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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, Jean-Christophe Godet, le directeur artistique du festival GLAZ à Rennes, nous présente la série Salt & Tears de la photographe russe, Yulia Skogoreva. Un travail documentaire sur une jeune adolescente japonaise qui souhaite devenir championne de Sumo, sport qui est traditionnellement exclusivement réservé aux hommes. Jean-Christophe a réalisé le commissariat de son exposition qui a été présentée à Tokyo à l’automne dernier.

Un projet sur lequel j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler récemment est l’exposition de Yulia Skogoreva (RUS) : Salt & Tears, présentée au Japon à la galerie Fujifilm de Tokyo en octobre et novembre 2023.

Nous nous sommes rencontrés pour la première fois lors d’une lecture de portfolio à Arles. J’avais, à l’époque, encouragé Yulia à développer certains angles d’une série qui me semblait prometteuse. Il s’agissait de l’histoire de Nana, une jeune Japonaise de 16 ans, entièrement dédiée à devenir une championne de Sumo, sport qui est traditionnellement exclusivement réservé aux hommes ; (dans le cadre du (ōzumo) grand sumo, les femmes sont considérées comme impures et ne doivent en aucun cas franchir l’intérieur du (dohyô) le ring. (1)
Si les femmes peuvent, de nos jours, participer à des compétitions féminines elles ne peuvent toujours pas accéder au statut professionnel.

Quelques années plus tard, et après avoir remporté le prix du meilleur portfolio dans le cadre de l’excellent Kyotographie International Photography Festival. Yulia m’invitait à prendre en charge le commissariat de son exposition à la galerie Fujifilm.

Notre priorité pour ce travail était de transformer une série documentaire reconnue pour sa valeur éditoriale en une exposition artistique.

© Yulia Skogoreva

© Yulia Skogoreva

© Yulia Skogoreva

Plusieurs thèmes se sont dégagés lors de nos premières conversations. La dualité de la personnalité de Nana (oscillante entre combativité et fragilité), sa famille (fondatrice et protectrice de son ascension en tant qu’athlète reconnue) et la lutte, parfois inconsciente de Nana, contre un système patriarcal et stéréotypé.

 

Il fallait donc définir un champ d’action. L’espace de la galerie devait devenir l’arène. La scène théâtrale où s’entrecroisent les tensions et les émotions. Pour cela, nous avons choisi d’installer, dans chaque coin de la galerie, deux cadres collés l’un à l’autre, représentant les détails des bottes de paille de riz tressées qui forment le contour du Dohyô.

© Yulia Skogoreva

© Yulia Skogoreva

Lors de ces nombreuses visites dans la famille de Nana, Yulia est parvenue à capturer des moments de son quotidien touchants et drôles. Ces clichés révèlent le caractère encore juvénile de Nana et sa relation très soudée avec chaque membre de son foyer.
Comme un album de famille, nous voulions que cette sélection reste précieuse. L’idée s’est imposée naturellement, d’imprimer les photos dans un format Polaroïd et de les placer dans une vitrine et ainsi favoriser le rapport à l’intime.

La charge symbolique de certaines photos était aussi à mettre en avant. Trois d’entre elles, me semblent pertinentes à ce sujet. La première est celle où Nana est allongée sur un banc, les yeux fermés. Sous cet angle, sa tête transgresse légèrement le ring. Une posture de défi à une croyance archaïque qui considère encore son jeune corps comme impur.
La seconde photo se passe lors d’une session d’entraînement, Nana lutte, avec vigueur, contre son entraîneur beaucoup plus âgé qui semble incarner, à cette occasion, le lourd pouvoir de la tradition et de l’autorité patriarcale.
Il y a enfin cette image où Nana lance comme un cri de défi, entourée par des jeunes lutteurs exclusivement masculins.

© Yulia Skogoreva

© Yulia Skogoreva

© Yulia Skogoreva

Dans un sport où la force et le contrôle sont prédominants, Yulia Skogoreva a trouvé le moyen d’exprimer de la légèreté et de la grâce. Un rappel de l’artiste, que derrière sa détermination et sa réussite sportive, Nana reste encore une jeune personne qui continue de poursuivre son long et périlleux voyage personnel de l’enfance à l’âge adulte.

Salt and Tears (Sel et Larmes) est bien plus qu’un simple documentaire photographique sportif. C’est un portrait d’une jeune femme en quête de son devenir traité avec rigueur et intelligence qui évoque, à sa façon, la complexité de la nature humaine au travers de ses émotions, ses désirs et sa conscience.
Le travail de commissariat pour cette exposition a consisté principalement à rassembler ses éléments et les traduire visuellement dans un esprit de cohérence et de justesse.

© Yulia Skogoreva

(1) À ce sujet, il y a quelques années, un incident s’est déroulé à Maizuru dans la région de Kyoto lors d’une compétition nationale, Alors qu’il faisait un discours officiel au cœur de l’arène, le maire de la ville a perdu soudainement connaissance. Plusieurs femmes secouristes se sont alors précipitées pour essayer de le réanimer avant de se faire ordonner par haut-parleur, de quitter immédiatement le “dohyo”.
(2) Vous pouvez trouver une vidéo de l’exposition ci-dessous. Vidéo by Genki Kaneko. @hypergenki. All copyrights reserved

(3) Avec l’aimable autorisation de Yulia Skogoreva pour l’utilisation des photos qui illustrent cet article. All copyright reserved.
(4) Pour plus d’information sur Yulia Skogoreva voici son site: https://www.yuliasko.com/

La Rédaction
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