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La librairie avec Claire, une des actionnaires

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe et le fondateur des éditions Images Plurielles, Abed Abidat, nous présente la librairie marseillaise L’Hydre aux Mille Têtes à travers la rencontre de sa fondatrice, Mathilde. En mai prochain, la librairie soufflera ses cinq bougies, on peut y découvrir au milieu d’une sélection d’ouvrages autour des sciences humaines, un rayon dédié au médium photographique ! Une attention toute particulière est également donnée aux auteures qui ne sont pas assez représentées dans le champ de la littérature.

À Marseille, à deux pas d’Images Plurielles, il y a la place Jean Jaurès et le fameux quartier de La Plaine. C’est là, à l’angle des rues St-Savournin et du Loisir,  que se tient la librairie L’Hydre aux Mille Têtes, qui fêtera au mois de mai prochain ses 5 ans. En amont des préparatifs, Mathilde, une des fondatrices de la librairie, revient sur son projet qui, à l’origine, devait être un centre culturel avec une librairie intégrée. C’est aujourd’hui une librairie, lieu d’ouverture et d’accueil, qui propose des activités culturelles. Tout n’est question que de dosage !

Une ancienne charcuterie convertie en librairie
« Je m’appelle Mathilde et j’ai fondé avec Lucas l’Hydre aux Mille Têtes en 2018 dans le quartier de la Plaine à Marseille. Lucas et moi avons travaillé pendant plusieurs années à Terra Nova, une très chouette librairie toulousaine où l’on avait une marge de manœuvre importante. Mais ce n’était pas notre librairie. On ne pouvait pas la transformer comme on voulait. C’est pourquoi on a pensé à créer notre propre enseigne. 0n avait envie de bouger de Toulouse. Marseille nous attirait. On y avait séjourné quelques temps. On a donc cherché un endroit où il y aurait de la place pour créer une librairie à notre image avec un grand espace où les gens pourraient se rencontrer et mener des activités ensemble. Nous souhaitions aussi une implantation dans un quartier très vivant avec une mixité forte. Trouver cet ancien laboratoire d’analyses médicales, qui fut charcuterie par le passé, à la Plaine qui plus est, fut une aubaine, même si il ne nous permettait pas de développer tout notre projet. On a recentré le projet sur sa partie librairie, tout en concrétisant tout de même l’idée du lieu d’exposition, de l’espace café, d’un espace commun mis à disposition pour des associations ou utilisé une a deux fois par semaine pour des rencontres avec des auteurs que nous organisons chez nous. Cerise sur le gâteau, notre lieu dispose d’un patio. »

Pourquoi ce nom, l’Hydre aux 1000 têtes ?
« Nous avons choisi ce nom en se référant au livre écrit par deux historiens anglais et américain Marcus Rediker et Peter Linebaugh. Le titre précis est l’Hydre aux Mille Têtes, l’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire. Ce livre retrace l’histoire des débuts du capitalisme et des résistances qui sont nés dès le début de cette exploitation, en s’appuyant sur la figure mythologique de l’Hydre aux Mille Têtes. Une figure qui était utilisé dans les deux camps puisqu’on parlait selon les époques aussi bien de l’hydre capitaliste que de l’hydre révolutionnaire. Les dominants l‘utilisait pour désigner la populace rebelle qu’on n’arrivait pas à mater puisque pour chaque tête coupée, en repoussaient deux. C’est cette idée d’une multitude de résistance qui nous a mené à utiliser ce nom.»

Ne pas empiéter sur le terrain des autres
« Au départ on voulait que ce soit une librairie de quartier, une librairie avec un fond de rotation lente, pas nécessairement des livres commerciaux et on pensait que ce type de lieu avait sa place dans une ville comme Marseille. On a un peu étudié le secteur pour ne pas empiéter sur le terrain des autres, pour proposer une offre différente, d’autant que deux librairies venaient de fermer mais notre projet étant plus large, plus généraliste, on s’est lancé. On a par exemple, un rayon théâtre qui est vraiment tout petit et très classique parce qu’à côté il existe une librairie qui a, elle, un rayon complet sur le domaine du spectacle vivant. Ils étaient déjà là, implantés, c’était à nous de nous adapter.»

Une ligne éditoriale claire mais ouverte
« Inéluctablement, la librairie a une ligne éditoriale, un parti-pris Sciences Humaines, mais on ne souhaite pas que ce rayon prenne le pas sur la littérature généraliste. Il est important que tout le monde au sein de l’équipe soit capable de pouvoir parler de n’importe quel rayon ou spécificité des livres. Nous portons aussi une attention particulière aux auteures qui ne sont pas assez représentées dans le champ de la littérature. À l’inverse, on refuse de mettre en avant un livre écrit par un politicien, quelque soit le parti politique, préférant pousser des livres en faveur de l’émancipation. C’est notre crédo, l’émancipation.»

Un choix de beaux livres accessibles
« De fait, la place des beaux livres est assez restreinte. En revanche, nous avons veillé — Lucas en particulier dont c’était un des axes de travail — à ce que notre sélection soit accessible financièrement parlant au public du quartier. Nous sommes par goût personnel plus orienté photo ou cinéma que peinture. Je suis très sensible à l’art photographique et me laisse facilement emporter lorsque je vois des très beaux projets. »



Le monde de l’édition indépendante

« La défense de l’édition indépendante et de la petite édition est pour nous un choix important et même politique. On met en avant ces maisons d’éditions lorsqu’elles proposent des projets de qualité. On a beaucoup de contacts directs avec eux, le rapport humain est très important pour nous. On prend le temps de discuter, d’échanger. »

Un public à l’image du quartier
« C’est très dur à appréhender ou à cerner sauf si on décide de faire une enquête spécifique. Mais ce dont on est sûr c’est qu’on à un public de quartier, un public qui à l’image du Camas (un des quartiers du Quartier), évolue : plus universitaire et plus aisé. Notre clientèle est très variée : des personnes habituées aux livres de poche à dix euros comme d’autres qui achètent pour 100 €. Du fait de notre jeunesse, il y a encore beaucoup de personnes qui ne nous découvrent que maintenant. Ils viennent par hasard ou grâce aux rencontres que l’on propose. De fait, la librairie répond à une demande. Elle marche plutôt bien, économiquement parlant. Si on avait imaginé les évolutions du quartier, la gentrification, on avait peut-être pas prévu qu’il deviendrait un des principaux spots du tourisme Airbnb.»

Le choix de la coopérative
« Le fonctionnement de la librairie est une scop (société coopérative de production). Il est le principe de la coopérative. C’est comme une entreprise, à un certain niveau, mais à partir du moment où tu as une part, la voix est aussi importante que l’autre qui peut en avoir plus. Il suffit d’avoir une part et c’est vraiment toi qui décide de comment le travail s’organise. Toutes les salariées sont membres de la scop. On organise tout ensemble, le planning, la répartition des tâches. Je n’ai pas plus de pouvoir que ça. Il y a quatre personnes qui travaillent dans la librairie à temps partiel, cela suffit pour assurer le fonctionnement de la librairie. Il suffit qu’on soit deux par jour. Maintenant je suis à mi-temps pour seulement deux jours de présence par semaine. Et à priori la librairie tourne bien.»

L’esprit d’ouverture
« Notre librairie est une librairie qui est vraiment ouverte au public, les gens peuvent venir travailler dans la salle du fond. Pour l’instant on ne sert pas le café car le temps ne nous le permet pas mais on a crée une association qui s’intitule les Mille Têtes de l’Hydre afin de permettre une gestion collective de cet espace.»

5 ans déjà !
Le 13 mai 2023, on fêtera les cinq ans de la librairie et on vous y attend toutes et tous.

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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