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Le festival ManifestO à Toulouse a sué sang et eau pour cette vingtième édition anniversaire. Ce qui devait être une célébration s’est transformée en édition résistante qui marque la fin d’une aventure. Depuis plusieurs années, la place Saint-Pierre réunit une vingtaine de containers qui se transforment, le temps de la manifestation, en mini galerie. En juin, ces containers devenus emblèmes de ManifestO, ne peuvent être livrés et le lieu d’accueil de la rétrospective des 20 ans annule à la dernière minute. Autant de mauvaises surprises qui ont mis à rude épreuve l’équipe des bénévoles ManifestO. Cette dernière édition sera définitivement celle de la résistance !
Rencontre avec Jacques Sierpinski, Directeur artistique de la manifestation.

Portrait de Jacques Sierpinski

9 Lives magazine : Peux-tu nous présenter cette 20ème édition ?

Jacques Sierpinski : Pour cette édition anniversaire, nous avions envie de changer un peu le format. Habituellement, nous convoquons un invité d’honneur, mais cette année, nous réunissons une sélection d’anciens lauréats de ManifestO. Ils sont 330, nous les avons sollicités pour qu’ils envoient des dossiers afin que nous réalisions une sélection. Sur une centaine de projets reçus, nous en avons sélectionné 20 pour établir le programme des expositions 2022 sur la place Saint-Pierre. Dix autres lauréats sont également présentés sous forme de projections, lors des soirées d’inauguration et de clôture. Nous étions très intéressés de pouvoir présenter l’évolution de certains lauréats. Nous gardons une étroite collaboration avec la plupart des photographes que l’on expose. Nous étions heureux de voir que les photographes de la première heure pouvaient être présents aujourd’hui. Comme par exemple Jean-Jacques Ader qui était présent dès les premières éditions ! Il y a d’autres photographes que nous avons exposés depuis peu et que l’on présente à nouveau, c’est le cas de Camille Gharbi, son travail sur les violences conjugales est véritablement essentiel. En 2019, nous présentions le premier volet intitulé « Preuves d’amour« , que nous complétons aujourd’hui avec « Les Monstres n’existent pas« .

Toufik, Les monstres n’existent pas © Camille Gharbi

9 Lives magazine : Une édition anniversaire difficile à mettre en place ?

J. S. : Fort de notre expérience, nous pensions organiser cette édition « les doigts dans le nez ». On avait une bonne expertise, à la fois de l’installation et de l’ensemble de l’organisation. Et en juin, notre fournisseur de containers nous informe qu’il ne peut pas nous livrer. Une bonne partie étant bloquée en Chine à cause de la crise sanitaire et une autre partie mobilisée pour le fret avec l’Ukraine. Donc pas de container, pas d’édition ! Le Directeur, Jean-François Daviaud, qui était en charge de ce point, à réussi à trouver trois fournisseurs différents pour obtenir le nombre de containers nécessaires. Cela a bien entendu provoqué de nombreux problèmes. Nous avions notamment moins de liberté d’utilisation, l’impossibilité de les modifier ou de les peindre. Nous en avons pu en peindre certain car ils étaient livrés abimés, donc nous avons pu négocier.
Après, dans les gros soucis, car nous en avons eu bien d’autres, c’est la Fondation Ecureuil pour l’Art Contemporain située sur la place du Capitole a décidé d’arrêter ses activités au début d’année 2023. Nous avions un accord verbal avec la directrice pour faire une exposition rétrospective des 20 ans. Une exposition qui était entièrement produite et prête à être installée. Nous avons appris la nouvelle en juillet, la directrice nous annonce qu’elle ne peut pas nous confier le lieu car en prévision de l’arrêt de ses activités, elle passe en priorité des expositions d’artistes avec lesquels elle s’était engagée et qui étaient rémunérés. Notre accord verbal ne tenait plus. Toute la communication était faite, l’exposition produite… J’ai cependant réussi à négocier pour que l’exposition ait tout de même lieu, le temps d’un vernissage pour une exposition éphémère. Il a fallu trouver des solutions techniques efficaces pour mener à bien ce projet.

9 Lives magazine : Vous avez annoncé qu’il s’agissait de la dernière édition, à quel moment avez-vous décidé d’arrêter ManifestO sous la forme de festival ?

J. S. : C’est une décision qui a été murie. Nous en parlions depuis quelques temps. Cela fait quelques années que nous sommes Place Saint-Pierre, le lieu est très beau, tout fonctionne bien, mais on avait envie d’essayer d’autres choses et de nous renouveler. Comme on l’a toujours fait à ManifestO. Et ici, sur cette place, le format est relativement fermé, on ne peut ni s’agrandir ni proposer autre chose. Alors la possibilité de faire d’autres choses, sous des formes différentes nous motivait !
On va essayer de faire des expositions plus étalées sur le territoire et dans le temps. Mais nous ne souhaitons plus organiser de gros événement comme le festival, car nous sommes une petite équipe, nous sommes 8 et c’est particulièrement lourd à porter, malgré un gros soutien des bénévoles.

Exposition de Jean-Christophe Godet, ManifestO 2022 © 9 Lives Magazine

9 Lives magazine : La singularité ManifestO.

J. S. : Ce qui caractérise le festival par rapport aux autres manifestations photo en France, c’est qu’on a dès le départ souhaité montrer la diversité de la photographie dans ses multiples écritures, qu’elles soient contemporaines ou même photojournalistiques… On peut faire se côtoyer des sujets de photojournalisme purs aux côtés de photographie plasticienne, en passant par du documentaire. Par exemple, dans les invités d’honneur, nous avons reçu Michel vanden Eeckhoudt et Alain Fleisher, qui ont des parcours et de profils très différents. L’intérêt était de montrer dans l’espace public la diversité des regards photographiques et sortir des conventions photographiques qui inondent l’espace public.
Les containers, c’était une super idée, car ce sont de petits espaces, des petites galeries qui permettent de passer d’un univers à un autre. Je pense qu’ainsi, tout le monde peut trouver son compte à ManifestO, il y a toujours une exposition qui pourra intéresser les visiteurs et ce grâce à sa diversité.
On le voit chaque jour, les containers sont remplis la journée, et ce ne sont pas forcément des gens qui entrent dans les galeries ou dans les musées. Le pari est gagné.

© Michel Le Belhomme / Galerie Binome

9 Lives magazine : Cette singularité vous souhaitez la garder pour les nouveaux projets ?

J. S. : Oui, évidemment ! Maintenant, la difficulté va être de trouver les lieux adéquats pour que les publics puissent continuer à visiter les expositions que nous organisons. Il va également falloir que nos soutiens financiers nous suivent dans les nouveaux projets. Audrey Mompo, en charge de la médiation culturelle, a monté une structure qui fonctionne très bien, c’est l’éducation à l’image pour les scolaires, ce sont plus de 2500 élèves que l’on reçoit, de la maternelle jusqu’au lycée ! Et c’est important pour nous de pouvoir conserver ce type de médiation et de le pérenniser.
On va essayer d’avoir un lieu permanent ManifestO, un lieu d’accueil pour les scolaires et un lieu d’exposition. Je ne peux pas trop en parler. Comme chaque année, à la fin du festival, on va se réunir et on va commencer à réfléchir et à poser les bases de ce que sera le nouveau ManifestO.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven09sepsam01octFestival ManifestO 2022 OrganisateurManifestO

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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