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La réouverture du Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA) après un chantier de rénovation et d’agrandissement de 11 ans est un évènement et bien au-delà de la Flandre. Pour les amateurs de Rubens et d’Ensor, ensembles majeurs et fleurons de la collection réunissant 8400 objets, dont 650 exposés, 40% d’espace supplémentaire a pu être obtenu grâce à la solution préconisée par le cabinet KAAN Architecten. « Un nouvel ADN » comme le résume Carmen Willems, directrice du musée qui se félicite de cette orchestration subtile entre maitres anciens et artistes modernes, deux univers au sein d’un même bâtiment à travers des salles où dominent lumière et verticalité.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Les nouvelles salles sont placées sous le régime du blanc, tandis que les œuvres plus fragiles (dessins, estampes) bénéficient d’une lumière plus tamisée et modulable provenant du toit dans une atmosphère d’un bleu nuit profond. Un impressionnant escalier baptisé stairway to heaven relie ces nouvelles salles entre le 1er et 2ème étage. Le concept général de favoriser une perspective ininterrompue à travers les siècles et les pièces est une réussite autour d’une vision curatoriale très audacieuse avec des surprises offertes aux visiteurs telles que les 10 interventions de Christophe Coppens (La Monnaie, Bruxelles) ou le programme de performances des artistes en résidence. Un dialogue noué avec l’art contemporain qui se joue à travers les prêts consentis par le Musée Boijmans Van Beuningen, actuellement fermé pour rénovation, et par le biais de certaines galeries d’envergure autour d’artistes emblématiques tels que : Bill Viola, Luc Tuymans, Marlene Dumas ou Berlinde De Bruyckere mais aussi Salvador Dali ou Oscar Kokoschka, comme le souligne Adriaan Gonnissen, curator modern art et conservator moderne kunst. « Les musées se doivent de tester des tensions et de (re)positionner continuellement des icônes » déclare-t-il face à la confrontation sans concession de la Madone de Fouquet avec le regard frontal, vide et quasi indifférent de la malade de Luc Tuymans. Une vision forte et iconoclaste qui m’a conduit à en savoir plus sur ses choix et engagements pour un musée qui a toujours été pionnier. En termes de programmation l’année 2024 sera l’Année Ensor avec une grande rétrospective puis en 2025 Adriaan Gonnissen proposera un regard inédit sur le cercle cubiste de La Section d’Or (groupe de Puteaux) et la seule figure féminine du groupe, Marthe Donas, très peu connue. Il a répondu à mes questions.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Adriaan Gonnissen est historien et historien de l’art. Il est conservateur de l’art moderne au Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers. Il est collaborateur scientifique volontaire à l’université de Louvain. Dans le passé, il a été conservateur au Mu.ZEE, à Ostende, et a produit des expositions telles que : Cinema Joostens, Jules Schmalzigaug et le livre de recettes du futurisme, Modernismes transatlantiques. Belgique-Argentine 1910-1958. Il est co-éditeur du livre Frans Masereel and contemporary art : resistance in images. Au KMSKA, il poursuit sa série d’expositions sur le modernisme belge dans une perspective internationale et interrégionale.

Les ambitions du nouveau musée en regard de la place de James Ensor

Si nous sommes plus connus pour nos Maîtres Anciens à travers Rubens dont nous possédons 27 tableaux et 600 gravures, l’un des objectifs du nouveau KMSKA était de déplacer le curseur sur James Ensor, autre icône des collections et artiste pivot du siècle. Nous pouvons à présent nous concentrer sur 2 icônes, d’une part Rubens dans l’ancien bâtiment et Ensor, dont l’importance en Belgique est immense. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur la plus grande collection au monde. Si Rubens et son Atelier seront célébrés en 2023, l’année 2024 marquant les 75 ans de l’anniversaire de la mort d’Ensor, nous proposerons une grande exposition totalement inédite.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Quels seront les contours de l’exposition Ensor ?

S’il y a déjà eu de nombreuses initiatives autour du maître d’Ostende, l’idée sera de placer Ensor dans son contexte et une perspective tout à fait nouvelle autour des grands artistes de la modernité européenne (Monet, Manet, Munch..) afin d’aller contre l’idée reçue d’une figure isolée sans aucune connexion extérieure. Au contraire, Ensor à travers le groupe d’avant-garde bruxellois des Vingt,  était très en phase avec les différentes expérimentations de l’époque, l’impressionnisme, le symbolisme… Le titre de l’exposition sera « In your wildest dreams  – Ensor Beyond Impressionism,» en lien avec les débats littéraires et psychanalytiques en cours autour d’auteurs, penseurs comme Badelaire ou Nietzsche, Ensor apparaissant comme une sorte de symboliste maudit, fasciné par le grotesque de l’âme humaine à travers les masques notamment. Un vent de folie et de liberté après des années d’emprise de l’église.

Quelle est la réparation entre les artistes anciens et les modernes au sein de la collection ?

En termes de quantité l’art moderne est le plus présent puisque l’on a l’habitude de compter les dessins et œuvres préparatoires, beaucoup moins nombreux pour l’art ancien.

Comment s’explique la place de l’Avant-garde ?

Nous avons un ensemble magnifique du groupe ZERO qui s’explique par le mouvement anversois G58 en contre-point à l’Exposition Universelle de Bruxelles et en réaction contre la prédominance de la capitale belge. Les amitiés constituées entre Otto Piene, Walter Leblanc, Pol Bury, Jef Verheyen.. ont permis la constitution de cette partie de la collection qui représente la dernière partie des Avant-garde que nous possédions. La collection s’arrête autour des années 1960-65.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Dialogues avec l’art contemporain : quels partis pris ?

Les artistes contemporains sont présentés en dialogue constant avec les Maitres Anciens. En ce qui concerne Luc Tuymans qui est fasciné par la Renaissance et la peinture du siècle d’or flamand, il aurait été surprenant qu’il ne fasse pas partie de ce parcours. Le musée ne pouvait rouvrir sans lui ! De plus il s’est montré très généreux en offrant l’une des toiles. Pour Marlène Dumas cela a donné lieu à un échange entre l’artiste et la galerie car si l’emplacement était prestigieux à côté de la Madone du musée, l’artiste devait y trouver et donner un vrai sens.

Je suis fier et heureux que Berlinde De Bruyckere ait accepté cette confrontation, le Baroque flamand et la passion étant au cœur de son inspiration.

Dans le cas de Bill Viola il s’agit d’un prêt de 8 chefs d’œuvres du Musée Bojimans sur une durée de 5 ans au même titre que Jean-Michel Basquiat ou Salvador Dali.

S’il y a de nombreuses critiques autour des rapprochements et dialogues entre art contemporain et ancien et même si j’aimerais me consacrer entièrement à un parcours chronologique ou classique, cela ne correspond pas aux attentes d’un public plus jeune. Nous voulons amener le visiteur au plus près du processus créatif des artistes.

De plus, je connais beaucoup d’artistes contemporains qui travaillent avec des mediums classiques comme la peinture ou la sculpture qui me confient manquer de visibilité, l’accent étant souvent le plus mis sur l’installation ou la vidéo. Cela rejoint notre volonté d’introduire de l’art contemporain le plus possible dans le musée spécialement autour de dialogues subtils et pertinents.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Quelle est votre position à propos des restitutions des objets d’art ?

J’ai la certitude que ce sujet n’est pas près de s’arrêter. Ma position est que si l’on a la certitude que ces objets sont liés à des pillages ou moyens d’acquisition illégaux, il est naturel de les retourner à leurs pays d’origine. En ce qui concerne le musée nous avons fait des recherches et au jour d’aujourd’hui, aucun de nos objets ne rentre dans cette catégorie. De plus notre collection concerne de l’art belge et non primitif ou extra-européen.

Le choix des thèmes du parcours : formes et couleurs

C’est volontairement que nous avons retenu un spectre très large afin de pouvoir régulièrement changer et renouveler l’accrochage plutôt que de se concentrer uniquement sur nos chefs d’œuvre au risque de se voir concurrencer par d’autres musées.

La place du multimédia

Elle se justifie de plus en plus dans une visée pédagogique et en tant que chercheur à l’université je remarque que c’est ce dont les étudiants ont vraiment besoin.

KMSKA Royal Museum of Fine Arts Antwerp, Belgium Koninkijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen © Karin Borghouts

Les expositions temporaires

Les espaces COSMORAMA et THE MAKING OF avec les photographies de Karin Borghouts seront uniquement dédiés aux expositions contemporaines. Cela rejoignait l’une de nos préoccupations de départ avec les architectes afin de ne pas avoir à bouleverser complètement l’accrochage de la collection dès que l’on voulait proposer une exposition temporaire. Nous souhaitons que les œuvres de James Ensor ou de Rik Wouters soient tout le temps visibles.

COSMORAMA : les enjeux politiques de l’exposition

L’exposition de Ives Maes porte un regard sur les expositions universelles, ce qui fait sens ici si l’on regarde le passé d’Anvers. Pendant la période coloniale il y avait autour du musée un village construit avec un zoo humain au sein du Pavillon du Congo. Des gens sont morts et au nom de leur mémoire et de la prise de conscience générale autour de ces sujets, nous nous devons d’être impliqués même si le KMSKA n’a pris aucune initiative directe dans cette vaste entreprise de spoliation selon les recherches récentes que nous avons réalisées.

La Section d’Or : le projet

En 2025 je propose une importante rétrospective autour de Marthe Donas, Alexander Archipenko et  la Section d’Or, cercle cubiste qui compte parmi ses membres des noms célèbres comme Albert Gleizes, Marcel Duchamp, Francis Picabia et l’unique femme  du groupe, Marthe, née à Anvers en 1885. Une personnalité très forte, qui a eu un rôle très important au sein du groupe mais qui reste peu connue puisqu’elle peignait sous un pseudonyme masculin Tour Donas. Elle fait partie de ces redécouvertes et réévaluations actuelles indispensables. De plus, de nombreux artistes de la Section d’Or étaient ukrainiens comme Archipenko. Un enjeu également de taille. Si nous obtenons la totalité de nos prêts, l’exposition sera une réussite.

INFORMATIONS PRATIQUES :
Musée Royal des Beaux-Arts d’Anvers (KMSKA)
Leopold de Waelplaats 2
2000 Antwerpen, Belgique
https://kmska.be/fr
Heures d’ouverture
Du lundi au vendredi : 10h/17h, nocturne le jeudi 22h
Samedi-dimanche 10h/18h
Tarifs : 20/10 € (moins de 26 ans)
Réservez votre visite
https://tickets.kmska.be/

Le parcours se poursuit à la Maison Rubens, qui va faire l’objet d’un important projet d’extension entre 2023 et 2027. Les architectes Robbrecht et Daem portés par une vision d’avenir, imaginent un centre interactif, un café, une salle de lecture et la riche bibliothèque du Rubenianum, tout en respectant l’axe visuel du Portique et de la gloriette dans la tradition des palais italiens. Le futur jardin sera un axe central entre passé et présent comme une salle de musée à ciel ouvert. Sur les conseils du célèbre styliste Dries Van Noten des couleurs seront présentes à chaque saison et d’importantes plantations sont prévues. Le choix des plantes est directement inspiré par l’époque  Rubens, contribuant à un écosystème renouvelé en plein cœur de la ville.

RUBENSHUIS, ouverture jusqu’au 9 janvier 2023
Wapper 9-11
2000 Antwerpen
https://rubenshuis.be/fr

Rubens, ce sont aussi les églises au Gothique triomphant à commencer par la Cathédrale Notre-Dame avec 4 oeuvres majeures du maître. Circuit spécial Cinq églises historiques proposé par Visit Antwerpen, entre 2 gauffres et boutiques de créateurs !
Monumentale Kerken Antwerpen : MKA: Églises Monumentales d’Anvers (mkantwerpen.be)

Gastronomie : recommandations
Renaissance est un élégant restaurant italien situé à l’angle du bâtiment Modenatie, qui abrite également le musée de la mode MoMu et le département de la mode de l’Académie royale des beaux-arts.
Nationalestraat 32
2000 Antwerpen

Organiser votre venue :
https://www.visitantwerpen.be/
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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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