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Dans un Palais de Tokyo entièrement reconfiguré pour répondre aux défis climatiques, la nouvelle saison de Guillaume Désanges s’inscrit dans sa vision d’une « permaculture institutionnelle » comme il nous le précisait à l’occasion de l’ultime exposition de son cycle pour la Verrière, Fondation Hermès à Bruxelles (relire). Cette écologie des pratiques irrigue les différentes expositions et notamment celle du duo mountaincutters rencontré par l’intermédiaire de Guillaume Désanges à la Verrière en 2021 (lien vers interview) et à Art-O-Rama Marseille la même année en tant que lauréats du prix Région Sud.

Leur proposition d’une grande cohérence reflète leur pratique du faire et de l’attention autour de corps invisibilisés, fragilisés ou défaillants, de rapports de force sous-jacents, de la conductibilité de l’énergie et de généalogies souterraines.

Marion et Quentin, qui viennent d’intégrer la prestigieuse galerie d’Olivier Meessen à Bruxelles, ont répondu à mes questions.

Vue de l’exposition mountaincutters Morphologies souterraines Palais de Tokyo, photo Aurélien Mole

Choix du titre « Morphologies souterraines »

Nous avions envie de convoquer à la fois la notion de corps, d’architecture et de minéralité, le souterrain induisant la géologie, ce qui se passe sous nos pieds, loin du regard.

Cela renvoie ainsi à la saison de Guillaume Désanges où l’on vient chercher de la fraîcheur dans les sous-sols du lieu, et s’adapter aux nouveaux enjeux climatiques. Il s’agit également de travailler à partir de ce qui est visible et de ce qui ne l’est pas, à la multiplicité des corps, à leurs fragilités et leurs défaillances. C’est aussi l’idée de considérer le Palais de Tokyo comme étant à la fois un lieu en sous-sol et une morphologie précaire. Cela rentre en résonance avec la notion forgée par Tim Ingold d’ « organisme-environnement ». L’emploi du pluriel est important car cela induit la multiplicité des espaces et des corps potentiels.

Vue de l’exposition mountaincutters Morphologies souterraines Palais de Tokyo, photo Aurélien Mole

L’invitation de Guillaume Désanges

Il nous a invité dans ces espaces précis pour leur qualité brute, décharnée et transitoire (tarmac) en mettant en avant dans notre pratique les notions de désordre et d’hybridité des formes dans l’idée de se greffer au lieu et à son architecture fragile.

Si Guillaume Désanges est à l’origine de l’invitation, nous avons principalement travaillé avec Adélaïde Blanc, la commissaire.

La vidéo avec le poisson trépied

Ce poisson vivant au fond des abysses, qui est un environnement hostile au déploiement du vivant, a développé un corps-outil stupéfiant : sa morphologie est composée de nageoires formant la possibilité de se déployer comme un trépied sur le sol des fonds marins. Il s’agit d’une stratégie de résistance et de survie : le corps se créé son propre appareillage, synthétisant l’extrême porosité entre l’organisme et l’environnement. Cette découverte a été importante pour nous car de plus c’est un être hermaphrodite, qui sait se reproduire de manière autonome, et qui possède une dimension mythologique indéniable et qui nous a fascinée.

Dans nos sculptures, le trépied apparaissait déjà, mais plutôt comme outil de mesure : des Vénus en verre étaient serties sur des trépieds en laiton. La statuette archéologique devenait ainsi l’instrument de mesure et de captation.

La question de l’énergie et de ses flux

Vue de l’exposition mountaincutters Morphologies souterraines Palais de Tokyo, photo Aurélien Mole

Nous avons tout de suite pensé aux thermomètres qui restent très indiciels dans l’exposition, attachés par des fils de cuivre à différents endroits par exemple. Ils agissent comme des indices, des signaux inquiétants dans leur discrétion. A l’image dont la communauté humaine fonctionne par rapport à la question du climat et des enjeux écologiques, à savoir que la température monte sans qu’il ne se passe grand-chose. On connait l’existence de cet indice qui reste sous-jacent comme si l’on ne prenait pas encore conscience de son impact. Une donnée importante à nos yeux.

Nous avons aussi créé une 4ème ligne de tubes de cuivre qui participe à cette dimension de flux, d’énergie qui circule tout le long de l’espace, et qui descend dans le lieu par des excroissances produites spécialement.

En recréant un ensemble factice de conductibilité d’eau chaude et de cuivre dans l’espace c’est à la fois la problématique des températures et de l’accès à l’eau aujourd’hui qui sont en jeu. Des questions cruciales qui se matérialisent encore plus l’été et qui suit la nouvelle saison du Palais de Tokyo.

Vue de l’exposition mountaincutters Morphologies souterraines Palais de Tokyo, photo Aurélien Mole

Les atèles et la rampe PMR

Cette zone du projet traite de la défaillance des corps, dont le geste central est celui qui a été déployé sur la rampe PMR pour les personnes à mobilité réduite.

Nous avons supprimé les escaliers afin de laisser la rampe comme étant l’unique accès aux différents espaces. Nous voulions unifier le passage pour tous les types de corps, de morphologies, qu’elles soient appareillées, bipèdes, sur roues, etc

Il s’agit d’un geste d’élévation presque énergétique, de puissance, enveloppant toute la surface de cette rampe PMR avec du laiton martelé. Cette surface va également subir le passage et le frottement du temps, et va se transformer tout le long de l’exposition.

Vue de l’exposition mountaincutters Morphologies souterraines Palais de Tokyo, photo Aurélien Mole

Cette rampe avait une place très imposante dans l’espace car elle est soumise à des contraintes très précises, ce qui nous a conduit à nous interroger sur une éventuelle réduction, mais cela nous semblait terrible comme décision vis-à-vis de ces publics empêchés. D’où l’idée d’inverser le rapport de force, et de transformer ce passage en lieu de puissance et d’énergie.

En contre point nous avons créé ces sculptures représentant des paires de jambes, des sortes de prothèses elles-aussi en laiton, contraintes et mises en tension par des fils de cuivre, reliées littéralement à l’architecture et les colonnes les entourant. Le mouvement est donc arrêté, les jambes figées en lévitation.

La question de la mobilité contrariée revient aussi avec les roues en verre qui compose certaines de nos structures. La roue est un objet fascinant, une révolution dans l’histoire de l’humanité et de son développement. Nos jambes sont les roues de notre morphologie.

A découvrir également les propositions très abouties de Laura Lamiel et Marie-Claire Messouma Manlanbien.

INFOS PRATIQUES
mountaincutters
Morphologies souterraines
Laure Lamiel
Vous les entendez ?
Marie-Claire Messouma Manlanbien
L’être, l’autre et l’entre
La morsure des termites
jusqu’au 10 septembre 2023
Palais de Tokyo
13 Av. du Président Wilson
75116 Paris
https://palaisdetokyo.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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