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Musique & Photographie : L’Homme à la caméra

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Dziga Vertov, réalise en 1929 l’homme à la caméra, un film qui deviendra une œuvre majeure pour le cinéma russe et mondiale. Cet OFNI muet situé entre le documentaire et l’expérimentation met en évidence la vie d’un caméraman.

Ce preneur d’image n’aura qu’une hâte : filmer le quotidien d’une ville et des gens au prix d’une performance sportive parfois dangereuse. Illustrer la respiration et la vitalité d’une vie moderne en image, c’est le faire au moyen d’un montage dynamique mais il manque à cette œuvre une chose : le son, cette bande sonore qui permettrait au spectateur d’entrer en immersion dans ce flux d’images à l’ombre d’une salle de cinéma. Finalement, on pourrait penser que ce n’est pas à Dziga Vertov d’imposer l’illustration sonore de sa propre création mais à tous les spectateurs et aux musiciens d’en reporter son image mentale et ses vibrations acoustiques.

Pardonnez mon écart en citant une œuvre et une machine qui fixe le mouvement. Dans la langue anglaise, le mot « camera » ne permet pas une distinction aussi nette qu’en français pour séparer l’appareil photo d’une caméra dédiée à l’image en mouvement. Le quiproquo à ce sujet est équivoque. Toujours est-il, qu’avant de revenir (à l’avenir) sur ce qui nous intéresse, c’est à dire la représentation de la photographie dans le champ de la musique, il est pertinent de citer Dziga Vertov parce qu’en imaginant un nouveau dogme, celui du ciné-œil, il imagine aussi une nouvelle manière d’offrir un regard sur le monde. Ce qui compte, c’est le regard et non plus les moyens. Et pour cela, il faut un preneur d’image, ce caméraman qui offrira par ses contorsions à toutes épreuves la vérité enregistré le temps d’une bobine de 35mm et au travers de la vision d’un objectif. L’homme à la caméra est aussi un objet d’étude passionnant parce qu’il est pour les musiciens, un terrain d’exploration et d’expérimentation sans égal.

Je ne sais pas si l’œuvre avait à son origine une partition sonore, c’est cependant avec ce film qu’on peut se rendre compte qu’il est une source inspiration inépuisable pour les musiciens qui prolongent avec ces réinterprétations l’esprit vivace de Luigi Russolo et de John Cage.

De manière chronologique, nous allons nous intéresser à ces différentes approches et manière d’imaginer la bande sonore d’un homme dont son métier est de prendre des images sur le vif.

Un Drame Musical Instantané́ ‎– L’Homme À La Caméra (1983)

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Drôle de nom pour un concept d’orchestration de film en direct, à l’aide d’une quinzaine de musicien et d’un peu d’instruments électroniques, on se plongera dans ce concept précurseur de ciné-mix. Toujours est-il que la seule trace de cette performance qui eut lieu à l’occasion du festival Musica à Strasbourg le 5 octobre 1983 est disponible sur ce lien :
http://www.dailymotion.com/video/x2j8v8c

Pierre Henry – L’Homme À La Caméra (1990)

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Pierre Henry, l’immense chercheur musical du GRMC à dévolu un temps de sa carrière de musicien à imaginer sa propre version d’une bande sonore consacré au film de Vertov et cela donne ceci :

Biosphere – Man With A Camera (1996)

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Le norvégien Geir Jennsen sous son alias musical Biosphere, il est un jour sollicité par les organisateurs d’un festival norvégien dédié au cinéma et se met à son tour à revisite l’œuvre de Dziga Vertov :

In The Nursery – Man With A Camera (1999)

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Les anglais Klive & Nigel Humberstone originaire de Sheffield sont des habitués des réinterprétations d’œuvres télévisuelles ou cinématographiques. S’attaquer à l’Homme à la caméra est un exercice de plus à leur longue carrière musicale. Les rifles et les cordes de pianos virevoltent à chacun des sursauts d’image :

The Cinematic Orchestra – The Man With A Camera (2000)

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Je dois vous l’avouer, j’associerai toujours l’œuvre de Dziga Vertov avec les élégantes envolées de violoncelle proposées et imaginées par The Cinématic Orchestra. Les années 2000, c’était aussi le renouveau des formats ciné-mix, une nouvelle dimension offerte à l’orchestration d’un film diffusé en même temps. Le spectacle n’est plus sur la surface tachée de l’écran mais devant nous, face à ces mouvements orchestrés autour d’un chef d’orchestre (voir vidéo principale en haut de page).

Michael Nyman ‎– Man With A Movie Camera (2010)

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Le musicien Michael Nyman est aussi un artiste accompli avec une pratique cinématographique. Devons-nous imaginer qu’en s’attaquant à une réorchestration de l’œuvre de Dziga Vertov, c’était un inavouable hommage passionné :

Gilles Tynaire – L’Homme À La Caméra (2010)

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Gilles Tynaire est un compositeur de musiques de films et de programme télévisuel. Il propose à son tour sa propre version, en incluant un aspect « rural » à l’orchestration de l’œuvre de Dziga Vertov :

Yann Le Long – L’Homme À La Caméra (2011)

Le musicien Yann Le Long, propose à l’issue d’une résidence à Muzillac en 2011 sa propre version de l’homme à la caméra :

Mental Overdrive ‎– Man With A Movie Camera (2012)

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Le norvégien Per Martinsen sous son pseudonyme Mental Overdrive, propose en 2012 un maxi de six titres très orienté techno (mais on notera également la collaboration de Biosphere sur ce projet). La citation au film de Vertov est sur ce disque (dans son écoute seule) n’est pas une évidence. Il serait intéressant de poser la question de l’influence de ce film sur les artistes norvégiens affiliés aux styles électroniques divers.

Document 02 – l’homme à la camera (2012) :

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L’étrange et inconnu pseudonyme de Jean Laporte revisite lui aussi cette œuvre de 1929 :

Alloy Orchestra – 10/12/13 Man With A Camera (2014)

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Un live autour de l’œuvre de Dziga Vertov réalisé en 2013.

Et, enfin, pour finir notre tour d’horizon autour de l’œuvre de Dziga Vertov, l’illustration de l’affiche du film sorti en 1929 :

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Sébastien Moitrot
Ayant grandi dans des classes spécialisées pour sourds et malentendants en région parisienne, j’ai souvenir d’avoir toujours eu ce goût pour les arts et pour l’image en mouvement. Je me retrouve alors à gravir école après école toutes ces marches estudiantines et parisiennes qui me transforme en spécialiste de l’image photographique. Tour à tour : un peu d’arts appliqués en formation STI au lycée, un CAP de retoucheur photographe puis un Bac Professionnel d’art et métier option : Photographe. Une entrée inattendue à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts où j’ai pu durant cinq années pousser au plus loin mes interrogations d’artiste. J’ai séjourné quelques mois au Sydney College of Arts de l’Université dans le cadre d’un échange universitaire. L’Australie c’était une fantastique aventure. J’ai continué mon voyage sur les bords du lac Léman à la Haute-École d’Art et de Design pour y perfectionner mes connaissances en médiation culturelle et y découvrir le métier d’enseignant. J’ai poussé le vice estudiantin en commençant un doctorat à l’université Paris 8. Mais plus que ce parcours scolaire, ce qui compte pour moi, c’est de toujours réfléchir et de proposer, lorsque les occasions se présentent, une réflexion sur la photographie, d’en saisir et d’en définir son essence. Ce qui compte avec la photographie, ce n’est pas, pour moi, l’instant déclic cher à Henri-Cartier Bresson mais ce qu’il se passe dans l’esprit du preneur d’image.

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