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Si l’écosystème Bruxellois est si dynamique c’est qu’il repose avant tout sur la place et le rôle joué par les collectionneurs. C’est toujours un privilège de les rencontrer. Bienvenue dans la joyeuse caverne de Galila, pour Galila Barzilai Hollander, collectionneuse compulsive qui se soigne à coups d’émerveillements et reste lucide sur son état. Découverte à l’occasion de cette formidable Art Brussels Week du premier accrochage de sa collection Overdose, dans le bel espace de P.O.C à quelques encablures du WIELS, Forest étant devenu l’un des repères incontournables avec l’installation de Clearing et de la Fondation A. J’avais eu un avant-goût de la collection avec Works on paper Galila’s collection à l’invitation de Barbara Cuglietta, directrice du Musée Juif de Bruxelles à l’occasion d’Art on paper.

vue exposition permanente OVERDOSE Galila’s P.O.C ©Galila’s P.O.C photo Diego Ravier

Alors qu’au départ l’œil est hyper sollicité par tout ce foisonnement, très vite des lignes de forces se dessinent autour de grands thèmes et questionnements : l’œil, la religion, les le recyclage et la réappropriation, les chaises, la pastèque, l’écriture.. dans l’ordre et le désordre comme nous le détaille Galila qui revendique un art ancré dans le quotidien avec pour unique guide la passion et l’intuition de l’humain. Elle aime découvrir de jeunes talents avec qui elle écrit une véritable histoire sous la forme d’un vrai engagement. Bienvenue dans son cabinet de curiosités, « une collection de collections » selon ses mots ! Une « salle de jeu pour adultes où les enfants sont autorisés » comme elle poursuit avec un humour proche de cette autodérision très belge. Les préjugés et faux semblants restent au vestiaire.

L’opportunité que représentait ce lieu à Forest et les partis prix architecturaux

Galila Barzilai Hollander ©Galila’s P.O.C photo : Mireille Roobaert

J’ai trouvé un architecte Bruno Corbisier pour rénover ce bâtiment industriel des années 50 avec suffisamment d’humilité pour se mettre à ma disposition et ne pas soigner son ego ! J’étais très consciente de ces enjeux et ai posé comme condition de départ que les artistes étaient au centre, ce qu’il a parfaitement intégré. L’idée de la mezzanine suspendue donne une légèreté sans murs ni colonnes. La cage d’escalier est une commande au designer Xavier Lust que j’ai connu à sa sortie de l’école et que je n’avais jamais oublié. A la fois très légère, elle offre des points de vue concaves et convexes audacieux. Il ne réalise pas d’escalier d’habitude mais au nom de notre engagement il a accepté de se livrer à l’exercice. Au 4ème étage le toit terrasse offre un point de vue sur la ville et a été investi également d’œuvres aux côtés de panneaux solaires.

Je pourrai très bien imaginer un jour vivre ici au milieu des œuvres.

Chaque personne qui rentre ici même si elle est complètement néophyte ou n’a pas de sensibilité particulière pour l’art peut sentir une forme de résonance, loin de toute forme d’intimidation. Que l’on aime ou pas, il se passe quelque chose.

Pour revenir au déclic et à la genèse de la collection

En réalité je n’ai pas commencé tôt dans mon parcours. Mon mari Jacques Hollander, est décédé en septembre 2004 à l’âge de 64 ans. Quelques mois après à l’occasion de son anniversaire j’ai décidé de partir à New York, seule ville où l’on ne peut pas se sentir seule. Toute la ville était couverte d’affiches pour l’Armory Show et avec une relative ignorance et naïveté, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’armures. Il convient de préciser que feu mon mari étant un grand amateur d’antiquités et d’art ancien, relativement allergique à l’art contemporain, je l’ai suivi dans cette obsession et n’avait aucune ouverture pour la création actuelle. Par relatif snobisme et esprit de curiosité pressentant l’importance de l’évènement, j’achète un billet et 20 mns plus tard j’acquiers ma première œuvre. Il s’agissait d’une encre sur papier de l’artiste Tom Fowler qui correspondait à mon état psychique. Il avait écrit le mot « Why ? » en 11.522 fois, comme un tunnel qui vous absorbe. Très vite en parcourant la foire je me suis sentie comme une femme à qui l’on retire un voile sur le visage. Autant je n’avais pas vibré pour les antiquités dont j’avais pourtant apprécié la qualité mais que je trouvais assez figées j’ai ressentis une forme d’excitation et de confiance en moi qui depuis ne m’a pas quittée. J’ai enfin compris la malédiction qui avait frappé mon mari ! Curieusement lorsque j’entends des collectionneurs qui se réfèrent à des conseillers, art advisors…pour démarrer face à leur hésitation, ils réagissent à une sorte d’insécurité et de peur. Je n’ai pas un budget illimité mais si je sens et que j’aime, cela me suffit comme critères. J’ai ressenti comme une libération de tout ce qui n’était pas moi. Une expérience assez extraordinaire car je pouvais recommencer une nouvelle vie. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une double vie. J’ai eu une expérience très touchante lors de la foire Arco à l’occasion de la remise du prix Collector Award par un jury de galeries du monde entier. A l’issue du discours que je devais prononcer autour d’une partie de mon histoire, de nombreuses femmes, seules ou veuves, sont venues me remercier de leur avoir redonné espoir. C’était très inattendu mais riche de sens dans ce qui avait vraiment touché le public.

vue exposition permanente OVERDOSE Galila’s P.O.C ©Galila’s P.O.C photo Diego Ravier

Comment est organisée la répartition des œuvres ?

Il y a plusieurs storages. De plus ma maison ressemble à un entrepôt, c’est pourquoi je ne peux y recevoir personne. Actuellement il y a une exposition de la collection en Israël. Je prête régulièrement des œuvres mais ne fais pas de promotion volontaire. Je trouve cela peu élégant de s’imposer.

Avez-vous des liens privilégiés avec certaines galeries ?

Non je n’ai pas de galerie exclusive ou préférée. Ce qui m’impressionne et m’émeut c’est que même lorsque je n’ai acheté qu’à une seule reprise dans une galerie il y a toujours eu un contact humain de sympathie et de proximité. Nous sommes sans doute sur une même longueur d’onde mais je ne sais pas à quoi cela s’explique. Je suis loin d’être mystique même si c’est assez impressionnant.

vue exposition permanente OVERDOSE Galila’s P.O.C ©Galila’s P.O.C photo Diego Ravier

Comment qualifier l’esprit de votre démarche ?

En trois lettres POC  (Passion Obsession Collection) ! Si je devais définir ma démarche : « Je vois sans regarder, je regarde sans voir. » Je ne fais pas vraiment l’effort d’analyse mentale et ne regrette jamais mes choix. C’est oui ou c’est non, c’est pourquoi je suis une bonne cliente pour les galeries ! L’humour est très présent mais à plusieurs degrés. On ne se prend pas au sérieux même si l’on est très sérieux en même temps. Il y a beaucoup de contradictions qui servent d’échanges dans un jeu de ping-pong très stimulant. C’est intéressant de constater que des artistes de différentes parties du monde créent autour de mêmes sujets sans se consulter mutuellement.

Comment archivez-vous et organisez-vous le suivi des artistes ?

J’ai constitué dans un autre lieu deux  bibliothèques accessibles aux étudiants en histoire de l’art , l’aspect éducatif et pédagogique étant essentiel à mes yeux. J’ai d’une part une bibliothèque avec l’ensemble des livres sur chaque artiste de la collection et d’autre part des livres sur l’art en général. De surplus, chacun de mes artistes a un dossier personnel avec l’ensemble des articles et actualités le concernant, également mis à disposition des étudiants.

vue exposition permanente OVERDOSE Galila’s P.O.C ©Galila’s P.O.C photo Diego Ravier

Passez-vous des commandes aux artistes ?

Je n’impose jamais à un artiste quelque chose mais souvent, dans une relation de confiance et respect mutuel, cela aboutit à des commandes spécifiques et parfois même « site specific ».

Un exemple : cette œuvre d’Alice Anderson elle a été conçue après la mort de mon mari , un travail de mémoire et d’archivage. J’aime découvrir les artistes à leurs débuts et sortie d’école et me dire avec le recul, que je ne me suis pas trompée.

En quoi la collection est-elle belge ?

En effet, elle a un côté très surréaliste et belge alors que je ne suis pas belge d’origine mais sans doute dans une autre vie… J’ai été adoptée par Bruxelles où je suis arrivée à l’âge de 20 ans.

Le belge développe une sorte de sous-estimation, est-ce une forme de fausse modestie ou de complexe ? Cela a un côté très positif en fait car on va plus en profondeur et le collectionneur belge est très professionnel et impliqué intellectuellement, alors que je ne rentre pas vraiment dans cette approche car je suis avant tout mes intuitions.

Quel est votre rapport à la collection ?

Mon rapport à la collection ne passe pas par l’intellect que je développe dans d’autres domaines. J’ai besoin d’oxygène, de fantaisie, de lâcher prise. Je suis comme un enfant qui entre dans un magasin de jouet à qui l’on dit de choisir ce qu’il veut. Mon fantasme serait d’avoir un sponsor qui me dirait tu prends tout ce que tu aimes, le budget n’est pas un problème même s’il est certain que quand je me retourne je me demande comment j’ai pu accomplir tout cela ! y compris sur le plan financier. C’est comme un miracle, ma nouvelle théorie étant que je vais mourir avec des dettes, l’argent m’étant nécessaire tout de suite comme je le répète à mon banquier. Un discours assez farfelu tout en restant respectueuse de mes devoirs.

En termes de transmission, la fondation est-elle quelque chose d’envisageable ?

Je suis en train d’y réfléchir. J’avoue que je n’ai plus 20 ans et je reste très lucide sur l’après et mes responsabilités. La question de la finalité est importante même si je me trouve face à une collection relativement jeune. Le challenge qui se pose à moi est de vivre jusqu’à 100 ans et l’on pourra dire alors si j’ai été ou pas la Peggy Guggenheim belge ! On aura le recul nécessaire. Même si je réalise à la faveur des réactions de tous les visiteurs qui sortent d’ici que la collection est utile, sur un plan académique de l’histoire de l’art je n’ai pas les éléments pour juger du devenir de ces artistes. En tous cas aujourd’hui ils laissent une trace dans le cœur des gens. Est-ce important ou non ? Mon ego est-il suffisamment développé pour réaliser que je vais laisser une trace de moi ? et en ai-je vraiment envie ? Tout cela a-t-il un sens si l’on regarde la marche de l’univers ? Autant de questions métaphysiques, philosophiques, existentielles… qui m’habitent.

En réalité il y a une autre alternative que la fondation à laquelle je pense. A mes quatre-vingt quinze ans, j’organiserai une grande vente publique dans laquelle je jouerai le rôle de la maman, « mes enfants ont grandi, je peux m’en séparer et les laisser partir vers d’autres familles d’accueil aimantes autant que moi. Bref, plusieurs pistes restent à l’étude.

PASSION- OBSESSION- COLLECTION

INFORMATIONS PRATIQUES
OVERDOSE, l’exposition permanante de Galila’s P.O.C
295 Avenue Van Volxem, Bruxelles
Visites guidées
Inscription sur rendez-vous
https://galilaspoc.com

Organiser votre venue :
visit.brussels | Visit Brussels
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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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