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Rencontre avec Raymond Depardon
Les Etats-Unis, l’inspiration d’un territoire

Temps de lecture estimé : 7mins

Nous avons rencontré le photographe Raymond Depardon à l’occasion de la signature de son dernier ouvrage « USA », à la librairie Artazart. Il nous parle de son histoire d’amour avec l’Amérique qui dure depuis 50 ans, et de sa fascination pour la photographie américaine qui a contribué à développer sa propre pratique photographique.

9 Lives : Depuis juillet dernier, on trouve dans les librairies votre dernier ouvrage très sobrement intitulé « USA ». Il rassemble plus de 30 ans de photographie sur le territoire américain. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce projet d’édition ?

Raymond Depardon : L’idée de ce livre est venue en en parlant avec Philippe Séclier, un de mes amis et grand amateur de photographie américaine, qui m’avait demandé de lui montrer mes photos réalisées aux Etats-Unis… Et puis c’est aussi ma rencontre avec Sam Stourdzé il y a un an, lorsque je lui ai présenté quelques tirages. Il m’a dit que ça l’intéressait puisqu’il prévoyait de faire une exposition sur Robert Frank; il imaginait donc exposer mes images pour composer la partie contemporaine. À partir de là a débuté l’opération difficile et fastidieuse de l’editing. Mon premier voyage aux Etats-Unis date de 1968, mon dernier d’il y a quelques mois. C’est donc une histoire qui dure depuis 50 ans ! J’avais des milliers de contacts, des milliers d’images… on est reparti à zéro.

« J’étais un photographe en colère, il faut être en colère pour être photoreporter. Mes paires n’étaient pas du tout Robert Frank ou Cartier-Bresson, c’était plutôt Garry Winogrand ou Lee Friedlander » 

9 Lives : Quel rapport entretenez-vous avec les Etats-Unis ? Et en particulier avec la photographie américaine.

R. D. : L’Amérique ce n’est pas n’importe quel pays… Les photographes américains ont joué un rôle important dans l’histoire. Je me souviens que dans les années 70, je tournais un peu en rond, je commençais à me « lasser » du photojournalisme… J’avais fondé Gamma, je voulais de la nouveauté et surtout je voulais savoir si j’étais capable de faire autre chose, et les seuls qui progressaient et qui avaient des propositions stimulantes, c’était les photographes américains. Ils modernisaient l’instant décisif.

Je ressentais que je n’avais plus besoin d’être sur les champs de bataille. J’en ai fait beaucoup, et sincèrement il y avait beaucoup de probabilités pour que j’y passe. Michel Laurent et Gilles Caron ont laissé leur vie au Vietnam et au Cambodge, je ne voulais pas être le prochain sur la liste.

J’étais intéressé par l’actualité, par la souffrance des gens, par la course aux pouvoirs, j’étais très contemporain et je me disais qu’on pouvait peut-être suivre les choses différemment qu’en étant sur les terres de guerres violentes…

Entre 1978 et 1981, je me suis rendu très régulièrement aux Etats-Unis. Je venais d’intégrer l’agence Magnum, et c’était très agréable d’avoir un bureau sur place. C’est au tout début des années 80 que je me suis consacré au territoire américain, notamment avec « Correspondance New Yorkaise ».

9 Lives : Justement, c’est donc en 1981 que vous acceptez le défi lancé par le journal Libération, d’envoyer une image par jour accompagnée d’une légende pour « Correspondance New Yorkaise ». Comment s’est passée cette expérience ? 

R. D. : A cette époque j’étais un photographe en colère, quoi qu’il faut en soit être en colère pour être photoreporter. J’avais beaucoup de choses à dire, je me posais beaucoup de questions – c’est toujours le cas aujourd’hui, mais ce ne sont plus les mêmes. Alors quand on m’a demandé d’envoyer une photo par jour, je me suis dit que c’était un défi intéressant car – comme beaucoup de photographes – je n’étais jamais satisfait de mes images, je ne finissais pas mes séries et c’était pour moi une source de frustration. Il est difficile pour un photographe de terminer réellement un sujet, on reste pour ainsi dire dans une sorte de « flottement »… Avec « Correspondance New Yorkaise » j’étais obligé de leur envoyer une photo tous les jours. J’avais cette contrainte et je ne pouvais pas passer outre. C’était très moderne pour l’époque. J’accompagnais chacune de mes images d’une légende, un peu comme un haiku, ces petits poèmes japonais très courts.

Cette expérience avait pourtant mal commencé, le premier jour je me suis disputé avec mon amie, j’étais de très mauvaise humeur. J’ai réalisé une image de 5 jeunes noirs à capuche sur un ferry et dans ma légende j’ai écrit que New York m’ennuyait et que je me demandais ce que je faisais là… Libération a reçu des tonnes de courrier de lecteurs qui souhaitaient prendre ma place ! Dans les années 80, il n’était pas question de dire du mal de New York. L’Amérique, c’était sacré et plus particulièrement New York. C’est  vrai que c’est une ville unique.

« On me demande souvent si le photojournalisme est mort pour moi, je réponds oui ! Il est mort en tant que photojournalisme post-colonialisme ! »

9 Lives : Comme l’Amérique, vous avez aussi un rapport très étroit avec l’Afrique.

R. D. : Je suis né à la fin de la décolonisation. Quand je suis arrivé en Afrique fin des années 50, début des années 60, on célébrait partout l’indépendance. Je ne peux pas cacher que j’ai souffert de mon histoire de blanc, au milieu de cet ère post colonialiste mais je suis resté très longtemps sur ce continent et j’ai fait des choses que les autres n’ont jamais fait, même les photographes de guerre occidentaux, parce que justement je restais très longtemps sur le territoire. Si on prend un McCullin ou un Caron, ils venaient pour des choses très spécifiques, avec une logistique très précise. Moi je suis resté 8 mois au Tchad. Je pensais que la « technique » américaine mise au service du territoire africain était un bon point pour moi.

Aujourd’hui tout a changé avec le numérique, les photographes locaux travaillent mieux, ce qui fait que les occidentaux n’ont plus de légitimité à être sur place ! C’est la fin de l’ethnocentrisme occidental.

9 Lives : Aujourd’hui, l’édition photographique souffre. Les éditeurs, rejoints par les libraires nous confient qu’ils ont de plus en plus de mal à vendre leurs livres. D’après-vous quel est l’avenir du livre photo ? 

R. D. : L’édition photo c’est quelque chose d’assez confidentiel, contrairement au cinéma ou la télévision par exemple, et je trouve que ça a plus de chance de tenir, car l’enjeu est moins important. Mais c’est vrai qu’il faut au moins 1000 à 2000 exemplaires vendus pour rentrer dans ses frais et ça fait beaucoup pour un photographe qui n’est pas connu. Et même pour des photographes plus reconnus; personnellement j’ai pris beaucoup de coups, en tout j’ai sorti une soixantaine de livres et il y en a bien la moitié qui sont mauvais. Malgré ça, je me suis dit qu’il fallait continuer et surtout s’améliorer.

Un livre c’est très cher, 45€ pour « USA » par exemple. Mais s’il était moins cher, il ne pourrait pas être aussi bien imprimé. Il n’y a jamais eu autant de livres de photographie qu’aujourd’hui, et ça s’explique très bien car éditer c’est une façon de clôturer la série d’un photographe.

9 Lives : Comme pourrait vous le demander Pivot, Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous, après votre mort, l’entendre vous dire ? 

R. D. : On a une chance incroyable quand on est photographe, on voyage, on découvre le monde. Si j’avais été sédentaire, je ne serais pas l’homme que je suis devenu, je serais « plus con » ! Voyager, ça secoue, ça nous oblige à ne pas avoir de certitudes. C’est d’ailleurs peut-être le problème de l’Europe, elle se replie sur elle-même, et c’est dangereux. Alors par contre, c’est important d’avoir des moments de réflexion où on a une unité de lieu. Cela est nécessaire pour prendre le temps de regarder les choses.

Mon défaut face aux voyage, c’est que je ne peux pas ne pas retourner là où j’ai été. Alors ça pose un problème logistique car j’ai été dans de nombreux endroits (rires). J’ai besoin de retourner aux endroits où j’ai été, c’est quelques part presqu’une obligation.

Donc j’espère que le Bon Dieu me dise « continue, même après ! »

INFORMATIONS PRATIQUES
Depardon USA
1968 – 1999
Raymond Depardon
Editions Xavier Barral
45€
https://artazart.com/shop/depardon-usa-1968-1999/

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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