorium, le centre de documentation et le jardin. A cela s’ajoute une programmation culturelle associée de visites, d’ateliers, de rencontres des publics pour aller vers plus de partage, de diversification et d’inclusion selon l’un des axes du projet à l’échelle du territoire et de toute la région parisienne.

Cyrille Robin, La Dame d’Égypte, 2015. Photographie argentique, Collection de l’artiste. © Cyrille Robin

Catherine Hyland, Série « Belvedere », Basílica de la Sagrada Família, Tobu World Square, Japan, 2014, photographie argentique, Collection de l’artiste. © Catherine Hyland

Quels sont vos partenaires prioritaires ?

En premier lieu, les partenaires du territoire : nous sommes un musée départemental et fonctionnons en réseau avec les autres acteurs de la culture, de l’éducation et aussi du tourisme des Hauts de Seine. Nous ne visons pas un tourisme de masse mais un tourisme plus « qualitatif » et travaillons dans ce sens par exemple avec Explore Paris, ou la Fondation Good Planet autour de visites sur mesure spécifiques et respectueuses de l’environnement.

En ce qui concerne nos partenaires institutionnels et dans une logique de proximité ce sont les Amis du Musée d’Albert Kahn, association très active et à travers eux, d’autres associations d’Amis des musées ainsi que les acteurs incontournables du monde de l’art et de la photographie tels que Art Paris ou Paris Photo. Nous développons aussi des partenariats de recherche avec le monde universitaire, comme le projet Cinemaf avec l’université de Nanterre et Paris 8.

INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition inaugurale
La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity
Exposition permanente
Musée départemental Albert Kahn
2 Rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt
Le musée est ouvert du mardi au dimanche
de 11h à 18h (d’octobre à mars)
de 11h à 19h (d’avril à septembre)
La réservation est fortement conseillée, en particulier le week-end.
Billetterie Musée Albert Kahn (hauts-de-seine.fr)

sam02avr(avr 2)11 h 00 mindim13nov(nov 13)19 h 00 minAutour du monde. La traversée des images, d’Albert Kahn à CuriosityMusée départemental Albert-Kahn, 2, rue du Port, 92100 Boulogne-Billancourt

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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