Temps de lecture estimé : 4mins

C’est le photographe britannique, Matt Wilson qui investit pour la dernière fois l’Espace Photographique du Leica Store Paris de la rue du Faubourg Saint-Honoré avant son déménagement au Village Royal début avril 2023. Une fermeture en beauté avec cette exposition qui réunit une sélection d’images issues des séries « This placed called home » et « Hinterland » scénographiée par Sandrine Calard. Vous avez jusqu’au 31 mars prochain pour vous plongez dans l’univers poétique et mélancolique de ce véritable maitre de l’argentique couleur !

© Matt Wilson

Tennessee © Matt Wilson

A l’instar des carnets de voyages de Bruce Chatwin dont les écrits ont livré une vision incroyablement sensible et humaniste d’une Australie aujourd’hui à jamais perdue, l’errance photographique de Matt Wilson, autre globe-trotter anglo-saxon, produit d’ineffables images des différents pays qu’il parcourt selon humeur et rencontres. Peu nombreuses, mais si particulières, ces photographies modestes, presque anodines par leur sujet, sont données à voir, à l’encontre des tendances de la photographie contemporaine, dans de si petites dimensions qu’elles obligent à l’arrêt pour en scruter les détails.

Elles semblent souvent quelque peu endommagées, comme corrodées, du fait des pellicules hors d’usage que l’artiste utilise. Le résultat visuel est opalescent : le grain très présent et la lumière décadente provoquent des zones d’ombres intimistes dans les scènes nocturnes ou offrent un rendu charbonneux et embrumé dans les paysages diurnes. Cette technique de prise de vue « aléatoire » intégrant l’accidentel du film à la vision photographique fonde le singulier langage de Matt Wilson. Cela finit par troubler la vue et provoquer une bascule poétique. Au fur et à mesure, cette trame visuelle structure l’ensemble en une écriture incidemment narrative, révélant des contrées fictionnelles à la limite du rêve éveillé.

Lamb and the falcon © Matt Wilson

Arizona © Matt Wilson

Les scènes capturées par Matt Wilson se placent en dehors d’une époque précise. Parfois elles évoquent un paysage breughélien ou une description romantique telles seraient celles issues d’une page de littérature anglaise du XIXème. Autant de situations quasiment irréelles qui ne sont pas sans rappeler l’atmosphère des films américains des années soixante. A l’évidence, Matt Wilson ne souhaite pas tant rendre compte de la réalité que d’un instant tel qu’il l’a rêvé ou ressenti, plutôt que vu ou traversé. Une sorte d’inframince photographique surgit ainsi d’un infime espace-temps.

Il a photographié, d’abord un peu partout en Europe, à commencer par son pays natal, l’Angleterre, mais aussi en France, pays avec lequel il a ses affinités, sans omettre les pays de l’Est où il retourne fréquemment entre deux séjours à Cuba. Plus récemment, il a fini par désirer parcourir un vaste continent : les états- Unis où il habite depuis une dizaine d’années.

El Paso © Matt Wilson

© Matt Wilson

Randolph © Matt Wilson

Il aurait pu craindre de toucher à ce territoire-là, tant les photographes américains s’en sont magnifiquement chargés, mais là encore, son étonnante vision délivre des instantanés de paysages et d’hommes brûlés par un soleil brutal qui finit malgré tout, par se coucher sur cette rude contrée. La lumière est si blanche ou, au contraire, si ténue que la perception aquarelliste de ces scènes impressionnées en deçà des capacités chromatiques du medium photographique est trompeuse. Nous pourrions qualifier ce travail de « métaphore picturale » et même de dérive pictorialiste si les personnages n’étaient pas si ancrés dans leur époque et dans leur quotidien.

Car si Matt Wilson livre ce qu’il voit selon un prisme poétique, il rend compte de la société contemporaine à travers des sujets souvent crus, parfois même indigents, traités toutefois sans tragique ni misérabilisme. Son regard est attentif et bienveillant, sous-tendu par une discrète mélancolie humaniste mais coloré d’une légèreté tragi-comique à l’anglaise. Il peut s’inscrire dans la tradition « humaniste » car il capture souvent un « instant photographique » si cher à Cartier-Bresson. Mais Wilson n’est pas reporter, il détourne le sens du réel au profit d’une charge émotionnelle et esthétique telle qu’elle parvient à émouvoir au plus profond.

– Christine Ollier

INFORMATIONS PRATIQUES

jeu19jan(jan 19)10 h 00 minven31mar(mar 31)19 h 00 minMatt WilsonThis Place Called HomeEspace Photographique du Leica Store, 105 - 109 rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans Evénements