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Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe et tireur Guillaume Geneste, partage avec nous son amour pour le tirage. Un amour qui dure depuis plus de quarante ans ! Il y a 28 ans, Guillaume a fait le choix d’ouvrir son laboratoire La Chambre Noire en faisant cohabiter les procédés argentiques et numériques. Le bouleversement de l’arrivée du numérique pour les métiers de la photographie n’a pas été sans conséquence, Guillaume Geneste a décidé que peu importait le procédé, il restait un tireur avant tout !

Dans la chambre noire, Paris, 2011 © Guillaume Geneste

Un jour, un ami de mes parents qui venait dîner chez eux me demanda à quel âge ma passion pour la photographie avait débuté. Je lui répondis que c’était au moment de l’adolescence, vers 16 ou 17 ans. Alors il s’exclama : « C’est donc une passion amoureuse, ce sont les plus tenaces, celles qui durent toute la vie ! » Depuis mon amour pour le tirage et la photographie ne m’a jamais quitté.

Aujourd’hui, j’ai 62 ans et cela fait quarante ans que je suis tireur de photographies. Si parfois, je regarde en arrière, c’est pour mieux essayer de comprendre les choix qu’ont pu faire mes confrères et les orientations qu’ont pu prendre les gros laboratoires depuis le début des années 2000 et surtout, savourer encore mieux la période unique et historique que nous vivons depuis que le numérique existe. Quand certains tireurs n’ont pas souhaité faire le pas vers le numérique pour se spécialiser dans l’argentique, d’autres l’ont délaissé pour passer au tirage numérique à plus ou moins longue échéance. Rares sont les tireurs indépendants qui ont, au sein de petites structures, décidé de faire cohabiter les deux procédés en les commercialisant. Ce fut mon choix dès mars 1996 quand j’ai ouvert le laboratoire La Chambre Noire quand les premiers scanners à plat et pour films sont arrivés sur le marché.

Dans la chambre noire, Paris, 2015 © Guillaume Geneste

En l’an 2000, j’avais quarante ans et j’aime à raconter ainsi l’arrivée du numérique, comme je l’ai vécu et ressentie. C’est comme si un jour une voix m’avait dit : C’est très simple, tu vas faire exactement le même métier et les photographes pour qui tu travailles vont toujours repartir avec tes tirages dans une boite quand ils franchiront le seuil de ta porte, que ce soit pour les exposer ou pour les vendre à des collectionneurs. Par contre, les outils que tu vas utiliser pour tirer vont changer du tout au tout. Ton agrandisseur va devenir un ordinateur, ton écran sera l’interface de ce que tu devras juger avec le photographe à tes côtés mais tu seras toujours dans l’empathie. C’est le propre du tireur, être à l’écoute du photographe et savoir lui faire des propositions en même temps. Tes cuvettes de développements seront remplacées par des imprimantes et tu passeras de l’argent à l’encre. La souris et la palette graphique seront le prolongement de tes mains qui maquillaient autrefois dans le noir. De la lumière inactinique de ta chambre noire, tu passeras à la lumière artificielle. Habitué à tirer debout, tu seras désormais assis. C’est exactement ce que je vis quand je passe tous les jours de mon agrandisseur à mon ordinateur et vice-versa, sauf que le numérique n’a pas remplacé le tirage argentique pour autant. Il m’a surtout permis d’aller plus loin dans le traitement des photographies en noir et blanc comme en couleur et de compléter les prestations que le laboratoire pouvait offrir aux photographes pour produire et reproduire leurs images. La numérisation nous a permis d’aller au plus près de l’image imprimée dans les livres et d’offrir tous les services liés à la photogravure. L’arrivée du numérique s’est introduite à mi-parcours dans ma vie professionnelle. Dix ans plus tard peut-être n’aurais-je pas fait les mêmes choix pour le laboratoire, qui sait ? J’ai souvent pensé à Michel Serres qui était d’un optimisme éclairé quand il disait qu’à l’arrivée de toute nouvelle technologie, il fallait savoir faire le bilan des choses entre ce que l’on gagne d’un côté et ce que l’on perd de l’autre. Toutes les périodes de transitions dans l’histoire des techniques comme celle que nous vivons actuellement sont des moments très riches, très stimulants pour la réflexion et par conséquent pour la formation. J’en ai fait l’expérience dès le début de la création du laboratoire avec Guillaume Fleureau et depuis un peu plus de deux ans maintenant avec ma fille Chloé qui nous a rejoint à La Chambre Noire et que Guillaume et moi formons à la fois comme tireuse argentique et numérique.

Dans la chambre noire, Paris, 2020 © Guillaume Geneste

Si dans les faits le fichier numérique de nos appareils photo a remplacé le négatif, beaucoup de photographes l’utilisent encore par choix, sans compter toutes celles et ceux qui travaillent avec du film depuis toujours et qui n’ont pas souhaité pour autant passer au numérique pour leurs prises de vues. Aujourd’hui les étudiants qui sont formés dans les écoles de photographie le sont pour travailler d’après des fichiers d’appareils photo numériques, mais pas assez d’après des scans faits à partir de négatifs. Avec la fin du procédé négatif-positif, c’est toute une partie de l’histoire technique et culturelle de la photographie qui s’éteint au fur et à mesure que les tireurs argentiques disparaissent. La mot maquillage qui caractérisait le monde de l’argentique par cette action de retenir ou d’ajouter de la lumière au moment du tirage sous l’agrandisseur disparait du vocabulaire au profit de celui de retouche. Mais le maquillage n’a rien à voir avec la retouche que l’on peut faire sur une image. Ce sont deux actions distinctes qui se pratiquent aussi bien d’après un fichier numérique que d’après un scan de négatif. Le maquillage permet de restituer ou de transformer la perception que nous avons de la lumière alors que la retouche enlève ou rajoute des éléments de l’image. C’est cette passerelle entre les deux mondes qu’il faut consolider dans la formation et à laquelle je suis fortement attaché, car il n’y a pas d’un côté l’argentique et de l’autre le numérique quand plus de 150 ans de l’histoire de la photographie a utilisé comme matrice le négatif et quand de jeunes photographes s’en emparent aujourd’hui à nouveau pour créer des images. Du support papier depuis Willian Henri FoxTalbot en passant par la plaque de verre et le négatif souple dans tous les formats, ce sont des collections entières dans le monde qui sont à numériser. L’agrandissement d’un négatif par projection en noir comme en couleur avec un agrandisseur demande des connaissances techniques qui sont à prendre en compte pour travailler pleinement les valeurs d’une image. Savoir réaliser un bon tirage, c’est être en même temps capable de pouvoir répondre aux volontés artistiques des photographes qui sont à nos côtés et de ceux qui ne sont plus là, tout en maîtrisant les techniques des procédés utilisés.

L’arrivée du numérique a redoublé le plaisir que j’avais de tirer et d’interpréter tout style de photographies. C’est ce plaisir que je voulais partager avec vous durant cette carte blanche, plaisir qui me permet d’exercer mon métier avec passion au-delà des procédés photographiques qui traversent l’histoire de la photo et qui, au fond, se mêlent plus qu’ils ne se substituent depuis l’arrivée du numérique.

http://www.la-chambre-noire.com/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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