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Didier Ben Loulou & Bernard Guillot : Deux visions de l’Orient à la Galerie Malebranche (1er épisode)

Temps de lecture estimé : 7mins

La galerie Malebranche  expose jusqu’au 27 Janvier Bernard Guillot et Didier Ben Loulou, sur deux visions de l’Orient, deux villes, Le Caire et Jérusalem,  en noir et blanc pour Bernard Guillot , en couleur pour Didier Ben Loulou. Deux façons de vivre et de photographier le réel et le sur-réel en prise avec ces territoires urbains, pétris d’ histoire et de feux, du feu des soleils d’or mais aussi du feu des buchers.

Didier BEN LOULOU, JERUSALEM

Un monolithe est cerclé de feu dans Jérusalem, première image. Analogie, les flammes circonscrivent la Pierre. En contre points, des enfants jouent dans la rue. La pierre et le feu, la résilience de la lettre hébraÏque passent la mort par le corps juvénile des enfants jouant, bruyants de la promesse de demain, portant à travers leur ombre, ce précis d’humanité, au bord de l’affirmation ou de l’évanouissement: vaste question qui ne cesse de hanter le photographe aux prises avec l’héritage sacré de la tradition hébraïque tenue par les religieux et sa propre modernité, exprimée ici dans un dialogue entre l’immémorial et la présence. Le photographe s’invente chaque jour, s’obsède au delà de lui même: ce qui lui échappe  et ce qui s’affirme paradoxalement le hante. Il n’arrive pas à circonscrire le cercle de feu, hautement symbolique, qui consume, enferme et questionne.

Question centrale, à la fois centrifuge et centripète, Ben Loulou étend la question de sa Jérusalem à tout l’Orient, à tout le bassin méditerranéen et relie les méditerranées dans un périple homérique, ulysséen, où se joue l’identité de sa photographie. Ce travail s’entend comme une tentative de libération par la fuite et le voyage. Il s’échappe de Jérusalem quand tout acte photographique devient impossible momentanément. Il cherche ses orients là où le soleil a fondé l’altérité d’autres communautés. Il vit une héliotropie. N’est il pas une page déjà écrite où viennent s’échouer les rêves brisés et l’éternelle senteur des soleils orientaux. N’est ce pas là que se joue cette permanence du retour impossible au coeur de Jérusalem, éclairant du schisme qui travaille toute la société israélienne pour surprendre sur sa peau, toute la vie, toutes les vies par lesquelles émerge , d’une façon discontinue et “miraculeuse” sa photographie? Qu’on se souvienne d’Israël Eighties, publié il y a peu à La table ronde.

Le corps de Jérusalem s’écoute dans la pulsation incessante d’une promesse,  (in)-augurale et secrète, creuset des monothéismes, appel d’un Sacré qui, aujourd’hui se vide, et pourtant se révèle au photographe dans l’interstice des présents. Il ne peut y avoir un seul présent, et pourtant tout se résume parfois à cette fraction de seconde où se signe le rêve de  l’Immémorial. Jérusalem, s’abime dans le mariage de l’argent et du politique, se désertifie, s’abîme en elle même. Il n’y a que la pulsation des vagues sur la plage pour retenir l’écoute et préserver les rues où se jouent les apparitions, disparitions de ces dialogues qui firent la ville… au devant d’elle même.

Le Sacré a fui, la loi est respectée à la lettre, schématiquement sans doute, abusivement, les religieux interprètes ont abandonné l’esprit pour la rigueur sclérosante, c’est pourquoi une nécessité fait oeuvre chez Ben Loulou, préoccupation majeure. Il écrit dans Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs, pages 240, 241,: “ Comment font ils, tous ces religieux en noir, ces obscures silhouettes dont la présence est de plus en plus  obsédante dans Jérusalem pour croire avec autant de  dévotion  et de ferveur?”    Il confie sa fascination pour cette dévotion “ hystérique”, son envie presque d’y succomber, mais voilà, cela lui reste interdit…Ce n’est qu’un fascinum, un leurre où l’absorption dévote accouche d’un intégrisme. L être est digéré par  par le dogme exotérique. Didier Ben Loulou est bien trop au centre de son voyage symbolique pour succomber par simplification à la tentation du diable, à la vitrification de sa liberté par la folie et le feu des dévots. Voilà pourquoi le monolithe est en feu et s’accroche au regard. La suite est éclairante, quelques lignes plus loin : “Je comprends mieux le travail que je mène sur les lettres et sa différence d’avec mes autres projets sur Jérusalem ou Athènes. Les lettres me sortent de ce monde et du temps”, on pourrait ajouter que le système du photographe fait que par nature et retour de sa liberté de voir, d’entendre, il écrit une part de sa liberté triomphante en se rendant sensible aux signes que le réel lui propose et qu’il reconnait comme tels:  corps des enfants entre ombre et lumière, lettre hébraïque ouverte vers l’infini du ciel, colombe étreinte par des mains d’enfants pures.

La question du Sacré est sans doute un mystère en soi. Ben Loulou est influencé autant par cette culture juive que par la littérature française, dont Albert Camus; à ses interrogations méta-physiques,  deux lectures parallèles  et possibles, la religieuse le pousse vers un asservissement possiblement libératoire, fusionnel, une érotique en sous-tend le désir, mais aussi vers une négation mortifère. Le doute en philosophie occidentale fonde une dynamique de l’être et la construction d’une Liberté individuée. Didier Ben  Loulou perçoit l’invisible dans le visible et le met en scène par ses cadrages, ses sujets, couleur et corps, ombre et lumière. Les images lui arrivent comme de petites épiphanies. Jérusalem, polyphonique et plurielle est  hantée par son Histoire, Didier Ben Loulou, n’en déplaise aux thuriféraires de la Loi, relit les interstices de la tradition juive dans le jaillissement incessant du Sens et de sa Liberté. C’est une part de sa modernité.

Ces images ont une charge symbolique forte, portée par les mains. Celles ci cernent l’oeil fermé de l’enfance, symbole de voyance, si l’oeil est fermé sur le monde extérieur c’est qu’il est ouvert vers l’intérieur, qu’il regarde sa nuit, qu’il voyage. Les mains tiennent la blanche colombe à l’oeil fixe, vase qui reçoit la blancheur, qui lit l’harmonie, et la paix s’inscrit dans la pulsation du sang. Les mains accomplissent quelque chose d’un sacré, d’une transcendance, d’un faire. Elles sont elles même support de voyance; que nous montre Ben Loulou, si ce n’est ce qu’il pré-sent, (pressent), autrement écrit dans le miroir de la langue, présent de l’instant. Elles forment ce rêve d’une colombe entre les mains d’une enfant (tirée du livre Jérusalem) afin de donner ce pouvoir d’accorder l’Innocence, la non possibilité du mal, au Sacré.

Encore faudrait-il écrire sur les cris et la fureur de la ville qui s’enflamme périodiquement, bande son improbable de l’hystérie, celle des communautés, celle des religieux et de la violence permanente: tordre l’Esprit de la lettre par sa forclusion dans la Loi, un système fermé qui suinte désormais des murs de Jérusalem en permanence, croira t-on. C’est là, a cet endroit que l’ écriture photographique de Ben Loulou interroge la puissance des images venues en Messager de la vie libre, issue de ce regard intérieur de l’enfance. Ne sont-elles pas  trop paradoxalement mémoire issue de cet Ange de l’Annonciation ou de tout personnage venu de la peinture sacrée de la Renaissance,  témoin, de l’ irruption contre l’intolérance et le fanatisme, écriture qui présente une physique inversée de la perspective intérieure, dans un « proche infini » . On peut lire dans ses remarquables Chroniques de Jérusalem ou d’ailleurs (Arnaud Bizalion Editeur, 2016) : « Cette couleur céleste sur la pierre que je photographie entre les mauvaises herbes n’est pas signe de la perception du lointain, comme chez les maîtres du Quattrocento, mais au contraire signe de la perception du proche, du proche infini. » Revenir aux origines, aux sources de l’Histoire et de la Perception du Sacré, ainsi s’écrit pour Didier Ben Loulou le voyage de l’Orient, où il emprunte désormais le chemin libéré d’Orphée, enchanté, enchanteur, forcément énigmatique, mais désormais sans retour.

INFORMATIONS PRATIQUES
Le Caire-Jérusalem de Dider Benloulou et
Bernard Guillot
Jusqu’au 27 janvier 2018
Galerie Malebranche
11, rue Malebranche
75005 Paris
http://galerie-malebranche.com/
http://www.filigranes.com/artiste/guillot-bernard/
http://www.didierbenloulou.com/

A LIRE
Didier Ben Loulou & Bernard Guillot : Deux visions de l’Orient à la Galerie Malebranche (2nd épisode) publié le 10 janvier 2018

Pascal Therme
Les articles autour de la photographie ont trouvé une place dans le magazine 9 LIVES, dans une lecture de ce qui émane des oeuvres exposées, des dialogues issus des livres, des expositions ou d’événements. Comme une main tendue, ces articles sont déjà des rencontres, polies, du coin des yeux, mantiques sincères. Le moi est ici en relation commandée avec le Réel, pour en saisir, le flux, l’intention secrète et les possibilités de regards, de dessillements, afin d’y voir plus net, de noter, de mesurer en soi la structure du sens et de son affleurement dans et par la forme…..

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