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Carte blanche à Marie Docher : Et maintenant ?

La Vague © Marie Docher
Temps de lecture estimé : 5mins

Nous clôturons cette semaine avec la quatrième et dernière carte blanche de notre invitée Marie Docher. Elle a partagé avec nous ses expériences et ces combats. Aujourd’hui, nous sommes le 8 mars, journée des droits de la femme, il est temps que chacun – à son niveau, homme ET femme réunis – agisse pour combattre l’invisibilisation que subissent les femmes photographes. Cela nous demandera peut-être du temps, plus de travail sans doute, mais nous pouvons faire en sorte que ce manque d’équité ne soit plus qu’à conjuguer au passé…

« Tant qu’une opinion est implantée sur les sentiments, elle défie les arguments les plus décisifs, elle en tire de la force plutôt que d’en être affaiblie (…) ; plus elle sort maltraitée d’un débat, plus les hommes qui l’adoptent sont persuadés que leur sentiment doit reposer sur un fondement plus profond, que les arguments ne peuvent pas atteindre. Tant que le sentiment subsiste, il n’est jamais à court de théories ; il a bientôt réparé les brèches de ses retranchements. »
John Stuart Mill – De l’assujettissement des femmes – 1869

Il y a 5 ans, il n’y avait pas de chiffres pour visualiser les profondes inégalités entre les sexes dans la photographie et la profession ignorait majoritairement les études qui la concernait sur ces sujets. Ce n’est plus le cas.

Beaucoup de photographes femmes luttaient depuis longtemps, seules. Beaucoup d’autres ont pris conscience que leurs trajectoires professionnelles étaient souvent limitées par un système de pensée et de croyances qui s’appelle le sexisme. Ceux et celles d’entre nous concerné·es par le racisme sont en général bien plus conscient·es de ce qui les contraint.

Comprendre, savoir, c’est s’émanciper, se sentir légitime.

Fin 2015 je suis allée voir l’exposition « Qui a peur des femmes photographes ? 1839 à 1945 ». J’ai été saisie d’une émotion que je n’avais jamais ressentie avec cette force : la sensation d’être légitime, d’être représentée, d’être inscrite dans l’Histoire. Marta Gili à la tête de la galerie du jeu de Paume a contribué à ancrer ce sentiment chez beaucoup d’entre nous.

J’ai parlé de cette expérience à un directeur de festival pour tenter de lui faire comprendre les conséquences de ses choix sur nos trajectoires. Sa remarque condescendante en dit long sur les obstacles que nous avons à franchir. Il n’est malheureusement pas le seul. Pour cet autre directeur de festival, « tout ça, c’est des conneries ».

Aucune direction de festival, de maison d’édition, d’institution, d’école n’ignore maintenant la situation et son rôle dans ce système de discrimination qui est structurel. C’est maintenant leur responsabilité de le faire changer.

Les prises de paroles se multiplient, le Ministère de la Culture a mis en place une feuille de route égalité ambitieuse car rien ne change dans les mondes de l’art sans politique publique volontariste. Gageons que l’argent public nous aidera ici à sortir par le haut de cette situation et il faudra des nominations à la tête des institutions plus audacieuses que celles auxquelles nous venons d’assister.

Nos confrères doivent aussi prendre leur part. Prendre votre part c’est croire vos consoeurs lorsqu’elles refusent de présenter un dossier à un directeur artistique qui a la drague lourde sans leur répéter en boucle combien il est « super sympa ». C’est ne plus tolérer que dans une salle de rédaction un homme puisse traiter une femme de « suceuse » lorsqu’elle gagne un prix photo. C’est refuser de participer à des expositions collectives ou a des festivals où les femmes sont minoritaires voire totalement absentes. Oui, vous pouvez vous renseigner avant. C’est refuser d’aller à des festivals où les femmes se font agresser par des confrères sans que la direction prenne de mesures. C’est faire l’effort de s’ informer avant de nous dire comment vous voyez les choses… qui nous concernent. C’est comprendre que ce problème est le votre.

Ce qu’ont fait les journalistes de la ligue du Lol durant 10 ans se passe aussi, sous d’autres formes, dans la photographie. Ils nous ont privé de nous, de notre société, de notre diversité. Ils nous ont privé de voix qui nous étaient nécessaires dans le seul but de prendre le pouvoir et de maintenir une vision hégémonique de la société qui nous mène dans le mur. Si une photo vaut 1000 mots, notre responsabilité collective est de taille.

Nous sommes le 8 mars 2019. C’est la journée internationale des droits des femmes.
Il est temps d’agir.

Post Scriptum. Dans cette aventure personnelle et collective, l’écriture a été l’étape la plus difficile et je n’aurais certainement jamais rien osé publier sans la relecture exigeante de la chercheuse Odile Fillod que je veux ici remercier. Je suis par ailleurs particulièrement heureuse d’avoir un peu contribué au travail considérable qu’elle a fourni pour rendre visible l’invisible grâce à la représentation du premier clitoris imprimable en 3D. Pour l’occasion j’ai fait une photo du prototype et un film façon « amateur » pour faciliter la diffusion gratuite du fichier et de l’information. Sa conférence TEdX est sur ce lien et elle est vivement conseillée à toutes et tous.

Les femmes photographes, radiographie d’une profession – Ministère de la Culture

La Rédaction
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